Le Pacs : un drame en attente de dénouement
Article rédigé par La Fondation de service politique, le 24 septembre 2008

Deux puissances se disputent la conduite des communautés humaines : ce sont la liberté individuelle et l'ordre social. L'Europe se distingue par le respect égal qu'elle porte à chacune. Ailleurs, l'ordre écrase de tout son poids les timides velléités de la liberté puis s'endort dans une interminable immobilité ; en quelques lieux, c'est la liberté qui bouscule l'ordre ; l'ayant détruit, elle finit en anarchie stérile.

Jusqu'à présent, notre continent a échappé à ces dangers jumeaux. Jamais depuis mille ans, aucune des deux puissances n'y a pu étouffer l'autre. Leur équilibre harmonieux, atteint aux heures les plus belles de notre histoire, a été la source de notre fécondité et la cause de notre grandeur. Mais le plus souvent, la tension a marqué leurs relations. Lorsque cette tension devient trop forte et qu'un déséquilibre menace, l'Europe s'enfonce dans les disputes les plus passionnées, les plus violentes qui soient au monde. De temps à autre, leurs enjeux intéressent l'humanité entière.

Le Pacs a ouvert une dispute de ce genre. Il est peu probable qu'elle prenne un sens universel. Mais comme toutes celles qui l'ont précédée, elle se déroule à la manière d'un drame de théâtre, cette autre invention européenne : une action douloureuse, où le comique se mêle au tragique, dresse des personnages les uns contre les autres. Des paroxysmes, des accalmies, des rebondissements inattendus, conduisent à un dénouement qui surprend toujours le spectateur.

La pièce du Pacs a commencé par la venue sur scène de la liberté individuelle : elle a réclamé bruyamment des droits nouveaux. Elle s'est heurtée à l'ordre social qui est accouru présenter les siens. Le premier acte s'est achevé il y a deux ans. Il a été bref. À la fin la liberté a semblé gagner. Elle a fait plier l'ordre. Mais le drame du Pacs est-il terminé ? Nul ne peut l'affirmer. Ce spectacle a remué le public plus qu'aucun autre depuis un quart de siècle ; il ne demande qu'à rebondir à la première occasion. Nous sommes loin du dénouement.

 

Quel ordre social nous avons défendu

 

Avant qu'un second acte relance l'intrigue et fasse entrer en scène de nouveaux rôles, je crois utile d'offrir mon témoignage, celui d'un participant au premier épisode. Les circonstances ont voulu que je fusse un porte parole de l'" ordre ". Les pages qui suivent retracent ce que j'ai pensé, ce que j'ai voulu et ce que j'ai vu. Leur intérêt vient de ce que 20 000 maires de France se sont reconnus dans ma personne. Leur valeur vient de ce qu'elles sont livrées ici sans précaution : la suite du drame m'est inconnue et le dénouement final m'est un mystère. Je n'ai d'autre protection que l'honnêteté de ma pensée et l'exactitude de mes souvenirs.

Dans la longue et dure bataille d'opinion que j'ai menée pendant douze mois, j'espérais un dialogue serein. Il a été impossible. Mes paroles n'ont pas fait réfléchir mes adversaires ; elles les ont scandalisés : de quel droit me mêlais-je de leur vie intime ? Dans quel ordre moral étriqué prétendais-je enfermer leur liberté ? Rien ne m'a été plus pénible que les protestations outragées de certains hommes de bonne foi. Je sais que leurs blessures sont toujours à vif. Puisse ma déposition d'aujourd'hui ne pas élargir leurs plaies !

Je tiens du moins à affirmer au nom des maires de France qui ont bien voulu me considérer comme leur représentant, que nous n'avons jamais insulté ni rejeté une personne au motif qu'elle était homosexuelle. Nous avons assez d'expérience humaine et suffisamment de respect des différences (autrement, comment pourrions-nous exercer notre charge ?) pour savoir que l'état homosexuel est source d'angoisses, de souffrances et d'humiliations : il appelle de notre part une écoute généreuse. Pour autant, la société nous a confié d'autres obligations. Puisqu'il y a eu conflit entre deux devoirs, nous avons dû trancher. Dans notre immense majorité, nous avons choisi l'ordre parce que nous avons eu le sentiment que l'équilibre était rompu entre ses droits légitimes et un débordement de liberté. Nous l'avons fait en conscience, après un débat intérieur que chacun de nous est seul à connaître.

Dans d'autres conflits, la majorité d'entre nous a défendu la liberté menacée d'étouffement par un ordre étroit. Il en sera de même dans l'avenir. C'est dire si l'étiquette de " conservateurs " que certains journalistes nous ont précipitamment accolée, est absurde. L'ordre, dans l'affaire du Pacs, n'a rien à voir avec la défense d'idées conservatrices ; il est la protection des plus faibles de notre société. La liberté nouvelle que l'homosexualité revendique, n'est pas acceptable parce qu'elle affaiblit la protection qui est due aux démunis. Je suis prêt à retirer mon témoignage et à désavouer mon action passée si les pages qui suivent montrent autre chose que notre volonté de défendre l'ordre social tel que je viens de le définir. Certains préfèrent le terme " cohésion sociale ", qui évite tout soupçon idéologique. L'un et l'autre ont, dans mon esprit, la même signification.

 

Généalogie du Pacs : contraception et parité

 

Le trouble que le Pacs est susceptible d'apporter ne peut être saisi dans toute son ampleur que si on le place dans une perspective historique : il faut considérer l'évolution de nos mœurs depuis deux siècles.

La Révolution française avait oublié les femmes dans sa grande œuvre d'émancipation. Au risque de schématiser à l'extrême, on peut dire que le code Napoléon, imité dans l'Europe entière, avait cru nécessaire de garantir la stabilité de la famille et la protection de l'enfant par une inégalité sévère entre les parents. L'épouse, poussée vers les tâches domestiques, était traitée par la loi comme une mineure. C'était une injustice qui heurtait trop l'esprit de la démocratie pour durer. Peu à peu, le principe de parité des sexes perça sous celui de différenciation inégalitaire. Mais l'ordre napoléonien était si solide, si bien accepté par l'immense majorité des hommes et des femmes, que les progrès furent très lents. C'est cent cinquante ans après la Révolution que l'égalité civique fut établie par toute l'Europe. S'agissant d'un sujet aussi délicat, la prudence de l'évolution semblait une garantie contre le désordre.

Tout changea en 1967.

Quelques années plus tôt, un chercheur américain avait inventé la pilule contraceptive. C'est par ce petit granulé que la société européenne, qui avait si lentement avancé pendant près de deux siècles, fut bouleversée en moins d'une décennie. Le plus étonnant est que personne n'y prit garde. Lorsque des voix s'élevèrent dans notre pays pour réclamer que ce produit fût vendu à toutes les femmes qui le désiraient, il n'y eut guère de débat : ses partenaires disaient que la pilule allait libérer la femme de la hantise des grossesses non désirées. Elle stabiliserait les familles, épanouirait les couples, ferait disparaître le fléau des avortements déjà refoulé aux marges de la société. Les arguments en sa faveur semblaient si évidents, si pleins de bon sens et d'humanité qu'il fut impossible aux responsables politiques de s'y opposer.

