Le mariage, institution de la parenté
Article rédigé par La Fondation de service politique, le 24 septembre 2008

 

Résumé : L'abandon du lien institutionnel entre mariage et différence sexuelle conduirait à une discrimination qui priverait les enfants de ses premiers droits fondamentaux : des repères pour s'identifier, du lien procréation-éducation, d'une généalogie cohérente.

Enjeux du débat et réponse aux principales objections.

 

 

 

PEUT-ON PARLER de mariage hétérosexuel ? L'expression est porteuse à la fois d'un pléonasme et d'un paradoxe. Si l'on considère le sens premier du mot mariage , dire que le mariage est hétérosexuel — ou plus exactement hétérosexué —, c'est dire deux fois la même chose. Mais aujourd'hui, tout doit être précisé, argumenté même. Ce n'est pas seulement la portée de la différence sexuelle qui est devenue incertaine, c'est le sens même du mariage qui est devenu problématique, flou, affectif, subjectif. Tel élu a pu le définir comme une reconnaissance sociale de l'amour . Dès lors pourquoi ne pas l'ouvrir aux unions homosexuelles ?

Cette ouverture serait un pas vers l'égalité, un progrès social donc. Affirmer que c'est le mariage stable et monogame qui est un progrès social, c'est aller à l'encontre d'une idée reçue, idée selon laquelle ce modèle serait conservateur, réactionnaire même, un modèle parmi d'autres, qu'il faudrait subvertir.

Je m'arrêterai sur cette question avant d'aborder l'enjeu le plus grave des débats actuels, l'objet principal de cette communication, à savoir la définition de la parenté et de la filiation : pourquoi est-il important de soutenir l'institution d'une parenté fondée sur la différence sexuelle ? Dans une deuxième partie, j'envisagerai les principaux enjeux de ces débats, avant, dans une troisième, de proposer quelques réponses aux arguments le plus souvent entendus.

 

I- LE MODELE CONJUGAL EST-IL CONTINGENT ?

 

Il n'est pas de semaine qui passe sans que l'on n'entende affirmer que la famille dite nucléaire , c'est-à-dire reposant sur le triangle père-mère-enfant n'est qu'un accident de l'histoire. Certains disent même qu'elle serait d'apparition récente, XVIIIe ou même XIXe siècle. Il y a là plusieurs approximations surprenantes. Ce qui est vrai, c'est que la famille traditionnelle a souvent été la famille élargie, ne se limitant pas au triangle père-mère-enfant. Elle avait conscience d'appartenir à une parentèle plus large. Mais le noyau père-mère-enfant est de tous les temps.

Non, la famille dite nucléaire n'est pas un accident de l'histoire. Elle est largement majoritaire à travers les civilisations. Le modèle conjugal monogame, avec la résidence commune est le plus répandu , affirme Françoise Héritier dans l'article Famille de l'Encyclopedia universalis.

Plusieurs auteurs considèrent que l'avènement du triangle mère-père-enfant a été une avancée culturelle considérable . Faire passer la filiation par l'alliance sexuelle en lui accordant un prix plus grand qu'aux liens de consanguinité, introduire le géniteur au cœur de la relation mère-enfant a été reconnu comme un facteur de stabilisation et de socialisation. Selon Edgar Morin, le grand phénomène que prépare l'hominisation et qu'accomplit, croyons-nous, homo sapiens, est, non le "meurtre du père", mais la naissance du père .

En second lieu, il faut distinguer la notion de famille nucléaire, ou restreinte, qui a ses limites, d'une notion beaucoup plus fondamentale, celle de la famille conjugale , c'est-à-dire reposant sur le mariage. Celle-ci est souvent dénommée, aujourd'hui, famille traditionnelle . Il y a là encore une approximation. En vérité, la famille conjugale n'est pas exactement, pas seulement, la famille traditionnelle. Elle n'a cessé de se transformer et continue à le faire. La manière dont est vécu le mariage aujourd'hui ne correspond pas à celle des années cinquante, ou du XIXe siècle, a fortiori du XVIe siècle.

Il ne s'agit donc pas seulement de conserver un modèle issu du passé, mais de préserver l'avenir.

Un des grands artisans des réformes du droit du mariage à la fin du siècle dernier, le doyen Jean Carbonnier, a pu affirmer que le mariage était une institution tournée vers l'avenir . En effet, il est tourné vers la fondation d'une famille, autrement dit vers l'accueil des enfants. Qu'est-ce qu'une famille ? C'est au minimum d'abord le lieu où naissent et sont élevés les enfants (l'adoption peut relayer la naissance, mais elle entre dans ce modèle). Dès lors se pose nécessairement la question du lien, non seulement entre les parents et l'enfant mais entre les deux parents eux-mêmes ou, pour le moins, entre les deux adultes qui élèvent l'enfant. La formulation la plus élémentaire serait : y aura-t-il continuité ou non entre le couple géniteur et le couple éducateur ? Autrement dit, un des enjeux premiers est le statut du couple parental.

Un courant montant aujourd'hui affirme que désormais le mariage n'est pas la seule façon de fonder une famille. Le corps social, à travers ses différents acteurs, devrait se désintéresser du lien conjugal, de son statut, de sa solidité, de l'appui qui peut lui être donné, pour ne faire porter l'attention que sur le lien de filiation. Ce serait la filiation qui ferait la famille. Fonder une famille, ce serait donner naissance à un enfant, le reconnaître, lui donner un nom... De ce lien de filiation, le discours social devrait avoir le souci, pour assurer la pérennité du lien mère-enfant, père-enfant, tandis qu'il devrait être indifférent à la conjugalité, laquelle ne renverrait qu'aux choix privés, à l'éthique intime ou religieuse.

