Article rédigé par Jacques Bichot, le 19 janvier 2012
À l’occasion du sommet social et des discussions autour du projet social, nous poursuivons la publication des bonnes feuilles de l’essai de notre ami Jacques Bichot Les enjeux 2012 de A à Z, Abécédaire de l'anti-crise, J. Bichot, coédition AFSP/l’Harmattan dont la sortie est prévue le 11 février, pour le colloque que nous organisons à Paris avec l’Association des Économistes catholiques, sur le thème « crise politique, crise économique, crise morale »
Invention de Maurice Lauré, la TVA est l’impôt que la France a donné au monde. C’est un impôt intelligent, à l’image du grand serviteur de l’État qui l’a conçu, et qui fut l’un des tout premiers à percevoir quelles seraient les conséquences de la mondialisation.
La TVA a de grands avantages : sa perception est aisée ; elle est relativement « indolore », en ce sens que les contribuables s’aperçoivent bien moins de ce qui leur est prélevé par la TVA que par l’impôt sur le revenu (IR) alors que ce dernier rapporte à l’État 2,5 fois moins ; un changement de taux peut être mis en place très rapidement après avoir été décidé, et produit presque immédiatement un supplément de rentrées fiscales ; elle est plutôt favorable aux exportations, puisque celles-ci ont lieu hors TVA, et plutôt défavorable aux importations, puisque celles-ci la supportent, mais il ne faut pas exagérer cet effet. En revanche, elle se prête assez facilement à une arnaque, appelée « carrousel de TVA », que des organisations mafieuses organisent à l’échelle européenne.
Dans les circonstances actuelles, il est étrange que la hausse des taux de TVA décidée par le gouvernement français n’ait concerné que le taux réduit, passé de 5,5 % à 7 %, et encore avec de nombreuses exceptions, qui induisent complications et incompréhensions : une hausse du taux « normal », de 19,6 % à 20 % de manière durable, et à 22%, voire plus, pour une courte durée, aurait été le meilleur moyen de réduire rapidement le déficit public. Une hausse d’un point du taux normal rapporte environ 6 milliards d’euros : le passage à 22 % aurait diminué le déficit public de 14 milliards, tout en pesant psychologiquement moins lourd que la plupart des autres augmentations de la fiscalité, plus « sensibles ». Or l’important, actuellement, est certes de prélever davantage, mais aussi d’utiliser les modes de prélèvement qui impactent le moins l’activité.
C’est d’ailleurs ce raisonnement qui amène de nombreux commentateurs, et les organisations patronales, à proposer ou réclamer une « TVA sociale », c’est-à-dire le remplacement de cotisations sociales patronales par une augmentation des taux de TVA. Mais il s’agit d’une fausse piste, car cette proposition revient à fiscaliser encore davantage les ressources de la sécurité sociale, et par conséquent à nous écarter de son indispensable insertion dans l’économie d’échange. L’idée de TVA sociale est née d’une conception traditionnelle de la sécurité sociale qui procède largement d’une utilisation manipulatrice de l’idéal de solidarité.
Le patronat n’est probablement pas dupe, mais il profite de ce que l’analyse économique des services rendus par la sécurité sociale est généralement ignorée pour appuyer une idée qui lui permettrait de diminuer le coût du travail (au prix d’une baisse du pouvoir d’achat des salariés et du reste de la population) sans avoir à durcir ses positions dans les négociations salariales, qui portent sur le salaire brut. Autrement dit, au lieu que la majoration des taux de TVA serve à réduire le déficit public, elle servirait à augmenter les marges des entreprises sans que celles-ci aient à affronter l’ire de leurs employés et des syndicats. L’État prendrait les mesures impopulaires, et les entreprises tireraient les marrons du feu. Habile ? Sans doute, mais les habiletés qui dispensent de prendre des positions courageuses – en l’occurrence, freiner les augmentations de salaire – sont contraires au bien commun.
L’État doit agir vigoureusement en faveur des entreprises en desserrant le carcan législatif et règlementaire qui les étouffe ; il doit diminuer les coûts qu’il leur impose sous forme de multiples tâches administratives improductives qui mobilisent en pure perte beaucoup de travail ; mais il doit refuser de les subventionner en consacrant à une augmentation artificielle de leurs marges une augmentation de la TVA dont il a le plus grand besoin pour diminuer son déficit et ainsi écarter le risque de sa propre banqueroute. Les bons candidats aux prochaines élections, à cet égard, seront donc ceux qui préconiseront la fiche de paye vérité, c’est-à-dire le remplacement des cotisations patronales par des cotisations salariales, remplacement exposé à la rubrique « cotisations sociales », et réserveront le produit des augmentations de la TVA à la diminution du déficit de l’État.