Seule, la voix un peu chevrotante du pape Paul VI mit en doute les bienfaits de la nouvelle découverte. Son intervention fut noyée sous les rires et les huées. Elle discrédita l'Église catholique aux yeux de toute une génération. Les gouvernements, plus prudents, suivirent le sentiment dominant. Les seules réserves exprimées par les ministres français de l'époque, tenaient à la crainte d'un fléchissement de notre natalité. Pour l'éviter, ils décidèrent une augmentation des allocations familiales. La loi Neuwirth fut ensuite votée sans difficulté. On pensait, en France comme ailleurs, que " l'affaire " de la pilule s'arrêterait là.

C'était une erreur.

Chaque femme a utilisé l'étonnant petit contraceptif selon les décisions de sa conscience. Il y a eu et il y a encore autant d'applications que de couples, c'est-à-dire une infinité. Le politique n'a pas à s'en mêler.

En ce domaine qui relève de l'intimité la plus sacrée, la liberté individuelle est souveraine. En revanche, le responsable politique a l'obligation d'examiner l'impact de la contraception sur l'ordre social. A-t-elle eu les conséquences heureuses attendues et elles seulement ? Lorsque que la puissance de la pilule commença d'être comprise, il fut imaginé, en accord avec l'esprit dominant de l'époque, qu'elle agirait comme un allié de la parité. Les voix les plus influentes affirmaient qu'elle accélérerait la marche de la société européenne vers l'égalité des sexes. Il y eut même, et il y a encore des théoriciens de la libération féminine qui proclament que la contraception est l'indispensable fondement de la parité. Non seulement, disent-ils, elles sont inséparables, mais il faut imposer la première pour ouvrir la voie à la seconde. C'est au service de telles idées que les États européens mirent tout leur pouvoir.

Qu'en est-il en pratique ? En trente ans la contraception s'est répandue sur notre continent. L'égalité des sexes en a-t-elle aussi bien profité qu'on l'avait annoncé? Par prudence, le politique doit éviter tout jugement subjectif et appuyer son appréciation sur le rapport de certains observateurs qualifiés. Il se trouve, en effet, que des statisticiens et des sociologues ont été capables de dessiner, à gros traits, les conséquences sociales issues de trente ans d'expérience. Hors de tout jugement moral, décrivons leurs observations scientifiques.

 

Libération des femmes ?

 

Ce qu'elles nous montrent, c'est un bouleversement immense et confus. Personne n'avait annoncé ce qui s'est passé, et ce qui s'est passé dépasse prodigieusement ce qu'on prévoyait. La contraception a fait sauter des barrières sociales qu'on croyait infranchissables ; derrière elle, rien n'est plus pareil à ce qui a été. Apparaît un paysage mouvant, brumeux, qu'il est encore impossible à la société d'ordonner.

La libération féminine n'a pas eu le caractère immédiat, simple et massif que l'on promettait. Elle apparaît incertaine et ambiguë. En confiant à la femme le soin de décider de ses grossesses, la pilule a d'abord libéré l'homme de tout souci, de toute responsabilité quant aux suites de l'acte sexuel. La société européenne d'autrefois pesait de tout son poids pour que le père assumât ses devoirs, dans le mariage et hors du mariage, vis à vis de l'enfant qu'il avait conçu. Aujourd'hui, ce poids retombe sur la mère, laissée seule devant une charge qu'elle est supposée avoir acceptée, puisqu'il ne tient qu'à elle de l'éviter. Conséquence redoutable, que personne n'avait envisagée ! Très vite, la pression sociale fit de la contraception féminine une obligation. Malheur à celles qui n'utilisaient pas la pilule ! Elles durent se débrouiller par d'autres moyens. Courant au devant des secrètes aspirations de l'égoïsme masculin, médecins, entreprises pharmaceutiques, gouvernements, éducateurs même ont rivalisé de zèle pour multiplier les offres contraceptives et abortives, jusqu'à ce que les femmes n'aient plus d'échappatoire : aujourd'hui, aucune ne donne plus la vie à un enfant si elle ne le veut envers et contre tout. Les statisticiens suivent à la trace l'arrivée de la pilule, pays après pays. Chaque fois, cette trace inclut une explosion de divorces, de familles dites monoparentales (c'est-à-dire, dans leur immense majorité, dont la mère assume seule la responsabilité) et de naissances illégitimes. Il est difficile de parler seulement de couples plus harmonieux.

Il est encore plus difficile de prouver que la parité a bénéficié de la contraception. Dans la période d'euphorie qui a suivi l'arrivée de la pilule, les portes du travail professionnel ont été ouvertes toutes grandes aux femmes. Finis les enseignements réservés aux hommes ! Tous les concours universitaires, même militaires, devinrent mixtes. Finies les carrières exclusivement masculines ! Il ne fut plus de profession ni de poste de responsabilité auxquels les deux sexes ne pussent avoir accès sur un pied d'égalité. Mais cette époque d'entente parfaite entre parité et contraception dura peu. La seconde ne tarda pas à déborder la première et à imposer un code beaucoup plus dur.

Puisque trop d'hommes ont choisi la voie facile de l'irresponsabilité, les femmes doivent être capables de subvenir, seules, aux besoins d'une famille ; la société qui, jadis, les retenait à la maison, les pousse aujourd'hui au bureau et à l'usine. Elles n'ont plus seulement la faculté du travail rémunéré : elles en ont la quasi obligation ; la liberté s'est transformée en contrainte. Et cette contrainte est rude : aux hommes vont, statistiquement parlant, les tâches les plus attrayantes ; aux femmes les travaux les plus mal payés, les plus fastidieux, les plus précaires. Et de la précarité, elles tombent vite dans la grande pauvreté : là l'inégalité entre les sexes est criante.

Comme si cette charge ne suffisait pas, c'est à la femme que reviennent encore les activités ménagères. Sur ce plan, l'égalité est un mot creux. Si l'homme a volontiers laissé sa partenaire le soulager du fardeau des ressources financières à ramener à la maison, il ne met pas le petit doigt aux tâches de cette même maison. Les statistiques montrent, avec une cruelle monotonie, que les " doubles journées " sont le lot quasi exclusif des femmes. En ce domaine aussi on voit ce que les hommes ont gagné à la " libération " de la femme. Pour leurs compagnes la victoire est plus ambiguë. Le partage des responsabilités et la complémentarité des fonctions qui étaient la règle d'autrefois, n'ont pas fait toujours place à une association d'égaux mais à un accroissement des charges pesant sur les plus faibles.

Qui sont ces plus faibles ? Pas toutes les femmes, bien sûr. La contraception les a séparées en deux catégories : celles auxquelles elle a donné l'indépendance et celles qui sont ses victimes. Les premières, qui disposent des atouts précieux de l'intelligence, de l'énergie et de la richesse, ont accès aux professions lucratives, aux positions sociales enviées, aux choix sentimentaux, à la liberté de vie ; les autres sont plus écrasées qu'elles ne l'étaient dans le système social de jadis parce qu'elles sont seules face à des responsabilités plus lourdes. La pilule, que l'on croyait égalitaire, a creusé l'écart entre les femmes.

