Halloween, ad nauseam
Article rédigé par La Fondation de service politique, le 24 septembre 2008

DEPUIS QUELQUES ANNEES, au mois d'octobre, Halloween investit massivement les devantures des commerces et les espaces publicitaires. L'année 2002 n'a pas dérogé au phénomène. Mais la contestation monte, s'amplifie année après année, au point même de revivifier la fête de la Toussaint.

De nombreux Français s'interrogent : peut-on se réjouir de voir le laid, le monstrueux et le morbide envahir sans partage, sans échappatoire, sans alternative, même quelques semaines, notre société ? N'est-il pas normal d'en redouter certains effets sur les enfants, qui en constituent la cible principale ? Comment rester insensible devant l'imprégnation psychologique qui ne peut manquer de toucher ces sensibilités naissantes ? Dans un monde où la violence, l'incompréhension, le mépris d'autrui émaillent notre quotidien, Halloween ne renforce-t-elle pas la dureté des liens sociaux ? Ne rien dire, n'est-ce pas se rendre complice ? Enfin, pour les chrétiens, n'y a-t-il pas là un devoir sacré de mobilisation contre cette fête ambiguë de la mort, à l'opposé du message du Christ, de la victoire de la vie et de la transfiguration du monde afin que resplendisse Sa lumière ? Pour cela, il nous faut d'abord comprendre cette fête, ce qu'elle exprime, son histoire et son développement en France afin d'en mesurer la portée.

 

L'arrivée d'Halloween en France

 

Au milieu du XIXe siècle, les Irlandais émigrent en masse aux États-Unis à la suite de la terrible famine de 1846-1849 qui fera un million de morts. En 1930, environ quatre millions d'entre eux sont devenus américains. La communauté irlandaise s'organise en lobby efficace. Rapidement, elle contrôle de nombreuses municipalités à l'est du pays ; ses traditions s'installent. Selon Jean Markale, Halloween est née d'un mélange de coutumes irlandaises et écossaises : " L'état d'esprit catholique irlandais, centré sur l'aide à apporter aux défunts, s'est matérialisé en quelque sorte avec les cortèges grotesques issus d'une Écosse trop puritaine pour prendre au sérieux la présence effective des ancêtres ou des parents le soir d'Halloween . " La fête se répand dans les milieux anglo-saxons pour s'imposer définitivement au début du xxe siècle. Elle s'implante au Québec entre 1920 et 1930.

En 1999, d'après une enquête de la National Retail Federation (Fédération du commerce), chaque Américain a dépensé en moyenne une centaine de dollars (entre 700 et 750 francs, ou 110 à 120 euros) pour honorer Halloween. Le chiffre d'affaires de la fête avoisine 5 milliards de dollars, soit six milliards d'euros (35 à 40 milliards de francs) . Les enjeux financiers sont énormes.

Jusqu'au début des années quatre-vingt-dix, Halloween est inconnue de la plupart des Français. Elle est seulement fêtée dans quelques milieux très restreints qui vivent à l'heure américaine, comme dans les bars branchés des grandes villes. En 1992, la société César, spécialisée dans le déguisement, travaille sur Halloween pour l'implanter dans l'Hexagone. La fête est idéalement placée. Entre la rentrée de septembre et Noël, octobre et novembre constituent une période creuse pour le commerce.

À partir de 1995, Halloween se fête modestement dans quelques villes de l'Est de la France. En 1996, la société César sort une première gamme de produits spécialisés. Les réjouissances halloweeniennes commencent à s'établir. Néanmoins, elle demeure marginale. Des équipes de publicitaires travaillent sur le concept pour l'acclimater en France. Des spécialistes du symbolisme et de l'ésotérisme sont consultés.

1997 est l'année du grand lancement : l'offensive sera massive. France Télécom commercialise le téléphone portable Olaween ; pour frapper les imaginations, elle fait placer plus de 8000 citrouilles à Paris, au Trocadéro. Les ventes du portable augmentent de 25 %. Une campagne publicitaire aux moyens grandioses fait découvrir Halloween à la majorité des Français.

