Le Sénat fait le choix de l'eugénisme
Article rédigé par Pierre-Olivier Arduin*, le 08 avril 2011

Lors de l'examen en février du projet de loi relatif à la bioéthique, les députés avaient adopté un amendement marquant leur souci de desserrer l'étau du dépistage prénatal en supprimant l'obligation faite aux médecins de le proposer systématiquement à toutes les femmes enceintes de notre pays. En faisant passer à la trappe cette mesure, les sénateurs cautionnent un eugénisme d'État qui s'imposerait désormais sans aucune échappatoire possible aux professionnels de la naissance.

C'était un simple ajout de six mots :  lorsque les conditions médicales le nécessitent . Jusque-là, l'article 9 du projet de loi de bioéthique prévoyait que le dépistage prénatal soit  proposé à toute femme enceinte au cours d'une consultation médicale  sans tenir compte de la situation objective et médicale de la patiente. Cassant la spirale eugéniste du  tout-dépistage , l'amendement défendu par le rapporteur Jean Leonetti et voté le 15 février par l'Assemblée insufflait ainsi une petite bouffée d'oxygène dans le système étouffant promu sans discernement depuis 15 ans par les pouvoirs publics.

Un eugénisme massif

Rappelons-nous. Un cran insupportable avait été franchi avec la publication des arrêtés Bachelot du 23 février 2009 confirmant pour la première fois dans des textes réglementaires l'obligation stricte pesant sur les médecins d'informer systématiquement toute femme enceinte de la possibilité de recourir à un dépistage prénatal combiné de la trisomie 21 par prise de sang et échographie. Or on sait que cette course à la traque du handicap a produit par effet de système une dynamique d'incitation dans les choix des femmes, induisant des décisions allant presque toutes dans le sens d'une interruption de grossesse en cas de risque avéré de trisomie 21 (96% des cas identifiés).

En raison de cette sélection historique des grossesses sans équivalent chez nos voisins européens, le Conseil d'Etat lui-même évoquait l'existence  d'une pratique d'élimination presque systématique [1], donnant raison à plusieurs personnalités du monde éthique et médical dénonçant l'existence en France d'un véritable eugénisme de masse (Didier Sicard, Jean-François Mattéi,...).

Pour de nombreux professionnels de la grossesse, la promulgation des arrêtés de juin 2009 constituaient un point de non retour susceptible de mettre en danger leur métier même. Sous la houlette du docteur Patric Leblanc, gynécologue-obstétricien au CHR de Béziers, plusieurs d'entre eux fondaient l'année dernière le Comité pour sauver la médecine prénatale et lançaient un appel pour dire leur écœurement devant les exigences des autorités publiques leur enjoignant de devenir le bras effecteur d'un tri généralisé des enfants à naître.

Pas de liberté de prescription

Parmi les propositions avancées par le Collectif pour amorcer une désescalade salutaire, l'une d'elle prévoyait qu'on leur rende la liberté de prescription des tests de dépistage au lieu de les contraindre à les proposer systématiquement sans aucun critère objectif de ciblage :

 Il s'agit de refonder le système sur la confiance accordée aux praticiens qui doivent être responsables de proposer les tests, en conscience, s'ils les jugent utiles, en fonction de la situation de santé de la femme [...]. Tous les pays qui proposent un dépistage retiennent un critère objectif, que ce soit l'âge ou les antécédents : les femmes enceintes ne se trouvent pas en situation d'égalité face au risque de trisomie 21. Il est infondé et dévalorisant de nous contraindre à le proposer systématiquement... 

C'est pour donner droit à cette demande on ne peut plus légitime que les députés de la majorité appuyaient en février la mesure de Jean Leonetti, rapporteur du projet de loi à l'Assemblée, visant à supprimer l'organisation d'un dépistage obligatoire de masse et à réserver la proposition du test seulement  lorsque les conditions médicales le nécessitent . Pourquoi en effet inquiéter une jeune maman de moins de 25 ans dont le risque d'atteinte de l'enfant qu'elle porte est très faible (1 sur 1500) en comparaison de celui d'une mère de 40 ans (1 sur 100) ?