La loi témoigne, bien malgré elle, de cette évolution inattendue. Au début, elle s'est contentée d'ouvrir aux femmes les portes que l'ordre ancien leur fermait ; elle pensait s'en tenir là. Mais il lui est apparu que, plus la parité est acceptée en théorie par les hommes, plus elle doit leur être imposée, en fait, par des textes. La réalité s'obstine à échapper au principe que proclame notre société : l'égalité des sexes demeure insaisissable. Malgré les impatiences grandissantes de la loi, malgré ses efforts pour redresser, puis contraindre, elle est impuissante à contenir un dérapage massif. Nous imaginons que la parité progresse. C'est seulement la contraception qui avance. La société européenne, elle, patauge dans la confusion. Entre l'idéal et la pratique, il y a sur notre continent un écart qui ne se réduit pas.

 

Épanouissement de l'enfant ?

 

Les principes de la vieille Europe mettaient l'enfant au centre de l'ordre social. Notre pratique d'aujourd'hui se contente du postulat un peu simple selon lequel une mère à la vie plus large et plus riche en choix, a forcément une descendance plus épanouie.

La réalité est beaucoup plus complexe. Dans certaines familles, la pilule, parce qu'elle a mis fin aux grossesses non désirées, a rendu les parents plus attentifs aux êtres qu'ils ont à charge d'élever. Mais dans d'autres, celles dont le père est parti ou dont il a simplement démissionné, les sociologues attirent l'attention du politique sur la fermentation de maux étranges : la monoparentalité s'accompagne chez les enfants et les adolescents, d'une indifférence à la société et à ses règles, d'un faible niveau d'études scolaires, d'une criminalité rampante et d'une propension à l'usage des drogues. Comme il se doit, les familles les plus touchées par ces fléaux sont celles qui sont prises dans la spirale de l'appauvrissement. Une association qui se dévoue depuis un siècle à recueillir, éduquer et former les jeunes que notre société a perdus, pousse maintenant un cri d'angoisse. Elle écrit en août 2000 : " On a de la peine à imaginer l'escalade en nombre et en gravité des détresses d'enfants. On a de la peine à croire que des adolescents de plus en plus nombreux deviennent prédélinquants à force d'être livrés à eux-mêmes sans repère. " On n'avait pas pensé, à l'origine, à des conséquences aussi lointaines et indirectes de la contraception. Nous les avons aujourd'hui sous les yeux. Nous nous aveuglons en attribuant au chômage des parents la déchéance des enfants. Voici que depuis trois ans, le chômage recule en Europe. Les familles sont-elles plus solides ? Au contraire. Le mal empire année après année.

Et puis, comment ne pas avoir le cœur serré en pensant aux plus faibles de tous les faibles, c'est-à-dire aux enfants à naître ? Jadis l'avortement était refoulé aux marges de la société européenne. On a dit que la pilule achèverait son éradication. Cette analyse superficielle a été vite démentie. La vérité de la contraception s'est manifestée à l'opposé : elle a ramené l'avortement au cœur même de notre vie collective ; nous avons dû lui accorder une reconnaissance légale dont le champ s'élargit sans cesse. Il est le plus effroyable des tributs que nos femmes doivent payer à l'égoïsme masculin émancipé. Dans leur sinistre sécheresse, les statistiques n'indiquent-elles pas que la moitié des femmes ayant subi une I.v.g. déclarent vivre seules ? Le droit de disposer de son corps que revendiquaient fièrement les intellectuelles féministes il y a trente ans est devenu l'issue désespérée de malheureuses se débattant dans un isolement suffocant.

 

L'humus dans lequel le Pacs a germé

 

Le lecteur voudra bien me pardonner cette longue et triste énumération de nos maux sociaux. Ne pas les décrire aurait privé de fondations la suite de mon exposé : ils composent l'humus dans lequel le Pacs a germé et forment le terreau indispensable à sa croissance. On confond à plaisir contraception et parité, libération sexuelle et justice sociale. L'observation scientifique de notre société nous demande de les distinguer. Comme nous le verrons plus loin, le Pacs est un rejeton de la contraception. Il n'a aucun lien de filiation avec la parité. Il lui est même foncièrement hostile.

Si certains lecteurs doutent encore de la rigueur de l'exposé qui précède, voici une preuve de plus : les statisticiens dont je parle comparent volontiers les États-Unis, où la pilule a été introduite en premier, et le Japon, où elle est encore interdite. Alors que les maux que je viens d'énumérer, s'étalent dans le premier pays, ils demeurent presque inconnus dans le second. Les familles monoparentales y sont très rares et la chute dans l'extrême pauvreté exceptionnelle : les grossesses d'adolescentes sont peu fréquentes, tout comme l'utilisation de la drogue par les jeunes. L'avortement, il est vrai, y fait des ravages, mais sa pratique est immémoriale : elle n'est pas liée à un phénomène récent. Cet exemple a contrario montre bien l'origine de nos désordres.

De même, la réaction des maires de France au Pacs est incompréhensible à qui néglige la dégradation sociale qui forme la face sombre de la contraception.

Les maires tiennent la première ligne de ceux qui sont appelés à connaître et à combattre cette dégradation. Ils célèbrent des mariages qui, une fois sur dix il y a vingt ans, une fois sur deux aujourd'hui, sans doute trois fois sur quatre demain, sombreront dans l'échec. Les comités d'action sociale qu'ils président sont l'ultime recours des mères seules et sans ressources : ils ne savent plus répondre à d'innombrables appels à l'aide. Leurs pouvoirs de police les mettent en face de tous les jeunes paumés, chapardeurs, drogués et insociables. Lorsqu'un quartier chaud de banlieue s'enflamme pour un motif obscur, c'est le maire qui doit accourir, canaliser la répression, renouer un impossible dialogue, administrer d'improbables remèdes. Quelle que soit leur couleur politique, le caractère urbain ou rural de leur commune, ils entendent de tous côtés la sourde protestation, tantôt plaintive, tantôt brutale, qui monte de la base de notre société. Ils savent à quel point l'ordre qu'ils ont mission de défendre, est fragile et fissuré. D'instinct, ils ont compris que le Pacs allait rendre leur tâche encore plus difficile.

 

Incertitude et inquiétude

 

Si j'ai présenté ce tableau, ce n'est évidemment pas pour plaider un retour à je ne sais quel âge d'or disparu il y a trente ans. Le choix que notre société a fait en 1967 est irréversible. Nous devons en assumer toutes les conséquences. C'est vers l'avant qu'il nous faut regarder. Peut-être la révolution émancipatrice de la parité est-elle simplement ralentie par les libérations ambiguës de la contraception. S'il en est ainsi, le temps et la patience guériront nos maux. Peut-être, à l'opposé, la contraception nous a-t-elle fait changer de route sans que nous en ayons conscience. Auquel cas ce ne serait pas vers la parité que nous marcherions, mais vers une réalité toute autre, que nous distinguons encore mal dans le brouillard qui nous entoure. Qui sait s'il ne s'agit pas d'un ordre injuste destiné, comme jadis le communisme, à emprisonner l'Europe et à la torturer pendant des décennies ? Et si le Pacs était un pas de plus vers cet esclavage insidieux ?