 

Le succès d'une fête de la consommation

 

À partir de 1997, le déferlement commercial est total. De nombreuses entreprises et commerces s'emparent de la nouvelle mode et démultiplie l'engouement populaire. Le chiffre d'affaires Halloween de la société César explose : 600.000 F en 1996, 30 millions en 1998, 60 millions en 1999. La société devient un groupe international. En 1997, elle rachète le numéro deux du déguisement aux États-Unis, Disguise, dont la totalité du chiffre d'affaires est réalisée avec Halloween. César prend également le contrôle de sociétés anglaise (Dekkertoys), espagnole (Josman), allemande (Hilka), italienne (Joker).

Le marché français augmente considérablement. Il rapporte 250 millions de francs en 1998, 400 millions en 1999. Mais nous sommes encore loin des chiffres américains (dix-huit fois plus élevé !) On comprend dès lors l'intérêt des marchands. En 1999, d'après une enquête réalisée par l'institut CSA/TMO, 31 % des ménages français ont célébré Halloween, 27 % ont réalisé des achats pour la fête, la dépense moyenne s'élevant à 24 euros.

Les entreprises américaines se sont évidemment mobilisées : Disneyland Paris (deux soirées spéciales en 1999, trois en 2000, la période du 1er octobre au 4 novembre 2001), Coca-Cola (à Paris et dans huit villes en 2000 avec La Nuit des morts de soif ; opérations dans les 220 Carrefours de France en 2000), McDonald's (un masque gratuit avec chaque menu Halloween), United Biscuit (choco BN Vampire), Mars Alimentaire (qui fournit aux enfants des cartes de " démon officiel " qui ont suscité de nombreuses protestations), etc. D'autres sociétés ont emboîté le pas comme Yves Rocher (23-31 octobre 2000 : La Semaine diabolique), les Galeries Lafayette, Etam, Marks and Spencer, Nestlé, Pier Import, Foir'Fouille, etc. Les distributeurs ne sont pas en reste : Monoprix (Le Centre-ville est ensorcelé), Continent (Rêve d'Halloween), Prisunic, Système U, Carrefour, à Auchan, outre des stands de ventes spéciaux Halloween et d'autres de maquillage gratuit des enfants, les caissières sont déguisées en sorcières.

De multiples soirées sont organisées dans des discothèques, parfois plusieurs nuits de suite. Les nouveaux produits spéciaux Halloween défient l'imagination : outre la décoration et le déguisement, on découvre eaux, bières, cidres, limonades, shampoings, salades, tartes flambées, pâtes, soupes, pyjamas, etc., et jusqu'au papier hygiénique (Lotus en 2001) !

Dans de nombreuses villes, surtout dans l'est de la France, l'union locale des commerçants organise des animations spéciales : jeux, tombolas, défilés avec remise de prix, vitrines Halloween, etc. Certaines villes comme Biarritz patronnent des manifestations. Ainsi, en 2001, pour le festival Halloween de Biarritz, une " maison hantée " a été construite au centre-ville ; au programme : soirées de films d'horreur, défilés de monstres, boums pour les enfants à partir de six ans. Enfin Halloween s'introduit dans de très nombreuses écoles primaires. Les enfants découvrent et explorent le monde des sorciers et des sorcières.

 

De la critique à l'indignation

 

La déferlante Halloween a été soudaine. Beaucoup de Français ont affiché leur perplexité devant cette exaltation de l'horreur, du laid et du monstrueux. Après un premier temps de stupéfaction, les réactions défavorables et les analyses critiques se sont multipliées, témoignant un agacement certain face à une fête à l'esprit pour le moins discutable, sans parler de sa dimension mercantile.