Cette position n'est pas responsable ; elle ne peut pas être tenue jusqu'au bout. Remplacer l'alliance par la filiation n'est qu'une manière apparente de fonder la famille sur l'enfant.

En réalité, ce qui sera déterminant dans l'histoire ultérieure, ce ne sera pas l'intérêt de l'enfant mais bien les aléas de la vie du couple. Des statistiques sérieuses montrent que le taux de séparation, sur dix ans, entre concubins est six fois plus élevé qu'entre époux. L'arrivée de l'enfant divise ce taux par trois, ce qui veut dire qu'il reste deux fois plus élevé. Non, ce n'est pas l'enfant qui fait la famille. Une telle charge serait, du reste, bien trop lourde pour ses frêles épaules. Il est très pesant, très onéreux pour un enfant, de s'éprouver comme étant la raison d'être du lien entre ses parents. En revanche, il est très libérant pour lui de sentir que le lien entre son père et sa mère repose sur d'autres bases, d'autres fondements que l'attachement qu'ils lui portent. Sur une parole antérieure, une parole d'alliance, c'est-à-dire un engagement dans la durée et dans la solidarité.

Pas plus qu'il n'est né de deux individus disjoints, l'enfant n'est élevé par un homme et une femme indépendamment du lien qui les rend pleinement père et mère. Il serait donc tout à fait incohérent que la société, à travers ses acteurs et ses institutions, prétende se préoccuper de la solidité du lien parents-enfants tout en se désintéressant délibérément du lien entre les parents, autrement dit de la conjugalité.

Il relève de l'évidence que le mariage est à ce jour le fondement le plus solide et le plus cohérent pour la filiation. En dehors de ce cadre, la définition de la filiation est hésitante. Elle balance entre le critère dit biologique (terme appauvrissant) et le critère dit volontaire : autrement dit entre la mise en avant de la dimension génétique, du sang , d'une part, et la dimension adoptive, reposant sur la reconnaissance, d'autre part. En réalité, aucun de ces deux critères n'est suffisant pour fonder la parenté. Etre père ou mère engage plus que le génétique, plus aussi que la volonté. Dans le mariage, ces deux dimensions sont regroupées. Il réunit le volontaire et l'involontaire, le charnel et le spirituel, au total, d'emblée les trois dimensions de la parenté : corporelle, légale et domestique . En dehors du mariage, ces trois fonctions sont beaucoup plus souvent dissociées.

Le mariage crée ce que les juristes appellent un tronc commun généalogique , qui correspond à la constitution d'une nouvelle famille. Il offre d'emblée un cadre à la parenté. Les faits le confirment : les contestations de paternité sont beaucoup plus rares entre époux qu'entre concubins. Les deux tiers des demandes de modification concernant la filiation paternelle concernent les enfants nés hors mariage . Il y a une manière spécifique de contester le nouage essentiel que je viens d'évoquer, qui passe par la contestation de la place de la différence sexuelle au cœur du mariage ou au fondement de la filiation.

 

II- LE ROC DE LA DIFFERENCE

 

Des enquêtes montrent régulièrement qu'une majorité de nos concitoyens (58 %) seraient d'accord avec l'idée du mariage homosexuel, tandis qu'une majorité également (59 %) sont opposés à l'idée d'une adoption par les couples homosexuels. Ces deux données manifestent une incohérence, incohérence sur la base d'une ignorance.

J'ai évoqué en commençant l'incertitude sur la définition du mariage. Beaucoup donc y voient une reconnaissance sociale de l'amour. Mais telle n'est pas, je le répète, la définition anthropologique du mariage (dictionnaires et encyclopédies). Aujourd'hui encore, dans notre droit positif français, le mariage est de facto la fondation d'une famille. Il définit le lieu où seront accueillis des enfants.

Lors du pseudo mariage de Bègles le 5 juin 2005, a été lu l'article 213 du Code civil : Les époux assurent ensemble la direction morale et matérielle de la famille. Ils pourvoient à l'éducation des enfants et préparent leur avenir. La présomption de paternité demeure le cœur du mariage, affirmait encore en 1994 le doyen Jean Carbonnier.

Le fait que l'on puisse être mariés sans avoir d'enfants ou le fait que l'on puisse légitimer la filiation en dehors du mariage n'enlève rien à cette finalité intrinsèque. On entend très souvent des sophismes à ce propos. Si A implique B, cela n'est pas contredit par le fait que B n'implique pas A. Faire semblant de croire que l'on pourrait instituer le mariage entre homosexuels sans instituer la filiation relève de la duplicité. Cette distinction ne tiendrait pas longtemps et serait vite accusée de discrimination. La question du mariage renvoie donc à celle de la parenté, qui est la plus grave.

Avant d'aborder celle-ci, je veux quand même souligner que si le mariage entre personnes de même sexe était institué, ce serait un signifiant majeur qui se perdrait : nous n'aurions plus de terme pour dire l'union socialement reconnue de l'homme et de la femme, comme tels. Quelle que soit l'analyse que l'on puisse faire de l'homosexualité, force est de reconnaître que se joue entre un homme et une femme quelque chose de spécifique, qui ne se joue pas ailleurs. Le mariage est la célébration sociale de ce spécifique. Ce symbole majeur, cette mise en valeur solennelle, serait perdu si le sens du mariage était dilué dans toute sorte d'union. Pour parler comme les logiciens, en gagnant en extension, le terme perdrait en compréhension.