Ne comptons pas sur les politiques qui font nos lois pour nous éclairer. Eux-mêmes ne savent pas où ils nous mènent. Leurs décisions des trente dernières années sont marquées par la courte vue et l'improvisation : des mesures aux conséquences immenses et douloureuses ont été prises sans réflexion approfondie. Les déclarations des ministres responsables ont toujours été les mêmes : au motif de ne plus tolérer une atteinte portée à l'élargissement des droits individuels, on supprime une protection sociale que l'on qualifie de " tabou " inutile ; on proclame un compromis neuf, équilibré et définitif entre l'ordre et la liberté. L'apaisement annoncé est de courte durée ; de nouveaux problèmes surgissent. Les limites du compromis sont franchies par une dynamique devenue irrésistible.

Plus tard, le politique surpris et inquiet de conséquences négligées dans l'ivresse des victoires de la liberté se porte précipitamment au secours de ses victimes. Il édicte dans la hâte des lois qui atténuent les maux et limitent le désordre. L'État est sommé de courir partout : il protège la mère seule ; il soutient les enfants traumatisés des familles éclatées. Il maintient, tant bien que mal, la stabilité des couples. Ah, comme il y aurait à faire sur ce chantier immense ! Mais nos politiciens n'y viennent plus, depuis longtemps, qu'en traînant les pieds, pour étayer à la hâte un mur qui s'effondre ou combler un brèche qui s'élargit. Ils savent qu'ils y recueillent peu d'applaudissement. Aucun dirigeant n'y apporte la vision générale et l'esprit de suite qui seraient nécessaires : en conséquence, la société européenne continue d'engendrer désordres et douleurs.

On a beaucoup dit et écrit que l'évolution des lois — qui, selon notre premier ministre actuel, doit suivre l'évolution des mœurs — était massivement approuvée par les Français. C'est une vue superficielle de la réalité. Il est vrai que le principe d'égalité des sexes n'est pas contesté. Il est vrai aussi que dans l'euphorie des années qui ont suivi l'invention de la pilule, le public a appuyé des mesures pratiques qu'il croyait simples, favorables à la parité, et sans conséquences néfastes. Mais il n'en est plus ainsi. En France comme ailleurs en Europe, l'opinion ressent confusément un malaise devant un désordre social qui dure et qui s'étend. Prise entre son sentiment profond et les annonces optimistes que lui prodiguent responsables politiques et médias, elle éprouve incertitude et hésitation chaque fois que des innovations de mœurs qui lui sont proposées. Ce fut vérifié pour le Pacs. D'où ce flottement dont témoignent les sondages. D'où aussi, après l'acceptation d'une liberté nouvelle, un raidissement brutal et inattendu du public, comme, il y a trois ans, contre la pédophilie. Tout ce qu'on peut dire de l'opinion européenne, c'est qu'elle est de plus en plus perplexe. Contrairement à une idée répandue par des sources partisanes, elle ne réclame plus des lois ouvrant de nouveaux champs à la liberté individuelle en matière de mœurs ; elle les subit. Elle pourrait les désavouer demain. Ce à quoi elle aspire dans son obscurité grandissante, c'est à une lumière qui lui indique la direction à suivre.

Le Parlement européen, qui se veut au-dessus des contingences, a entrepris de jouer le rôle d'un guide qui tient haut sa torche dans la nuit et montre la voie du salut. Je siégeais dans l'hémicycle de Strasbourg en 1994 lorsque fut votée une " résolution " fracassante qui déclarait que le mal social venait de ce que les gouvernements n'avaient pas donné tous leurs droits aux multiples formes de familles possibles. Le parlement fustigeait en termes particulièrement sévères le refus encore opposé aux " familles homosexuelles ". Il y voyait un entrave injuste à la liberté et à l'égalité des Européens : le bonheur de notre société et l'épanouissement des individus seraient atteints sitôt tombées des barrières juridiques rétrogrades.

Je fus un des très rares représentants de la France à m'opposer à cette résolution. Le public ne l'a pas lue ; il ne sait même pas qu'elle existe. Mais c'est elle qui a mis en branle de nouvelles lois dans toute l'Europe ; le Pacs en est l'exemple le plus connu.

 

Entrée du Pacs

 

Voici le décor planté. Maintenant la pièce peut commencer. Qu'on frappe les trois coups !

Revenons en France. En juin 1997, peu après que Jacques Chirac eut mis en place le gouvernement Jospin, une campagne de presse, manifestement orchestrée, attira l'attention du public sur les injustices dont souffraient les " couples " homosexuels. Le bon usage de la langue française eut exigé que l'on parlât de paires. Cette tricherie sur les termes fait partie des ruses de certains groupes de pression. Elle indiquait l'inspiration de la campagne.

Comme dans un ballet bien réglé, les auteurs de l'agitation essayaient de tenir le public en haleine. Un jour, la Sncf, évidemment sollicitée, annonçait que les réductions de tarif consenties aux couples mariés sur les chemins de fer, seraient étendus à toutes les paires, quelles qu'elles fussent. Une autre fois, une municipalité complice faisait savoir qu'elle délivrerait dorénavant des " certificats de vie commune ", calqués sur les certificats de mariage, à des individus de même sexe. Quelques médias parisiens, acquis d'avance à la cause, montaient complaisamment ces petites opérations en épingle et en profitaient pour souligner les graves injustices dont souffrait " la communauté homosexuelle ".

 

La première scène du drame ne fut pas un succès. Son fracas médiatique n'émut guère l'opinion. Il était clair que la légalisation des " unions homosexuelles " était poussée par un tout petit groupe, sans aucune assise populaire. Elle n'intéressait que quelques milieux parisiens dont l'essentiel habitait le quartier chic du Marais. Un gouvernement sage eut arrêté les frais. L'équipe Jospin n'eut pas la force de le faire. Le groupe de pression " gay " compensait sa faible audience dans le public par une forte présence au cœur du pouvoir. Ses partisans les plus ardents avaient investi des postes clés au Parti socialiste et à l'Assemblée nationale. L'argent, qui venait de sources abondantes, ne lui manquait pas. Il avait ses entrées dans les salles de rédaction les plus influentes. Bref, ce groupe contrôlait des leviers politiques, financiers et médiatiques si importants que le premier ministre ne pouvait le négliger dans la coalition hétéroclite de ses partisans. La scène d'ouverture n'ayant pas eu le succès espéré, les " gays " choisirent de brusquer l'intrigue et de frapper un grand coup. Sur leur insistance, le gouvernement annonça en décembre 1997 qu'il confiait à un groupe de députés acquis à la cause, le soin de préparer au plus vite une loi autorisant " l'union homosexuelle ".

 

Scène en trompe l'œil

 

Étrange alliance que celle des " gays " et du ministère Jospin ! Les premiers réclament bruyamment leurs droits, protestent, provoquent, veulent tout, tout de suite. Le second tempère, calme le jeu, fait mine de vouloir des compromis équilibrés... mais finalement cède en silence. Ce jeu en trompe l'œil aurait pu faire illusion. Il mérite d'être décrit.

Un jour de septembre 1998, je me rendis au ministère de la Justice à la tête d'une délégation de maires. Nous fûmes reçus par un conseiller de Mme Guigou. Nous lui demandâmes pourquoi le gouvernement croyait nécessaire d'établir le Pacs. Il nous expliqua que le garde des Sceaux avait reçu un certain nombre de lettres qui exposaient des " situations de détresse " auxquelles elle ne pouvait rester indifférente. Tout montrait un " vide juridique " qu'il importait de combler.