Ces réactions proviennent de tous les milieux et de toutes les sensibilités. Croyants ou incroyants, milieux intellectuels ou non, médias de gauche, comme Libération, l'Humanité, le Nouvel Observateur ou de droite comme le Figaro, tous critiquent et dénoncent Halloween. Parmi les rares hommes politiques à s'indigner, Philippe Seguin se dit " sidéré " par " ce mouvement d'uniformisation du monde, d'uniformisation culturelle qui, à nos yeux, est un danger " (le 29 octobre 1998 sur France 2) ; Christine Boutin y voit " une mascarade macabre " (Le Figaro du 29 octobre 1999).

Pour beaucoup, cette uniformisation est une américanisation des mœurs. Dans un article paru dans Le Monde diplomatique d'août 1998 , intitulé " Vers une société universelle de consommateurs – Culture Mcworld contre démocratie ", Benjamin R. Barber affirme : " L'apparition soudaine de Halloween comme nouvelle fête française pour stimuler le commerce dans la période de calme plat qui précède Noël n'est que l'exemple le plus consternant de cette tendance à l'américanisation. " Dans Le Figaro du 31 octobre 1998, Gérard Leclerc dénonce la récupération mercantile : " Il faut être tombé bien bas pour offrir à nos gosses ce piteux rappel de nos carnavals d'antan, avec cette façon grotesque d'évoquer la hantise de la mort et tout le cortège des vieilles terreurs. L'argent a-t-il donc tout récupéré, jusqu'au sacré ? "

Deux ans plus tard, le sociologue Pascal Lardellier stigmatise " le cheval de Troie de l'économie et de l'idéologie américaines " : ces fêtes importées " vidées ici de leur substance, deviennent des produits de grande consommation. " Halloween " promue ad nauseam ", témoigne de " la violence symbolique de cette américanisation planétaire, économique, politique, sociale et culturelle " (Libération du 1er novembre 2000). Pour le professeur de communication, l'exploitation est commerciale, mais le danger est idéologique : " Il est inquiétant de constater, sans vouloir paraître rétrograde, combien cette journée, qui jouxte deux autres fêtes des morts et du souvenir, la Toussaint et le 11 novembre, est en train de se substituer à celles-ci avec une facilité déconcertante auprès des jeunes générations. " Il conclue sur ce qui s'avère, au sens propre, une subversion : " L'émergence forte d'Halloween et de tous les "événements" sponsorisés s'en rapprochant (tels les lancements des superproductions américaines) confirme en tout cas qu'un calendrier avant tout économique se substitue maintenant aux fêtes religieuses et républicaines traditionnelles. "

Les anarchistes ne sont pas en reste, qui y voient " le signe du libéralisme triomphant " (sur le site internet de la Fédération anarchiste), même s'ils se distinguent en jetant Halloween dans le même bain que la Toussaint. Pour d'autres, le succès d'Halloween fait presque regretter le recul de la Toussaint. C'est le cas de François Reynaert, dans Le Nouvel Observateur (16 novembre 2000, n 1880), qui lance un véritable cri d'alarme : " Halloween est donc en passe de détrôner la Toussaint, mais se rend-on compte du cauchemar que cela nous annonce ? Déjà, jusqu'alors, commencer tous les mois de novembre par ce grand rite funéraire était sinistre . Quand il faudra, dès l'année prochaine, aller faire à nouveau la tournée des cimetières, mais déguisés en squelette, pour aller déposer sur les tombes de nos disparus des grosses citrouilles en plastique marquées "Ton Shopi fête les sorcières", pour le coup, c'est clair, ça sera l'horreur. "

Dans Le Monde du 2 novembre 2000, Jean-Michel Normand analyse une autre cause du succès d'Halloween : le désir d'avoir peur. " Le syndrome du "fais-moi peur" garnit les bibliothèques, remplit les salles de cinéma, fait exploser les ventes de déguisements et de sucreries. Sans parler de la publicité, qui s'en est emparée. Bref, la "trouille" fait vendre. " Ensuite, il énumère quelques uns des produits phares de ce commerce : la fausse chaise électrique, qui vibre lorsque l'on s'assied dessus (seulement disponible aux États-Unis pour le moment), les séries d'ouvrages, comme la collection " Chair de poule " aux éditions Bayard (12 millions d'exemplaires vendus en novembre 2000), livres utilisés dans les écoles pour préparer Halloween, les feuilletons télévisés, les films d'horreur et d'épouvante.