J'en viens maintenant à la parenté, commençant par deux points de méthode :

 

1/ En ce domaine plus qu'en tout autre, c'est de l'intérêt des enfants qu'il faut partir, et non de celui des adultes, de leurs désirs, leurs besoins, voire des scénarios issus de leur imaginaire. Ce n'est pas ici qu'il faut rappeler que la notion de droit à l'enfant est irrecevable. Même si elle n'est plus affichée comme telle, elle est pourtant présupposée par le recours au terme de discrimination.

 

2/ Il y a une différence entre prendre en compte certaines situations particulières existantes et instituer, c'est-à-dire définir par la loi, un cadre. S'il ne s'agissait que d'accompagner des situations, on pourrait toujours s'entendre. Il serait possible d'envisager la délégation d'autorité parentale ou la délégation de responsabilité parentale (proposition 58 du rapport Pécresse). Mais aménager, prendre en compte les situations réelles est une chose — instituer, c'est-à-dire définir par la loi un cadre a priori, apportant l'appui symbolique et social de la société à une forme de vie en est une autre.

Pour pallier, dit-on, à la situation de quelques milliers de couples ou d'enfants , il s'agirait de modifier des règles de filiation plurimillénaires, qui ne sont pas sans ancrage anthropologique. Une telle institution serait discriminatoire : en instituant la parenté monosexuée, sous prétexte de lutter contre une prétendue discrimination entre les adultes, on en créerait une autre, bien plus réelle et bien plus grave, entre les enfants.

En effet, il serait a priori prévu par la loi que des centaines de milliers d'enfants soient privés de trois biens fondamentaux :

 

a/ De la différence entre deux repères identificatoires, masculin et féminin, dans leur univers de croissance intime. Ni ne masculin ni le féminin — faut-il le rappeler — ne récapitulent tout l'humain. Qu'il soit garçon ou fille, l'enfant a donc besoin, pour la découverte de son identité d'un jeu subtil d'identification et différenciation avec ses deux instances paternelles et maternelles. Cela a été étudié avec minutie par une littérature scientifique surabondante. On sait par exemple que le petit garçon, au cours de sa deuxième année (entre quinze et vingt-quatre mois), a besoin de s'identifier à un père fort et masculin pour passer de la protoféminité initiale au développement de son identité mâle . On sait combien il est important, pour la petite fille, d'être admirée, cajolée, confirmée dans sa féminité par le regard paternel. Mais, par un étrange phénomène d'amnésie collective, le discours montant fait froidement table rase de tout cet acquis. Cela prouve bien le caractère passionnel et idéologique de la question.

 

b/ De la continuité, lorsque cela est possible, entre le couple procréateur et le couple éducateur. La quête douloureuse de leur origine par les enfants nés sous x , les difficultés propres à l'adoption indiquent bien que les ruptures dans l'histoire, les dissociations entre les différentes composantes de la parenté sont autant de complications dans la vie de l'enfant. Dès lors, il est souhaitable qu'à la discontinuité liée à l'adoption ne vienne pas s'ajouter une seconde discontinuité, à savoir la perte de l'analogie entre le couple d'origine et le couple éducateur. C'est a fortiori parce qu'il est adopté qu'un enfant a besoin d'un père et d'une mère qui ont intimement intégré le sens de la différence sexuelle .

 

c/ Le troisième bien élémentaire pour l'enfant sera une généalogie claire et cohérente, lisible. Nous sommes dans un système généalogique cognatique, c'est-à-dire à double lignée. Or on ne change pas un système de parenté millénaire par petites touches. Il forme un tout cohérent.

 

Certains politiques (tel M. Bayrou) prônent l'adoption simple, affirmant qu'elle ne crée pas de filiation. Tous les juristes savent qu'il y a là une contrevérité. L'adoption simple, même si elle n'a pas des effets aussi puissants que l'adoption plénière, vise à créer un lien de filiation entre l'adoptant et l'adopté. Il faut donc que cette filiation demeure plausible. C'est ainsi qu'une grand'mère ne peut adopter simplement ses petits enfants, à cause de la confusion des générations qui en résulterait. L'un des partenaires d'un pacte civil de solidarité ne peut non plus adopter l'autre. Ne pas tenir compte de cela reviendrait à détourner le sens de l'adoption. Par ailleurs, comment peut-on dire que la filiation d'origine est maintenue alors que, dans le premier cas d'adoption simple consenti à deux femmes lesbiennes en France, l'enfant avait été conçu par insémination artificielle ?

 

III- REPONSES A QUELQUES ARGUMENTS COURANTS

 

Dans mon ouvrage La Confusion des genres (Bayard), je présente dix-huit arguments couramment avancés par le lobby gay. J'en retiendrai six, esquissant pour chacun des éléments de réponse.

 

1/ L'important est que l'enfant puisse avoir un référent masculin ou féminin, qui jouera le rôle de pôle identificatoire, s'il ne l'a pas dans le couple parental.

 

Ce référent peut être un ami, ou un voisin, un oncle, un parrain... Il est évident qu'une telle instance peut être bénéfique et pallier partiellement certains manques. Qu'elle est à favoriser dans les cas de carence.