Interrogé par nous sur ces détresses inconnues de la loi, le conseiller nous conta la triste histoire d'un homme qui avait prodigué tous ses soins à son compagnon de vie atteint du Sida. À peine l'avait-il accompagné jusqu'à la mort, qu'il fut expulsé de l'appartement du défunt par une famille absente jusque là, mais soudain très soucieuse de récupérer un bien qui lui revenait en vertu des lois sur l'héritage. N'était-il pas scandaleux que le malheureux homosexuel en question n'eut même pas le droit de demeurer dans les meubles de son compagnon ? Cette anecdote mériterait un examen approfondi. Son caractère émouvant cache peut-être des faits moins simples qu'il n'y paraît. Elle m'a été brandie en cent occasions, avec de multiples variantes, comme preuve de l'injustice de notre société vis à vis des homosexuels : elle appelle une riposte de la loi, me disait-on.

Mais laquelle ? Selon le conseiller, elle montrait la nécessité de reconnaître des " unions " entre personnes du même sexe. La protection de la société serait étendue à ces " couples " en matière d'occupation de logement, de mutation d'un poste à un autre, d'avantages fiscaux et finalement d'héritage. Il reconnaissait volontiers que la distinction entre couple marié et paire homosexuelle en deviendrait ténue, mais selon lui, l'injustice serait effacée, ce qui était le seul but visé. Et puis le gouvernement ne songeait nullement à modifier le code du mariage. De quoi se plaignait-on ?

Nous reconnaissons là le raisonnement léger et naïf par lequel tous les bouleversements sociaux des trente dernières années ont commencé. Un gouvernement est soumis à la pression d'un groupe minoritaire mais bruyant et politiquement bien placé. N'osant lui résister, par faiblesse, complicité ou intérêt à courte vue, le gouvernement propose à la hâte un compromis qu'il proclame juste et qu'il affirme définitif. La loi est votée. Elle permet un répit qui, dans l'euphorie du moment, est salué comme une paix admirable. Puis la réalité reprend ses droits. Peu à peu, la loi apparaît pour ce qu'elle est : insuffisante aux uns, excessive pour les autres, boiteuse pour tous et détestable quant à certaines de ses conséquences. Il faut à la fois aller plus loin et corriger les effets pervers ; on n'y parvient pas. Les contradictions s'accumulent et le désordre grandit.

Si l'on tenait, dans les antichambres ministérielles, ces propos apaisants, le groupe " gay " qui menait le jeu, ne cachait pas une ambition qui allait beaucoup plus loin. Foin des timidités et des pudeurs gouvernementales ! Sa philosophie avait le mérite de la cohérence : il reprenait à son compte et étendait aux hommes, la célèbre phrase prêtée à Simone de Beauvoir : " On ne naît pas femme, on le devient. " Il prétendait que la nature ne produisait que des individus dont les " orientations sexuelles " étaient le fruit du hasard. Nul n'avait à subir une discrimination en raison de son " choix de vie ". Le mariage homosexuel devait recevoir la même dignité et les même droits que le mariage hétérosexuel. Il s'épanouirait lui aussi dans des familles dont les enfants seraient aussi heureux que les autres une fois d'absurdes préjugés surmontés. Le Pacs était un premier pas, le seul qui dut coûter selon l'adage bien connu. La suite viendrait tout naturellement et la société s'en trouverait mieux. Comme on le voit, la pruderie du Premier ministre risquait d'être vite dépassée, quoiqu'il affirmât.

 

L'ordre entre en scène : le débat commence

 

Les explications embarrassées du gouvernement ne firent pas illusion. À partir de mars 1998, l'opinion publique commença de s'émouvoir. Elle sentit que les déclarations ministérielles cachaient un enjeu plus grave. Un débat public, dont Lionel Jospin se fût bien passé, commença.

S'il ne s'était agi que d'amender quelques règles fiscales de façon à remédier à des injustices dont étaient victimes certains homosexuels, je puis certifier que les maires de France n'auraient pas bougé. C'est parce que l'enjeu leur est apparu beaucoup plus grave, malgré les dénégations naïves du gouvernement, qu'ils ont été alarmés. Mais les ministres ne savaient-ils pas, au fond d'eux-mêmes, qu'ils menaient la France plus loin qu'ils ne l'avouaient ? À deux reprises j'ai écrit à Lionel Jospin au nom des maires pour le supplier d'arrêter le vote de la loi Pacs et de réunir une table ronde d'autorités politiques, morales et sociales de notre pays, afin d'établir des mesures susceptibles de faire une quasi unanimité. Elle eut été facile. Il n'a pas accusé réception de ma première lettre. Il a donné la seconde à un membre de son cabinet avec ordre de me faire une réponse dilatoire. Je ne peux m'empêcher de voir dans ces deux dérobades, l'aveu de son embarras : il connaissait la vérité, mais n'avait pas la force d'échapper au groupe de pression qui menait le jeu.

Les opposants à la nouvelle loi ont présenté d'excellents arguments pour montrer son caractère nocif. Ils ont rappelé que les avantages légaux consentis aux couples mariés étaient la juste contrepartie d'une utilité sociale : la fondation d'une famille et l'éducation des enfants. Les paires homosexuelles étant par définition stériles, ne pouvaient prétendre aux mêmes avantages, sous peine de pervertir les principes de justice et d'égalité. Ils ont souligné que l'homosexualité n'est pas un choix parmi d'autres, une donnée naturelle qui ne demanderait qu'à s'épanouir paisiblement, mais la marque d'une incapacité radicale à reconnaître l'autre sexe ; ses actes sont une fuite éperdue pour échapper à une solitude dévorante. Par elle-même, elle n'apporte rien à la société ; sa reconnaissance juridique est au mieux inutile, au pire dangereuse. Ils ont dénoncé la légèreté des responsables politiques, tel Lionel Jospin qui limite son raisonnement à " une mise en conformité du droit avec les mœurs " ou tel Jack Lang, s'extasiant sur les possibilités désormais ouvertes à de " belles histoires d'amour " : qu'est ce que cette République qui modifie son éthique au gré des modes et se croit obligée de subventionner les passions amoureuses ? Lorsqu'un homme et une femme se marient, le maire ne leur demande pas s'ils s'aiment, mais s'ils acceptent de vivre ensemble en vue du bien commun.

 

Le Pacs à l'assaut de la parité

 

Tous ces arguments sont vrais et forts. Mais pour le politique ils n'épuisent pas le sujet. Ce n'est pas seulement parce qu'il corrompt la loi et l'éthique que le Pacs est dangereux ; c'est aussi parce qu'il détourne l'Europe de sa marche vers la parité des sexes. Il l'entraîne sur une autre voie : celle qui mène à la négation des sexes, ce qui est tout à fait différent.

La confusion semée dans notre ordre social par la contraception sert d'argument principal à la justification du Pacs. D'abord, les " gays " affirment que les homosexuels n'ont pas à être exclus de la sollicitude du législateur qui fait tout, depuis trente ans, pour subventionner des liaisons non moins stériles que les leurs. Puis, soulignant les maux sociaux qui nous tourmentent, ils proclament qu'il est temps d'en tirer les leçons : la réalité de notre société, disent-ils, ce sont des familles éclatées, recomposées, dont les enfants ne connaissent plus qui est vraiment leur père ou leur mère. Est-il plus mauvais d'avoir deux mères qui s'aiment et se soutiennent qu'une seule, se débattant dans des difficultés insurmontables ? Le salut des enfants eux-mêmes appelle la famille homosexuelle.