D'autres réactions sont moins analytiques, plus épidermiques. Régine Deforges réprouve " cette manifestation qui nous arrive des États-Unis comme beaucoup d'autres bêtises, et que je déteste. Quant à la couleur orange, je l'ai en aversion " (L'Humanité, 25 octobre 2000).

 

Critiques chrétiennes

 

Les croyants, essentiellement les chrétiens, catholiques, protestants et orthodoxes, contre-attaquent, surtout à partir de l'année 2000. Ils refusent et rejettent une fête qui magnifie ce qui s'identifie plus ou moins au satanisme et au mal : sorcellerie, démons, horreur, comportements criminels, goût du morbide et du laid. Les autorités religieuses posent une réflexion sur le sens de cette fête. Mgr Hippolyte Simon, évêque de Clermont-Ferrand et vice-président de la Conférence épiscopale, s'étonne dans Œcuménisme-Informations (n 309, novembre 2000) : " On n'imagine pas, par exemple, qu'une institutrice conduise sa classe dans une église pour lui faire découvrir un vitrail relatif à la Toussaint et lui explique le sens de cette fête chrétienne. Ce serait perçu comme une démarche religieuse et certains parents ne l'accepteraient pas. [] Par contre, à en juger par ce qui se passe dans de nombreuses écoles il est admis que l'on fête Halloween. " Pour le prélat, Halloween et la Toussaint sont aux antipodes l'une de l'autre : " Les signes y sont inversés. Pour l'une, la mort est une fatalité, on peut seulement la tourner en dérision. [] Pour l'autre, la mort est une réalité qu'il faut savoir assumer. Mais elle est un passage. À la suite du Christ ressuscité, nous sommes en route vers la Cité sainte où nous attend la foule immense de ceux que le Seigneur a sanctifiés. "

Mgr André Vingt-Trois, évêque de Tours, s'interroge sur les vertus pédagogiques de l'opération : " Est-il plus sain pour l'intelligence des enfants de fantasmer sur les sorcières ou de connaître l'histoire des grands saints qui ont façonné notre patrimoine culturel ? " Le 20 octobre 2000, le Père Stanislas Lalanne, porte-parole de la Conférences des évêques de France, publie un communiqué très ferme . Que prépare ces " mascarades " en dénaturant le sens de la vie et de la mort ? Il met les adultes devant leurs responsabilités : " Que des éducateurs jouent avec l'inconscient [des enfants] et leur crédulité est un problème beaucoup plus grave. Les enfants, confrontés tous les jours aux images de guerre et de morts d'enfants diffusées par la télévision, méritent pourtant qu'on leur parle de la mort en vérité et en famille. "

Le pasteur Jean-Arnold de Clermont, président de la Fédération protestante de France, dit sa surprise " considérable " de voir l'Éducation nationale " s'engouffrer " derrière Halloween " pour en faire sans aucun discernement une fête d'école qui joue un peu sur la peur, un peu sur l'extraordinaire, un peu sur le surnaturel " . Sur l'Internet, on trouve la traduction française d'un texte de Mgr Cyrille de Seattle, évêque orthodoxe de l'Église russe hors-frontières, qui est encore plus sévère : " Il importe de prendre conscience du danger spirituel que représente un tel acte. [...] Du point de vue chrétien-orthodoxe, la participation à cette pratique est impossible et constitue en fait une forme d'idolâtrie, véritable trahison à Dieu et à notre sainte Foi. " Recommandation aux parents : " Enseignez vos enfants. [] S'il le faut, qu'ils n'aillent pas à l'école ce jour-là, pour ne pas participer aux préparatifs de cette fête. "