C'était sans compter une protestation étonnamment virulente des représentants de différentes sociétés savantes de gynécologie et d'échographie ne représentant d'ailleurs qu'eux-mêmes puisqu'on a appris depuis que leurs adhérents n'ont été à aucun moment consultés. Objet de leur colère, l'amendement qu'ils estiment être liberticide et  contraire au droit d'information des femmes [2] .

Visiblement sensible aux critiques leur reprochant de vouloir remettre en cause l'égalité d'accès des femmes au dépistage prénatal, voir, suprême accusation, de porter atteinte au  droit à l'avortement d'un enfant handicapé , une majorité de sénateurs issus des rangs de la gauche mais aussi de la droite a préféré plier en gommant l'addendum polémique.

L'art médical  bafoué

Jean Leonetti voulait garantir une information qui s'adapte à la situation réelle de chaque femme enceinte :  J'ai proposé cet amendement parce que le débat sur la systématicité des examens me paraît essentiel. Je suis très étonné de la réaction et de la lecture étroite des professionnels auquel on a restitué la responsabilité de dire ce qui doit être fait et ce qui ne doit pas l'être [3].  Une mesure en outre complètement conforme aux bonnes pratiques médicales comme l'a remarquablement démontré le docteur Leblanc à partir du Code de déontologie [4]. En effet, ce Code précise que  le médecin est libre de ses prescriptions qu'il estime les plus appropriées en la circonstance (art. R. 4127-8). Plus loin est encore mentionné que  le médecin doit à la personne qu'il examine, qu'il soigne ou qu'il conseille, une information appropriée à son état (art. R. 4127-35).

Le professionnel de santé ne saurait être le mandataire servile d'un Etat qui le préposerait à l'élimination des enfants à naître malades. Un aspect de la noblesse du métier de médecin est d'ajuster sa prescription à l'examen objectif de l'état du patient. À ce titre, un test de dépistage ne peut être recommandé qu'à partir d'un certain seuil de risque et non de manière aveugle. Patrick Leblanc rappelle à ses confrères qui l'auraient oublié que  la distinction qu'un médecin doit établir entre ses patients n'est ni un défaut d'équité, ni un manquement au principe de justice mais bien une adaptation personnelle du médecin à chaque cas qui est au fondement de l'art médical .

En réintégrant dans le projet de loi l'obligation systématique d'information du dépistage de la trisomie 21 à des femmes qui ne sont pourtant pas égales face à ce risque, le Sénat a fait le choix de l'eugénisme. De fait, il instaure légalement une politique d'éradication de tous les enfants à naître porteurs de cette anomalie chromosomique, bafouant le Code civil qui dispose dans son article 16-4 que  toute pratique eugénique tendant à l'organisation de la sélection des personnes est interdite . Les députés auront-ils le courage en seconde lecture de revenir sur un vote qui fait violence au respect de la dignité humaine des plus vulnérables ?

 

 

Sur ce sujet :

Bioéthique : n'abîmons pas notre propre humanité, par le sénateur Bruno Retailleau
Bioéthique : l'ombre de l'esclavage, par le sénateur Anne-Marie Payet

 

[1] Conseil d'État, La révision des lois de bioéthique, La documentation française, 2009, p. 40.
[2] Hélène Bry,  Polémique sur le dépistage de la trisomie, Le Parisien, 8 mars 2011.
[3] Lisa Melia,  Pourquoi le dépistage prénatal fait débat , L'Express, 9 mars 2011.
[4] Dr Patrick Leblanc,  Un amendement qui renforce le droit d'information du patient et la liberté du médecin , Le Quotidien du Médecin, 15 mars 2011.