On voit comment un trouble social, dont la parité est faussement tenue responsable à la place de la contraception, est devenu le terreau de cette fleur étrange et par quels cheminements, un autre ordre fondé, lui, sur la négation des sexes s'approche lentement. Comme un rayon de lune déchire soudain le brouillard de la nuit et dévoile tout un paysage de montagnes, le Pacs nous révèle vers quelle destination nous marchons. Par lui, notre société reçoit la réponse à ses incertitudes et interrogations. Par lui, sont démenties certaines affirmations féministes : non, la contraception n'ouvre pas la voie droite et simple qui mène à la parité. Elle nous offre un autre chemin, que personne ne soupçonnait. Voici que nous le découvrons. Nous entrevoyons aussi la fin qui nous attend au bout de cette route mystérieuse : la soumission de l'Europe à un principe qu'elle n'a pas désiré et à un ordre qu'elle n'a pas réclamé. Des groupes impatients nous somment d'avancer dans cette direction tout de suite. Le ferons-nous maintenant que nous savons ?

Certes, le Pacs, tel qu'il a été proposé, n'est qu'une étape prudente. Mais il conduit beaucoup plus loin. Il laisse entrevoir en même temps la dureté implacable qui accompagnera le règne de la négation des sexes. Sa première manifestation tiendra à la nature de la relation homosexuelle. En aucun cas celle-ci ne peut prétendre à la durée, à la fécondité et la stabilité d'une union réussie entre homme et femme. Comment les mettre sur un même plan ? Comme il est impossible de hisser la première à la hauteur trop exigeante de la seconde, il faut bien abaisser la seconde jusqu'au niveau de la première. C'est pourquoi les " couples hétérosexuels " ont été invités à bénéficier du Pacs : dans le langage " gay ", il est supposé les libérer eux aussi. Qui y perdra sinon ceux qui ont besoin de la protection d'un mariage, c'est-à-dire à nouveau les plus faibles et les plus démunis ? Ce sont souvent les femmes et toujours les enfants qui paieront les frais de liens désormais aussi ténus qu'une lettre recommandée. Pour mieux brouiller les repères, on amènera pas à pas, les avantages sociaux liés aux Pacs jusqu'à la hauteur de ceux réservés au mariage.

Le Pacs entraînera à brève échéance une autre conséquence logique : les paires homosexuelles vont demander avec une insistance grandissante, le droit d'avoir des enfants : par adoption, s'il s'agit d'hommes, par insémination, s'il s'agit de femmes. Sans le dire, le Pacs détruit le principe selon lequel chacun a droit à un père et à une mère. La société devra suivre. Un tribunal administratif a déjà jugé en ce sens. Quelle adolescence douloureuse attend ces petits, qui n'auront jamais eu droit soit à un père, soit à une mère ? Quelles révoltes contre la société vont fermenter en eux ?

Si la société ne sait plus très bien ce qu'est un homme et ce qu'est une femme, ni ce qu'est une famille et un enfant, elle perdra la connaissance de ce qu'est la personne humaine. L'eugénisme, disparu avec le nazisme, reviendra au galop. Il pointe déjà la tête. La pédophilie tentera un retour offensif. Et puis, à quelles expériences étranges et effrayantes ne sera-t-on pas tenté d'aller ? Comme elle deviendra fragile, la barrière éthique au clonage d'êtres humains ! Comment l'Europe résistera-t-elle à la coalition des scientifiques attirés par d'insolites manipulations et des intérêts financiers flairant une occasion d'immenses profits ? Ici comme ailleurs, la protection des faibles, adultes, enfants ou embryons, deviendra une préoccupation de second ordre, loin derrière les exigences de la liberté individuelle.

Il existe déjà une illustration des conséquences pratiques du principe de négation des sexes. Sous la pression des idées européennes ambiantes, notre code du travail a commencé de renoncer à interdire le travail de nuit aux femmes. Depuis un siècle, cette interdiction était considérée comme une juste conquête de la parité et l'expression la plus haute du respect dû à la féminité. Si nous abandonnons cette loi voulue par nos pères, n'est-ce pas parce que nous dérivons vers un autre principe, au demeurant beaucoup plus dur aux faibles ?

C'est pour tout cela que le Pacs est un danger pour la société européenne.

 

Les maires montent sur la scène

 

Dans son impatience le groupe " gay " avait cru bon, à l'automne 1997, d'adresser des lettres comminatoires aux maires de France : il les sommait de s'engager à ratifier des " unions homosexuelles " ; faute de quoi, il menaçait de publier le nom des récalcitrants et de les faire battre aux élections à venir. Si les " gays " tenaient à un accueil dans les mairies, c'est parce qu'ils en sentaient la portée. Le député Michel, l'un des deux rédacteurs de la loi, l'affirmait, fut-ce en français approximatif : " Sur le plan symbolique, les parlementaires (sic) restent attachés au passage devant un officier d'état civil. Cela marque la reconnaissance par l'État de ce couple. Nous serons fermes sur la question. " Philippe Seguin, autre député, n'en était pas loin, lui qui blâmait les maires de s'occuper d'une affaire qui ne regardait que les députés. Nos grands notables appartiennent à un même monde : leurs désaccords portent sur des places, pas sur des principes.

La mesure n'était pas la qualité principale des meneurs de cette campagne. Enivrés par la facilité avec laquelle les médias parisiens leur avaient emboîté le pas, convaincus que leur puissance sur le gouvernement les rendaient partout irrésistibles, ils avaient mal calculé leur élan. Ils venaient de faire un pas de trop.

L'idée de célébrer une union homosexuelle dans la salle des mariages heurta l'immense majorité des maires. Être contraint de présider de telles cérémonies, écharpe en sautoir, sous la statue de la République, humiliait l'idée qu'ils se faisaient de leurs fonctions. Et puis, comme je l'ai expliqué précédemment, les maires ressentaient le Pacs comme une atteinte à l'ordre social qu'ils avaient mission de défendre. Plus ou moins clairement, ils entrevoyaient des couples encore moins solides, des jeunes encore plus difficiles, des misères encore plus grandes, des vies encore plus fracassées. Comment lutteraient-ils contre ces désordres accrus, eux qui avaient déjà tant de mal à résister au flot ? L'impudence et l'arrogance du groupe gay dressa contre lui les élus municipaux.