Des initiatives sont organisées " sur le terrain " par des associations catholiques et protestantes. À Saint-Raphaël, dans le Var, des prêtres organisent une manifestation d'enfants et de parents, écœurés par la " tapage " de cette fête : " Nous devons avoir d'autres choses à proposer aux enfants qu'un festival macabre. " (Reuters, 25 octobre 2000). Un religieux observe : " On ne peut pas fêter à la fois Halloween et la Toussaint. Une fête est dédiée à la mort, l'autre à la vie, on ne peut pas tout mélanger sous prétexte d'amusement. " Le Comité protestant évangélique pour la dignité humaine orchestre lui une campagne ciblée contre les cartes de " démon officiel " diffusées par Mars Alimentaire (Mars, Bounty, M&M, Twix). En achetant ces friandises, les enfants collectionnaient les cartes invitant à " confectionner un déguisement effrayant, écrire sur la carte son surnom démoniaque, sa signature d'enfer et être lu et approuvé par le maître des démons : Loucifer. L'enfant s'engageait à "dévoiler son côté démon et à faire et à dire plein de choses monstrueuses" " (Le Spectacle du monde, n 462, novembre 2000). La société Mars Alimentaire a reçu des dizaines de milliers de lettres de protestation. Sur l'Internet, où les sites anti-Halloween sont nombreux, circule une " cyber-pétition " anti-Halloween . On y lit notamment que " ces pratiques ne sont pas neutres car elles dirigent tout droit nos enfants vers l'occultisme et elles sont dangereuses pour leur équilibre psychologique et psychique. Nous ne voulons pas que nos enfants apprennent "le langage des horreurs" ni qu'ils "soient des démons", même pour "rire". Pour nos enfants, nous voulons la promotion de valeurs positives et constructives de leur personnalité. "

Des alternatives sont parfois proposées. Certains souhaitent redonner un éclat plus vif à la fête de tous les saints. Ainsi, à Montpellier, au Cours Notre-Dame, la directrice, les enseignants et les parents organise depuis deux ans une grande fête pour la Toussaint . Au cours de celle-ci, chaque enfant revêt l'habit de son saint patron dont il expose brièvement l'histoire au cours d'un défilé.

 

2001 : un reflux d'Halloween ?

 

En 2001, Halloween s'est déroulée dans un contexte bien particulier : quelques semaines après les attentats du 11 septembre aux États-Unis. Dans ces circonstances, célébrer la mort, le crime, exhiber des squelettes et des créatures monstrueuses et sanguinolentes, était pour le moins de fort mauvais goût. De plus, les menaces d'attentats contre les rassemblements étaient toujours d'actualité. Mais les marchands n'ont pas renoncé, ils se sont juste montrés plus discrets. Aux États-Unis, les masques d'horreur se sont moins vendus. Les costumes étaient plus patriotiques (oncle Sam, statue de la Liberté, soldats, pompiers, etc.). Lors du défilé new-yorkais à Greenwich Village, participants et spectateurs étaient moins nombreux. À Boston, les adultes ont reçu pour consigne de ne pas laisser sortir les enfants dans la soirée. Les collectes de friandises par les enfants ont été très surveillées. Des sondages ont rapportés qu'un tiers des parents ont refusé que leurs enfants fassent du porte à porte . En France, la plupart des commerçants sont entrés dans Halloween à la fin du mois d'octobre, en retard par rapport aux années précédentes. Les vitrines étaient plus discrètes.

En revanche, Halloween a commencé à se répandre en Europe de l'Est. C'est en République tchèque, à Prague, que le phénomène semble le mieux attesté, même si " dans l'ensemble, les Tchèques et les Slovaques y voient un avatar de la mondialisation et de "l'américanisation" de leur pays ". En Pologne, la fête concerne surtout les discothèques et les clubs d'étudiants. On notera que dans ce pays la chaîne de distribution française Casino/Géant n'a pas proposé des produits Halloween en raison de la situation internationale, à l'inverse de Carrefour.

C'est aussi en 2001 que les initiatives anti-Halloween se sont amplifiées. Un Collectif non à Halloween se crée, soutenu par le Père Guy Gilbert, le " prêtre des loubards ". À l'origine de nombreuses conférences et manifestations, il diffuse informations et réflexions critiques, abondamment reprises par les médias. Le Comité protestant évangélique pour la dignité humaine et l'association Contrefort feront paraître un quatre pages tiré à plusieurs dizaines de milliers d'exemplaires, Halloween express, dont l'édition sera rapidement épuisée.