Mais cela n'empêche pas qu'il y ait carence. Le parent, père ou mère, n'est pas seulement un référent. L'enfant a avec lui ce que l'on appelle une relation d'origine . Il sent par toutes les fibres de son être que sa vie est passée, et continue d'une certaine manière à passer, par le corps de ces deux là. La relation au référent est surtout mentale, alors que la relation aux parents est foncièrement charnelle. Il n'est pas le fruit seulement de leur projet (terme à la mode), mais de leur désir, de leur union.

Etre né de l'union de deux corps, d'une rencontre est, pour l'enfant, constitutif de sa propre identité, de sa conscience de soi comme tiers, comme différent, comme autre, c'est-à-dire comme sujet. La relation à ces deux êtres aura toujours un caractère absolument singulier.

En vérité, la personne du père ou de la mère est beaucoup plus qu'une référence. La fonction éducative n'est pas la seule facette de la parenté . Elle est indissociable, en celle-ci, de la fonction généalogique qui inscrit l'enfant dans la chaîne des générations. Ce que les parents adoptifs font symboliquement et analogiquement.

 

2/ Avec les progrès de la science, la parenté est de moins en moins liée à la sexualité.

 

L'inscription de la parenté dans le corps est remise en cause d'une autre manière, qui sera le troisième argument à examiner : avec le développement des techniques de procréation médicalement assistée, l'ancrage corporel de la parenté serait de plus en plus mince. Certains présentent comme inéluctable la dissociation entre sexualité et procréation. Avec les progrès de la science, affirme Maurice Godelier, la sexualité n'est plus indispensable à la reproduction . Mais que peut-on conclure de ce n'est plus indispensable ?

Que la sexualité ne soit plus indispensable n'implique pas que l'ancrage de la reproduction dans les relations sexuelles ait perdu toute signification. Les techniques de procréation assistée, jusqu'à ce jour, visent à traiter des pathologies et non à contourner la façon la plus ordinaire de procréer. Que la naissance s'ancre dans la conception qui elle-même prolonge l'union sexuelle entre deux corps est lourd de sens et de valeur . Le psychanalyste Christian Flavigny le dit très clairement : La relation potentiellement procréatrice est le meilleur, sinon décisif, garant de la place symbolique dont a besoin l'enfant .

En revanche, la dissociation totale entre sexualité et procréation s'accompagne d'un cortège d'autres dissociations : entre couple et procréation, entre parentalité et parenté, entre procréation et filiation. Une brochure de l'Association des parents et futurs parents gays et lesbiens recense sept termes pour désigner les références parentales : parent biologique, parent légal, parent social, beau-parent, co-parent, second parent, mère-pour-autrui . Comment l'enfant se retrouvera-t-il dans un tel dédale ?

 

3/ Les couples homosexuels peuvent être aussi aimants que les couples hétérosexuels .

 

On ajoutera, pour faire bonne mesure, qu'un duo homosexuel aimant, tendre et responsable éduquera mieux un enfant qu'un couple hétérosexuel névrosé et pervers. Ce qui est incontestable. On sait à quelles incongruités peut conduire ce genre de raisonnement, où l'on introduit un biais dans la comparaison. Mais surtout, ce ne sont pas les capacités subjectives qui sont en question ici. Ce ne sont pas les situations particulières, qui peuvent varier à l'infini et qui ne peuvent être codifiées. Or il est bien question de codifier, ce qui ne peut avoir lieu qu'à l'égard de données objectives de base. Le romantisme ambiant met en avant la notion d'amour sans s'interroger sur son sens.

Que veut dire aimer ? Il ne s'agit pas seulement de sentiment. L'affection familiale peut être étouffante. Elle peut être source de confusions ou de relations fusionnelles. Elle peut être à coloration incestueuse. L'amour ne suffit pas , écrivait fort justement Bruno Bettelheim. Un livre récent a mis en lumière non seulement que l'amour ne suffit pas à structurer l'enfant, mais que trop d'amour peut être nocif. Lorsque la relation affective prend toute la place, les attentes et désirs des uns et des autres se confondent, s'entremêlent. La famille contemporaine tisse des liens enchevêtrés et étouffants .

Aimer ne consiste pas seulement à éprouver de l'affection, mais d'abord à vouloir activement les conditions objectives de la croissance de l'autre. Or les conditions de la croissance de l'enfant impliquent des places, des fonctions, des différences. La famille n'est pas seulement une nébuleuse de relations affectives, elle est une structure. Et les deux différences primordiales autour desquelles s'articulent toujours les structures élémentaires de la parenté sont la différence des sexes et la différence des générations .

Tous s'accordent aujourd'hui sur l'importance de l'interdit de l'inceste pour la structuration de la famille comme des personnes. Cet interdit dicte le respect d'une différence, d'une distance : entre proches parents et, tout spécialement, entre générations. Mais il faut souligner que ce respect n'est pas sans rapport avec l'intégration de la différence sexuelle au sein du couple parental. L'interdit de l'union à la mère dessine la place du père, l'interdit de l'union au père dessine la place de la mère. La relation est d'ailleurs réciproque : c'est la reconnaissance de cette place qui permet d'entendre l'interdit. C'est la structure qui définit la place, et non le sentiment. Qui dit place dit structure et qui dit structure dit différence .