Ignorant cette fermentation éloignée des salons parisiens, le groupe " gay " croyait triompher. Le gouvernement, impressionné par une campagne de presse déployant tous les moyens de l'argent, poussé par des partisans habilement placés à des postes de forte influence, crut ce qu'il avait envie de croire : que l'opinion publique accueillait avec faveur la législation de l'union homosexuelle. Quelques sondages astucieusement orientés firent présumer un soutien massif des Français : 70, voire 78 % d'entre eux approuvaient, disait-on, une loi que personne n'avait jamais lue. " Seuls quelques groupuscules d'extrême droite s'y opposent " conclut Lionel Jospin avec satisfaction. Le petit bloc de députés qui avait reçu la charge de la nouvelle loi, se prêta pour la forme au jeu des auditions d'experts et d'associations intéressées : étant bien choisies, elles allèrent toutes dans le même sens. Des fuites soigneusement organisées approvisionnèrent les médias amis, de manière à maintenir le public dans les bonnes dispositions qu'on lui prêtait. En avril 1998, la loi était presque prête et son vote apparaissait comme une formalité. Même les moins convaincus des députés de la coalition majoritaire, n'osaient pas refuser leur voix ; quant à l'opposition, elle était trop timide pour encourir les foudres des médias gagnés au Pacs. Ses chefs laissaient entendre qu'ils approuvaient, eux aussi, la future loi ; tout au plus, en critiquaient-ils la rédaction, à leurs yeux mal ficelée.

C'est à ce moment précis que se manifestèrent " les maires de France pour le mariage républicain ".

Dans mon lointain département de la Creuse, l'agitation n'avait pas cessé depuis la lettre du groupe " gay ". Des motions étaient proposées à toutes les assemblées de maires. Ces initiatives n'aboutissaient guère, en raison de leur dispersion et en raison aussi de la répugnance des grands notables qui faisaient de leur mieux pour étouffer la protestation des " petits élus ". Quant à la presse, elle traitait avec un silence méprisant une agitation qualifiée de " crypto-lepeniste ". Mais on sentait une fermentation qui ne demandait qu'un exutoire.

Nous vint alors à quelques uns l'idée d'une pétition nationale. Nous n'avions pas de stratégie fixée. Nous voulions simplement faire entendre notre protestation. Nous nous mîmes au travail. Nous fûmes aidés par Christine Boutin qui, à son poste de député, était parfaitement au courant de l'avancement de la loi et dont les services nous apportèrent l'appui technique indispensable. J'acceptai de prendre la tête d'une organisation des maires. Un texte fut rédigé et envoyé dans toutes les communes de France, au nom du " collectif des maires de France pour le mariage républicain ". En voici la reproduction :

 

" Je soussigné X, maire de Y, soucieux de préserver la famille comme élément naturel et fondamental de la société, déclare :

 

- m'opposer à la mise en place d'un contrat d'union pour les personnes de même sexe,

- et m'opposer à l'implication du maire, en tant qu'officier d'état civil, dans la célébration d'un contrat de ce genre. "

 

Nous sollicitions la signature de chacun.

Les maires sont submergés de demandes de toutes sortes. Chaque jour, leur courrier charrie des interpellations et des pétitions. La plupart ne les lisent pas, surtout si la commune dépasse 5 000 habitants. Quant aux autres, et principalement ceux qui sont des élus ruraux, ils sont notoirement prudents : ils se méfient des grandes querelles nationales, dont ils savent bien qu'elles divisent inutilement les conseils municipaux. Il est très rare qu'ils s'y impliquent. Ce n'est pas un hasard si la grande majorité des maires de France récuse toute étiquette politique. Ce n'est pas par hasard non plus que l'histoire, au xxe siècle, n'enregistre presque aucune démarche collective des maires, même aux heures les plus critiques de l'occupation nazie.

Connaissant ces faits, je m'attendais à ce que notre manifeste recueillit quelques centaines, au mieux quelques milliers, de noms. L'affluence des réponses me stupéfia. Beaucoup de maires avaient eu le geste touchant de faire authentifier leur signature par l'apposition du cachet de leur commune. D'autres joignaient au manifeste les délibérations votées par leur conseil municipal et qui soutenaient le premier magistrat. D'autres encore prenaient soin de préciser qu'il choisiraient de démissionner plutôt que de se prêter à la mascarade des célébrations homosexuelles. On était loin du prétendu consensus que laissait croire certains médias et que proclamait le gouvernement. Le refus des maires n'avait rien d'hésitant ni de frivole. C'était un non ferme, réfléchi, soutenu par l'ensemble des élus municipaux. Il faisait entrevoir la vérité, c'est-à-dire la réticence des Français.

Il y a environ 36 000 maires en France. 20 000 ont signé le manifeste, c'est-à-dire 53 % d'entre eux exactement. On a dit qu'ils représentaient " la droite " ou " la France conservatrice " ou encore " le milieu rural contre la ville ". Ces résumés tendancieux ne reflètent pas la réalité. La plupart des signataires n'avaient aucune étiquette, de droite ou de gauche. Si l'on examine les listes que tiennent les préfectures, on constate que la proportion de pétitionnaires parmi les maires classés communistes n'est pas de beaucoup inférieure à leur proportion parmi les maires classés RPR. La majorité des maires d'arrondissement de Paris a signé ; de même à Lyon et à Marseille. Seuls nous ont boudé les très grands notables, qui calculaient en fonction de leur carrière politique : ceux-là, c'est vrai, ont jugé plus prudent de ne pas s'aliéner de puissants médias. La plupart ont été, au mieux passifs, au pire hostiles.

Les réponses nous parvinrent entre avril et septembre 1998. À mesure que montait le flot des pétitions (12 000 reçues en mai, 18 000 en août, 20 000 en septembre), la surprise et le désarroi atteignaient les partisans du Pacs, si sûrs d'eux quelques temps plus tôt. Des attaques de plus en plus violentes furent lancées contre nos signataires : le Parti socialiste faisait pression pour que ses maires retirassent leur nom ; certains journaux lançaient une offensive furibonde, dans laquelle l'Événement du jeudi s'illustra tristement ; des appels plus ou moins anonymes harcelaient nos animateurs ; les pires menaces étaient proférées contre leur famille. Mais rien n'y faisait : par l'intermédiaire de ses élus les plus proches, le peuple de France continuait de faire entendre sa réprobation.

 

Scènes de tumulte et de passions

 

Inquiet, le Premier ministre finit par reculer. Il abandonna le symbole sans bien en comprendre, semble-t-il, la portée : les Pacs ne seraient plus reçus en mairie, mais au greffe des tribunaux. Lorsque la loi fut présentée en octobre 1998 aux députés, le rapporteur Michel accepta, de fort mauvaise grâce, la suppression de la clause qui avait mis le feu. C'était pour les maires de France une victoire considérable. Beaucoup d'entre eux jugèrent qu'ils pouvaient s'en tenir là. Soulagé, le gouvernement imaginait que le reste passerait sans difficulté. Une fois de plus il péchait par arrogance. À la surprise générale, la loi soumise au vote des députés, fut incapable de rassembler une majorité. La droite, stimulée par l'opposition des maires, se ressaisit et se prononça contre ; les parlementaires de gauche se contentèrent de déserter l'hémicycle. Au même moment, une manifestation populaire dont le collectif des maires avait pris l'initiative avec quelques autres associations, rassemblait des dizaines de milliers de participants dans les rues de Paris.