Halloween s'inscrit dans le prolongement d'évènements suscités par la société de consommation. Aux fêtes religieuses ou liées à la mémoire du pays, succèdent actuellement des fêtes bruyantes quasiment claniques, expressions de " communautés " particulières, comme la Gay pride, la Techno parade, la Love parade. On assiste à des réjouissances de substitution : la fête de la musique remplace les feux de la saint Jean d'été. En revanche, les tentatives de lancement de nouvelles festivités calquées sur la fête des mères, créée en 1941, échouent. La fête des grands-mères ou celle des secrétaires ont fait un flop. Halloween relève d'un autre genre. Comme la saint Valentin, elle a des racines traditionnelles lointaines, mais la mémoire populaire est complètement détournée de son sens. Coupée de son histoire, la fête devient objet de consommation de masse. La dernière tentative en date est la Saint Patrick. Cette opération a connu un début de réussite avec les " nuits celtiques " au stade de France les 15 et 16 mars 2002, qui ont rassemblé près de 100.000 personnes.

 

Le retour de la Toussaint

 

L'amorce du reflux d'Halloween sera peut-être 2002. La contestation ébauchée les années précédentes s'est confirmée. Les manifestations anti-Halloween se sont multipliées. Le débat s'est élevé d'un ton avec la parution d'essais critiques proposant une lecture plus approfondie du phénomène, comme celle du journaliste Damien Le Guay, La Face cachée d'Halloween (Cerf). En outre, l'alternative chrétienne a retrouvé de la vigueur avec la redécouverte de la Toussaint. De nombreuses initiatives visant à célébrer la joie de cette fête — trop souvent confondue avec celle des défunts, le 2 novembre — ont mobilisé de nombreux fidèles, qui ont saisi l'occasion pour faire œuvre d'évangélisation : défilé de bannières , journée de prière et de mission dans les rues avec l'opération Holy Wins des jeunes du diocèse de Paris... Une paroisse de Paris a même déniché une recette de " gâteaux de la Toussaint ", datant du XVIIIe siècle, qu'elle propose aux pâtisseries qui se font ainsi les relais de l'Église pour honorer la mémoire de nos saints : l'opération s'est répandue dans toute l'Ile-de-France .

Sommes-nous à un tournant ? Les années à venir nous diront si Halloween fut une mode violente et passagère ou le signe d'un mal plus profond. La fin de cette fête macabre n'est certes pas pour demain, mais 2002 sera sans doute l'année d'une prise de conscience.

CH. L.

 

Encadré :

 

SUR L'ORIGINE ET LE SENS D'HALLOWEEN

 

Durant la fête irlandaise de Samain, la séparation d'avec l'Au-delà n'est pas étanche, c'est le seul point commun que nous pouvons établir entre celle-ci et Halloween. Mais l'Au-delà des Celtes et celui auquel fait référence Halloween (squelettes, fantômes, monstres divers, etc.) sont totalement étrangers l'un à l'autre. Il y a même inversion si l'on songe aux belles messagères de l'Au-delà — le Sid — des récits irlandais. De plus, les festivités et l'état d'esprit de la fête irlandaise pré-chrétienne étaient tout autant différents. Par le sens et la forme, il n'est donc guère possible de déceler la filiation celtique d'Halloween (quant aux Gaulois, on ne sait pas s'ils fêtaient Samain).