Tant que la parenté n'est pas dissociée de la relation à l'origine, l'autre de la mère est en premier lieu le père, comme l'autre du père est en premier lieu la mère. En définitive, puisque pour les garçons comme pour les filles, le premier attachement a lieu envers la mère, le premier fruit de l'interdit de l'inceste (en même temps que son vecteur) est l'émergence de la fonction paternelle. On peut comprendre l'interdit de l'inceste comme l'exigence de faire advenir la paternité dans la relation mère-enfant . Le sens de la paternité est bien l'un des principaux enjeux des débats présents. L'homoparentalité est une homomaternité peut affirmer Michel Schneider .

 

4/ En cas de décès de leur parent légal, les enfants se retrouvent dans la situation d'un orphelin .

 

Cette affirmation n'est valide qu'en l'absence complète de l'autre parent-géniteur. Si celui-ci est inconnu ou décédé, la situation des enfants en question n'est pas différente de celle des veufs ou des veuves. Appelle-t-elle un traitement spécifique ?

Dans le cadre du droit actuel, des solutions existent pour que l'enfant ne soit pas voué à l'abandon. Le compagnon peut en effet effectuer différentes démarches :

 

• soit obtenir une délégation d'autorité parentale (du vivant du géniteur),

• soit, en cas de décès du père ou de la mère, être désigné comme tuteur par le juge des tutelles,

• soi, après ce décès encore, être déclaré père adoptif.

 

Pour pallier donc une situation éventuelle et très particulière, situation pour laquelle il existe d'ores et déjà d'autres solutions, l'adoption éventuellement rendue possible modifierait à l'échelle collective les règles de l'autorité parentale et de la filiation, qui structurent la généalogie de tout un peuple.

Des situations invraisemblables pourraient en découler : si, par hypothèse, l'adoption simple était permise à des partenaires homosexuels, l'enfant, bénéficiant par ailleurs d'une filiation naturelle (paternelle et maternelle), pourrait avoir trois lignées paternelles ! Deux lignées paternelles, ce serait déjà beaucoup pour un seul enfant. Tel est précisément le genre de situations contre lesquelles le droit actuel s'efforce de protéger les personnes et les familles. Les règles juridiques offrent des moyens pour éviter les conflits de paternité . Pourquoi aller créer par l'adoption ce que, par ailleurs, le droit de la filiation s'efforce d'empêcher ?

On ne fait pas de loi pour les cas d'exception. On légifère, en matière de filiation, pour le plus grand nombre. Ensuite, les cas particuliers trouvent leur solution par interprétation et adaptation des règles générales.

 

5/ La loi autorise l'adoption par un célibataire : pourquoi ne l'autoriserait-elle pas pour un couple monosexué ?

 

L'institution de l'adoption par un célibataire, légalisée en France depuis 1966, n'est pas nécessairement conforme aux intérêts de l'enfant . Cette loi n'est pas sans poser problèmes. Dire que l'adoption est une forme de filiation et l'autoriser pour un célibataire est contradictoire avec un principe fondamental du droit français, celui de la double filiation paternelle et maternelle. L'adoption par un célibataire crée une filiation unilinéaire. Ces limites étant repérées, le droit existe et il ouvre déjà bien des possibilités pour les personnes, quelle que soit leur situation matrimoniale, leur sexe et même leur orientation sexuelle.

Faut-il aller plus loin et instituer dans le droit le fait que deux femmes ou deux hommes puissent se trouver conjointement reconnus par la loi comme étant les deux parents de l'enfant ? Ce serait créer une double filiation paternelle ou maternelle, ce qui est contraire à toute notre tradition juridique et anthropologique.

Certains affirment que l'adoption simple, qui maintiendrait la filiation (hétérosexuée) d'origine serait un palliatif. En droit français, l'adoption simple est ambiguë : d'un côté elle s'offre pour régler des problèmes éducatifs ou de transmission des biens, maintenant la filiation d'origine, mais, de l'autre, elle crée une nouvelle filiation . Dans cette hypothèse, rappelons-le, un enfant pourrait bénéficier de trois lignées paternelles ou maternelles !

Malgré les limites qui lui sont propres, l'adoption par un seul individu crée un imbroglio moins grand. Mieux vaut que la carence propre à cette situation soit inscrite par le droit plutôt que faire semblant de traiter identiquement des réalités différentes. Redisons-le : dans l'adoption, même simple, il ne s'agit pas seulement d'éducation mais de filiation. Dès que l'on touche à la filiation, on touche aux structures de l'humain. Est impliqué non seulement du fonctionnel , mais du structurel .

Un système de parenté est une institution qui donne à chacun sa place. Il définit qui est qui par rapport à qui. Les confusions entre les places entraînent des confusions dans l'identité. Or, un tel système forme un tout. On ne peut le modifier par des dispositions marginales.

 

6/ L'argument statistique : Les enquêtes prouvent que...

 

Il n'est pas de débat à ce propos où l'on n'entende avancer péremptoirement que des études scientifiques américaines montrent qu'il n'y a pas de différence, quant au bien-être ou à la santé mentale des enfants, entre ceux qui sont élevés par des adultes homosexuels et ceux qui le sont par des adultes hétérosexuels .

 

Personne, généralement, n'ayant eu accès aux études en question, l'argument, qui ressemble à un argument d'autorité, laisse sans voix. Il vaut la peine d'aller voir de plus près. La bibliographie est extrêmement abondante, mais un long article de Charlotte Patterson recense une trentaine d'études antérieures . Il est lui-même repris dans la plupart des prises de position françaises, pour lesquelles il fait référence . Une lecture attentive de ce document et de quelques uns des articles recensés ne manque pas de laisser pour le moins perplexe.