Certes, les défilés et les cortèges de personnages revêtus de masques et de costumes effrayants ont toujours existé dans les traditions européennes (1). Mais ceux-ci avaient principalement lieu durant la période de douze jours qui s'étend du 25 décembre au 6 janvier. C'est le cas des Kallikantzari en Grèce (Lykokantzari en Laconie), des Rogatsia ou Rogatsaria en Thessalie et en Macédoine, de la coutume appelée Brezaïa en Roumanie, ou encore des Silversterkläuse à Appenzel en Suisse. Les dernières apparitions de personnages monstrueux se retrouvent dans les carnavals des pays germaniques. En outre, ces coutumes n'avaient pas le caractère morbide d'Halloween et relevaient, en ce moment périlleux de l'année où l'on ne sait pas qui va l'emporter des ténèbres ou de la lumière, d'une théâtralisation de la présence et de l'action des démons dans un monde où l'obscurité semble prendre le dessus. Il y a là une pédagogie qui invite à prendre conscience du sens de notre existence et de la nature de notre monde visible et invisible.

 

Une fausse fête

Pour Christian-J. Guyonvarc'h et Françoise Le Roux (2), la fête est " concentration du sacré en un temps et un lieu donnés ". Par la fête, l'être humain participe pleinement au sacré et peut recevoir ainsi les influences bénéfiques des divinités invoquées. Dans Le Sacré et le Profane, Mircea Eliade montre que la fête est bien plus que la commémoration d'un événement mythique (3). Elle est la réactualisation de celui-ci, sa recréation et, par-delà, une participation à celui-ci. Elle rend présent à cette réalité ceux qui y participent et offre ainsi la possibilité de devenir les acteurs engagés d'un acte capital, et même vital, pour notre monde. Ainsi, à Pâques, nous ne sommes pas spectateurs, mais nous vivons la Passion avec le Christ, selon la mesure de notre Foi, nous sommes crucifiés avec Lui, nous mourrons avec Lui, nous ressuscitons avec Lui. Saint Paul (Romains 6, 4-6) le proclame : " Nous avons donc été ensevelis avec Lui par le baptême dans la mort, afin que, comme le Christ est ressuscité des morts par la gloire du Père, nous vivions nous aussi dans une vie nouvelle. Car si c'est un même être avec le Christ que nous sommes devenus par une mort semblable à la sienne, nous le serons aussi par une résurrection semblable ; comprenons-le, notre vieil homme a été crucifié avec Lui [...]. "

Sachant cela, à quoi nous fait donc participer Halloween ? À quelle édification concourent ceux qui se livrent à ces mascarades morbides et mortifères ? À quelle réalité se rattachent-ils ? Quelles énergies propagent-ils ? Quelle est leur influence spirituelle ? Quel monde veut-on instaurer ?

Toute fête s'insère dans un cycle liturgique, la plupart du temps annuel. Elle n'a de sens et de valeur que reliée aux autres fêtes de l'année. Le cycle annuel présente une totalité, une unité, dont chaque fête est un aspect et une partie. Ainsi la Nativité — l'Incarnation — trouve son accomplissement à Pâques avec la Résurrection. Les autres temps forts de l'année nous fournissent d'autres enseignements utiles à la compréhension du lien entre la Terre et le Ciel.

Halloween n'est pas l'étape d'un parcours ascensionnel. Elle nous introduit dans un monde sinistre. Elle n'a aucune légitimité religieuse, ni communautaire. Sa signification ne dépasse pas les intérêts commerciaux qui y sont liés et le seul calendrier où elle trouve sa place est celui de la société de consommation. À cela s'ajoute le plaisir morbide qu'éprouvent certaines personnes à célébrer la mort — et par-delà toute destruction —, le crime, le laid et le monstrueux. Nous sommes ici loin d'une inoffensive exorcisation des peurs, comme c'est le cas pour les enfants avec les histoires de loups garous. Quels sont donc les ressorts psychologiques ou les impulsions spirituelles d'un tel engouement pour Halloween ? Il n'y a là aucune élévation, aucune libération, aucune espérance, aucune lumière.

 

CH. L.

 

 

(1) Sur ce sujet, voir d'Yvonne de Silke, Fêtes et Croyances populaires en Europe, Paris, Bordas, 1994.

(2) Dans Les Fêtes celtiques, Rennes, Éditions Ouest-France, 1995, p. 26.

(3) Paris, Gallimard, 1965.