Un premier étonnement porte sur la constitution même de l'échantillonnage des dites enquêtes . Le nombre de questionnaires est singulièrement restreint : de 11 à 38 dans les articles recensés par Charlotte Patterson, l'ordre de grandeur étant le même chez Stéphane Nadaud . L'âge des sujets interrogés ou concernés réserve également une déception : sur un tel enjeu, on peut s'attendre à ce que les difficultés apparaissent principalement au moment de l'adolescence. Il faudrait même aller jusqu'à l'âge adulte, prendre en compte l'intergénérationnel. Or, sur les dizaines d'études embrassées, deux seulement concernent des adolescents, de manière particulièrement laconique de surcroît. La très grande majorité des enquêtes porte sur de jeunes enfants, le plus souvent prépubères. L'intégration de la durée serait d'autant plus importante qu'elle tiendrait compte de la fragilité des couples, dont il est établi qu'elle est beaucoup plus grande entre sujets homosexuels .

Dans l'enquête de Stéphane Nadaud, on a la surprise de découvrir que, pour connaître le vécu des enfants concernés, ce sont exclusivement les parents , autrement dit les adultes, qui sont interrogés. L'étonnement redouble lorsque l'on apprend que les adultes en question sont des militants, tous choisis parmi les membres de l'Association des parents et futurs parents gays et lesbiens. On comprend que Caroline Eliacheff dénonce l'instrumentalisation de l'enfant à laquelle une telle démarche a bien des chances de donner lieu, enfants à qui l'on fait porter la responsabilité de valider les choix sexuels des parents en "allant bien" .

Le choix des situations concernées manifeste aussi un biais de taille. Charlotte Patterson annonce que la quasi-totalité des études comparent le comportement d'enfants élevés par une mère lesbienne à celui d'enfants élevés par une mère homosexuelle seule ou ayant divorcé. La justification est que les mères lesbiennes elles-mêmes sont généralement dans cette situation . Mais comment ne pas voir que les données sont tronquées si sont exclus de la comparaison les enfants élevés par deux parents dits hétérosexuels , autrement dit bénéficiant du double lien paternel et maternel ?

Sont à relever aussi les limites du contenu des questionnaires. Toutes ces études se présentent comme empiriques, systématiquement empiriques , même, selon Charlotte Patterson. Quiconque a pratiqué un tant soit peu l'épistémologie des sciences est dubitatif quant à l'idée d'un empirisme pur. Un questionnaire est nécessairement construit, selon des items qui sélectionnent certains critères. Or le choix de ces questionnaires est clair : il est celui d'une perspective comportementaliste et fonctionnaliste. On en reste à des gestes ou à des actes simples, élémentaires, facilement objectivables et même quantifiables .

Toutes les enquêtes reposent sur des questionnaires standard , qui ne permettent de repérer que des fonctions déterminées . Tout ce qui relève des capacités adaptatives est au premier plan. Telle est bien, en effet, l'option déterminante : un utilitarisme pragmatique, qui n'aborde les questions qu'en termes de confort ou selon les notions récurrentes de satisfaction et d' ajustement social . On en reste aux représentations conscientes, se gardant bien de s'aventurer du côté de l'inconscient ou de quelque psychologie des profondeurs. Le fonctionnel est explicitement opposé au structurel, en ce sens que la qualité des relations familiales est dite primer sur la structure de la famille. La psychanalyse pourtant va plus loin lorsqu'elle met en évidence une corrélation entre fonction et structure , l'une et l'autre étant définies par une place, un statut, signifiés par une loi .

Mais le principal sujet d'étonnement, et même de perte de crédibilité, de ces études vient du caractère absolument unilatéral des conclusions, les résultats allant tous dans le sens de la thèse annoncée, sans aucun contre-exemple, aucune réserve. À mesure que défilent les recensions d'enquêtes prétendument comparatives, la conclusion est toujours la même, telle un refrain : no difference . Plus même : les rares fois où apparaît une différence entre les deux populations, c'est toujours et exclusivement en faveur des enfants élevés par des mères lesbiennes . À trop vouloir prouver... Depuis Karl Popper, la falsifiabilité, c'est-à-dire la prise en compte des faits ou points de vue qui pourraient contredire la théorie est couramment considérée comme critère du caractère scientifique d'un discours. Avec Caroline Eliacheff encore, on ne peut que s'interroger sur le fait que ces enfants aient tous un comportement si adaptable. Si leur situation était aussi banale que l'on veut bien nous le présenter, les résultats devraient se distribuer selon une courbe de Gauss, comme cela doit être le cas dans une autre population .

Si enfin nous sommes attentifs à l'enjeu fondamental, à savoir la parenté, force est de relever un flou constant autour du sens des termes liés à celle-ci, ce qui donne lieu à de véritables détournements de sens. On joue sur la relative polyvalence des mots jusqu'à diluer totalement leur signification. Un article s'intitule : Les pères dans les formes récentes de famille : mâle ou femelle ? Chez Stéphane Nadaud se rencontre, par exemple, cette curieuse observation : Quant à la perception des parents par l'enfant, il semblerait que, dans les familles lesbiennes, celui-ci désigne les deux femmes comme ses parents, la mère sociale étant un parent comme le père (267). Nous voici là devant un beau paradoxe : la différence père-mère est à la fois affirmée et niée. Parent se donne comme un terme neutre, asexué, tandis que père est sexué. Comme le père n'est pas le père. Le père reste la référence mais, simultanément, il est dénié. De tels exemples de détournement du sens des mots seraient légion.

Chez les couples de mères lesbiennes, la mère biologique est distinguée de la mère sociale . Il est alors affirmé que plus la mère biologique a une attitude "paternelle" et la mère sociale une attitude "maternelle", plus grande est la satisfaction du couple et meilleur l'ajustement social de l'enfant . Mais que veut dire ici paternelle ou maternelle ? Les guillemets appuyés autour de ces deux termes soulignent qu'il s'agit de stéréotypes sociaux :

 

Les résultats indiquent que les mères biologiques ont une attitude plus centrée sur les soins apportés à l'enfant et les mères sociales sur les tâches extérieures. C'est d'ailleurs ce que reflète leur idéal de répartition des tâches, les mères biologiques se reconnaissant dans une attitude plus paternelle (relation de soin indirect avec l'enfant) et les mères sociales dans une attitude plus maternelle (relation de soin direct avec l'enfant) .

 

Des contradictions apparaissent dans cette citation : coquilles ou signes d'un flottement ? C'est bien ce que nous voulons souligner : dès lors que l'on veut penser la parenté — ou la parentalité — en dehors de tout ancrage corporel ou, pour le moins, de tout étayage institué de la différence, on en reste au flottement des représentations et de l'imaginaire.

À la différence de celui de parentalité , notion fonctionnelle et fonctionnaliste, les termes de paternité et maternité ne sont pas malléables à merci. Ils renvoient à l'incarnation. Or la chair est plus que le biologique. Elle est le lieu de la donation originaire de la vie, au-delà de la procréation. Paternité et maternité sont charnelles en ce qu'elles engagent toute la personne. L'articulation du réel de la chair à l'ordre du symbolique s'avère être un des enjeux fondamentaux de la parenté. À ce niveau, face à ce que Catherine Labrusse-Riou a pu appeler les manipulations de la filiation , s'impose ce que Pierre Legendre désigne comme l'inexorable de la structure . Autrement dit et pour l'essentiel, la question n'est pas : les enfants sont-ils assez résistants pour s'adapter aux désirs et à l'imaginaire des adultes ? mais : quelles sont les conditions qui leur donneront le plus de chances de déployer toutes les dimensions de leur humanité ?

 

IV- CONCLUSION ET ENJEUX DE SENS

 

1/ L'ancrage de la parenté dans le corps

 

La question est au fond très simple : cet ancrage est-il oui ou non source de sens et de valeur ?Autrement dit, lorsque dissociation il y a, est-ce 1/ un aléa de la vie, un accident, une difficulté ou 2/ un nouveau modèle de parenté ?

J'ai entendu un député, de la Commission d'information sur la famille, en 2005, affirmer : Désormais, il faut dissocier la filiation biologique et la filiation sociale. Nous sommes ici confrontés au courant de pensée qui met en avant le côté culturel et volontaire de la parenté, lequel aurait plus de valeur et de sens que son côté charnel, que l'on qualifiera volontiers de biologique , terme réducteur. Une juriste qui appelle de ses vœux une pratique comme celle des mères porteuses plaide dans ce sens. Il faut créer des règles capables de dépasser les données biologiques qui nous différencient . Pour Martine Gross, sociologue et militante,

 

L'homoparentalité fait exploser le modèle d'une parenté fondée sur le seul lien du sang. La révolution envisagée est que la parenté, et la filiation légale qui s'y rattache, soient dévolues à ceux qui s'engagent à exercer des fonctions parentales, tout en n'escamotant pas l'homme et la femme qui ont donné la vie s'ils sont différents des parents. Sexualité, procréation, parentalité ne coïncident plus systématiquement. Conjugalité, filiation parentalité non plus .

 

Ce texte est particulièrement significatif. Il y est clairement affirmé que c'est bien l'explosion d'un modèle qui est visée, et non seulement un aménagement pour des personnes qui veulent entrer dans le modèle existant. Par ailleurs, la dissociation entre les différentes dimensions de la parenté (et de la personne !) est clairement revendiquée. C'est ici qu'il faut avoir le courage de voir jusqu'au bout ce qu'impliquent de telles dissociations : elles sont inséparables de ruptures dans l'histoire de l'enfant. Enfin, il serait intéressant de se demander ce qu'implique ne pas escamoter ceux qui ont donné naissance. S'agit-il d'une simple information de l'enfant sur ses origines ? Certains, notamment du côté des partisans de l'adoption simple, insistent sur l'importance de ce savoir : que l'enfant se sache issu du corps d'un homme et d'une femme. Mais quel poids a un tel savoir au regard de ce qu'apporteraient des relations vivantes et incarnées ?

Ce qui nous menace, c'est ce que Christian Flavigny appelle la parenté artificielle , ancrée dans un projet programmatique, un vouloir, des techniques, mais non dans le désir sexuel lui-même. Que le désir homosexuel soit infécond n'est hélas pas sans causes ni sans signification. Ne pas désirer sexuellement le sexe avec lequel je pourrais être fécond, c'est avoir du mal à se situer soi-même dans la chaîne de la filiation. Les procréations médicalement assistées sont souvent un moyen technique de contourner des carences dont les facteurs touchent au plus profond de la personne. L'enfant est le fruit non seulement de la rencontre entre deux gamètes, entre deux corps — ce qui est déjà davantage — mais aussi entre deux désirs. Que signifie donc vouloir du sperme d'un homme mais pas de cet homme lui-même ? Le sperme n'est pas un simple matériau, une pure substance génétique. Qu'on le veuille ou non, il provient du corps d'un homme, qui a un visage, une histoire, des ascendants. Dans sa relation à son origine, dans ses recherches sur celles-ci, l'enfant sera habité par cela, il le percevra, consciemment et inconsciemment.

En réalité, étant donné que, dans la très grande majorité des cas, ce sont les couples de lesbiennes — et pour cause — qui recourent à ces méthodes, c'est la place de l'homme dans la fécondité qui est le plus profondément mise en cause dans ces innovations. La possibilité technique de la fécondation d'un ovule féminin par le patrimoine génétique d'une autre femme se rapproche de jour en jour. De plus en plus se répand l'idée que, ainsi qu'il a pu être dit dans un colloque, le mâle est un parasite de la femelle .

D'où un deuxième enjeu de sens :

 

2/ Le sens de la paternité

 

Celle-ci est la première victime de l'affaiblissement du sens de la différence et de la mise en veilleuse de l'institution matrimoniale. Entre paternité et institution, entre paternité et institution symbolique, il y a une solidarité intrinsèque. L'alternative en est une conception matricentrée, pour ne pas dire matriarcale, de la famille.

 

Un seul exemple. Septembre 2005, sur les ondes de France Inter. Un garçon élevé par un couple de lesbiennes est interrogé :

 

L'image du père vous a-t-elle manqué ?

— Oui et non... Il y a le côté matériel qui m'a manqué : par exemple comment se raser ? Après, le père, qu'est-ce qu'il amène de plus qu'une mère ? Je ne sais pas. Je pense qu'il apporte un côté machiste que je n'ai pas, et finalement je n'en suis pas mécontent.

 

3/ La signification même des mots

 

Coupés de leur ancrage charnel, les mots voient leur sens se diluer. Le langage devient fou. On pourra apprendre qu'une femme demande un congé de paternité ; on se demandera même, dans un article Nord-américain, s'il est nécessaire que le père soit nécessairement de sexe masculin . On remplacera, dans le Code civil québécois, le terme père par l'expression : auteur de l'apport de forces génétiques . Ce qui conduit le même Code à envisager la situation exotique suivante : Lorsque l'apport de forces génétiques se fait par relation sexuelle... !

 

Robert S. et Edwin L. ont le plaisir de vous faire part de la naissance de leur fille Yuna et de leur fils Alexandre, le vendredi 7 avril. Nous nous associons à la joie des deux papas .

 

Dans ce faire-part (publié par le bulletin de l'association David et Jonathan), que signifient donc les termes leur fille , leur fils , deux papas ? L'option subjective — désir, attachement, volonté — prime sur toute considération objective, c'est-à-dire sur l'ancrage dans le réel, qui est d'abord celui du corps. Il est vrai que le langage est créateur, et que la filiation humaine est sociale, instituée. Mais le langage ne peut pas se substituer au réel. Et cela est tout particulièrement vrai des réalités familiales, les plus incarnées qui soient. Paradoxalement, le soutien au symbolique et la reconnaissance de la place du corps vont de pair. L'humain est ainsi fait que les données les plus élémentaires de la vie corporelle, à commencer par celles de la naissance, ont besoin d'être instituées. Et réciproquement, les symboles ne gardent sens qu'en étant incarnés.

 

4/ Le juste rapport entre égalité et différence

 

Manifeste est la primauté, pour ne pas dire la suprématie de l'idée d'égalité dans une certaine culture démocratique systématique et vulgarisée. Cette mise en valeur est bien légitime. Le problème est qu'elle devient aussi une idée fixe , la pensée unique. Dès lors, elle opère comme un rouleau compresseur. Elle efface celle de différence. Toute différence est confondue avec une discrimination. L'égalité est confondue avec l'indifférenciation. Nous approchons alors de la société décrite par Tocqueville, proche d'une dérive totalitaire de la démocratie, où une société est composée uniquement d'individus interchangeables.

Myriam Revault d'Allonnes, lors de la session des Semaines sociales de France, en 2005, définissait le totalitarisme par deux traits : 1/ tabula rasa, table rase du passé ; 2/ tout est possible, forger un homme nouveau. C'est exactement ce que veulent et demandent certains militants.

Le contraire de cette dérive est l'attention au donné et, tout spécialement, ici, à l'ancrage corporel des liens familiaux. Rappeler la valeur de cet ancrage, ce n'est pas être conservateur, pas au mauvais sens du terme, du moins. Ou alors, c'est l'être en un sens légitime, souhaitable même : conservateurs de l'avenir, selon l'expression du cardinal Decourtray.

C'est affirmer que l'avenir a un autre visage que la volonté de puissance.

Nous prenons conscience de cela en matière d'écologie. Eco signifiant maison , il suffit d'appliquer ce souci de l'avenir au premier lieu écologique qu'est la famille.

 

X. L.*

 

 

 

*Professeur à l'Institut catholique de Lyon. A publié La Confusion des genres. Réponses à certaines demandes homosexuelles sur le mariage et l'adoption (Bayard, 2005). Vient de paraître chez le même éditeur : De chair et de parole. Fonder la famille .