Déconcertés, les partisans de la loi eurent un instant de panique. Ils se hâtèrent d'élever des défenses. Sur ordre supérieur, le préfet de police minimisa, dans un communiqué, l'ampleur de la manifestation : il prétendit n'avoir vu que 3 000 manifestants, ce qui, selon les commentaires autorisés, était la preuve de l'impopularité des opposants au Pacs. Quant au vote des députés, le gouvernement n'en tint pas compte : il promit de mettre à nouveau la loi à l'ordre du jour de l'Assemblée. Surtout, les ministres chargés du dossier tinrent un langage nouveau : la loi, dirent-ils, n'est pas destinée en priorité à légaliser des unions homosexuelles. C'est par erreur que l'accent avait été mis sur cet aspect des choses. En réalité, il s'agissait de répondre aux besoins de " couples hétérosexuels " qui vivaient en concubinage et qui n'avaient aucun droit. Cette argumentation fut aussitôt reprise dans les médias et appuyée par le groupe gay : il lui fallait bien chercher des alliés. Mais elle ne convainquit pas grand monde, à commencer par les concubins eux-mêmes qui ne demandaient rien, et furent tout surpris d'être ainsi poussés en avant par une propagande aux abois.

J'observais ces événements avec un mélange de joie et d'appréhension. Certes, il était excellent que le Pacs trébuchât publiquement. Chacun savait désormais que, contrairement aux affirmations de ses partisans, une opposition populaire puissante existait. Mais divers signes m'inquiétaient : le mouvement des maires qui était inorganisé et embrassait toutes les couleurs de l'opinion, menaçait d'être récupéré par certains partis ; la presse stigmatisait à cœur-joie la présence trop voyante de certains chefs d'extrême droite. Or mon but n'était pas l'affrontement. Je voulais que le débat du Pacs fût tranché sur le fond et sur la forme, hors des combinaisons de partis et des pressions de groupes minoritaires. Il me semblait que la loi pouvait sans crainte accorder quelques protections aux homosexuels dès lors que de légitimes distinctions et d'indispensables barrières seraient clairement établies entre couples mariés et paires d'hommes ou de femmes. Le moyen, à mes yeux, était une conférence nationale dont l'autorité eût scellé la volonté populaire et empêché tout débordement ultérieur. J'écrivis deux fois à Lionel Jospin pour lui proposer cette solution honorable à toutes les parties. Elle libérait son gouvernement, auquel la pression des " gays " interdisait tout mouvement propre.

Mais je ne pouvais à moi seul mener mon projet jusqu'au bout. Notre " collectif " venait de remporter une victoire qui semblait suffisante à beaucoup. Il aurait fallu que le relais fût pris par une puissante organisation, capable à la fois de garder nos nombreuses troupes en haleine, s'exprimer dans les médias, rallier une majorité au parlement, voire provoquer une consultation populaire. Notre mouvement était né d'un sursaut spontané. Il n'avait ni ressources, ni appareil, ni porte parole à l'Assemblée ; il ne pouvait aller aussi loin. Or, aucune des grandes forces établies ne souhaita s'engager : l'Union nationale des associations familiales affirmait avoir d'autres priorités et montrait une discrétion embarrassée. L'Association des maires de France estimait qu'elle n'avait pas à prendre parti. Les responsables des grandes confessions (conférence des évêques de l'Église catholique, synode protestant, consistoire des israélites, musulmans de France) publiaient des communiqués de sympathie, mais évitaient toute action. Le président de la République gardait le silence. Quant aux chefs des partis d'opposition, ils se réjouissaient que les socialistes trébuchassent, mais, ne songeaient pas à combattre une loi qu'ils approuvaient secrètement. Le mouvement populaire risquait de retomber aussi vite qu'il était monté.

Les partisans de la loi sentirent cette faiblesse. Jospin l'exploita. Il fit intimer l'ordre que les députés socialistes fussent désormais présents à leurs bancs, sous peine de sanctions. Dès lors, une majorité de voix était assurée à la loi. Il fit mine de croire que l'agitation populaire était l'œuvre d'un seul député " isolé et marginal ", c'est-à-dire de Christine Boutin. Les médias favorables au Pacs, un instant désarçonnés, reprirent l'offensive contre les " conservateurs " et autres attardés qui refusaient la modernité. Et moi, soucieux, je sentais bien l'inégalité des forces en présence. D'un côté, un mouvement démuni et inorganisé, menacé par d'obscures récupérations partisanes et par la dérobade muette des grandes organisations nationales. De l'autre, l'argent et le pouvoir fortement unis et décidés à écraser les élans populaires.

Il restait une issue qui me paraissait ténue, mais que j'estimais devoir essayer : puisque seul le peuple était prêt à agir, il fallait faire appel à nouveau au peuple. Peut-être les grands notables se sentiraient-ils contraints de suivre. Alors la table ronde aurait lieu et l'unanimité nationale serait rétablie. En accord avec les présidents d'associations qui voulaient continuer de se battre, je proposais une nouvelle manifestation publique pour le 31 janvier 1999. En hâte chacun s'y prépara. Les partisans du Pacs l'attendaient avec appréhension.

Je garde un souvenir partagé de cette manifestation. D'un côté, les Français répondirent en grand nombre à l'appel, puisque la préfecture de police, cette fois plus attentive à la réalité, dénombra plus de 100 000 participants. Leur élan fut magnifique, et les innombrables jeunes qui animaient le défilé en groupes joyeux, montrèrent de quel côté étaient l'ardeur et la modernité. Mais aussi, mes craintes furent justifiées : comme les grandes forces nationales s'étaient toutes dérobées, notre mouvement fut tiraillé entre plusieurs impulsions et menacé d'être récupéré par des chefs de moindre notoriété. C'est ainsi que je fus obligé de chasser Bruno Megret, chef d'un parti d'extrême droite, qui se trouvait, sans l'autorisation de quiconque, avoir pris la tête du cortège. En quittant les lieux, je regardais derrière moi l'immense défilé qui couvrait les avenues de Paris et je compris que notre mouvement, faute d'être guidé par une autorité nationale, n'irait pas plus loin. Je décidai d'arrêter là mon action.

 

Le rideau tombe sur le premier acte

 

Six mois plus tard, la loi fut votée par des députés contraints. Aucune personnalité ne put rassembler et diriger les oppositions disparates à la loi, aussi bien au parlement que dans le public.

Aujourd'hui, le Pacs est apparemment entré dans les mœurs. Le martèlement incessant de groupes " gays " et de plusieurs médias fait croire qu'il a acquis la faveur des Français et que ceux-ci, ayant " évolué ", sont prêts à aller plus loin dans " la reconnaissance du fait homosexuel ". Il n'en est rien. Notre peuple s'est replié dans son malaise. Il subit un changement de lois et de mœurs qu'il n'a jamais souhaité. Si on lui laisse un jour la parole, on verra à quel point ce qu'il pense diffère de ce que les sondages lui prêtent. Qui avait prévu que le peuple portugais, consulté par référendum, le 25 juin 1998, refuserait que l'avortement fût autorisé jusqu'à la dixième semaine ? Les jugements populaires ne sont pas toujours ceux que sollicitent les puissants.

Au moins, le Pacs n'est plus la reconnaissance symbolique de la négation des sexes dont rêvaient ses partisans. Il a été chassé des mairies. Cette amputation du projet de loi a mis une barrière entre le mariage et " l'union " homosexuelle. Le peuple français a infligé une première et importante défaite à une mouvement qui semblait irrésistible dans toute l'Europe. Son sursaut de conscience comptera dans l'avenir de notre continent.

Il serait évidemment illusoire de penser que les partisans du Pacs sont résignés. Ils vont contourner, grignoter dans la pratique ce qui leur a été refusé dans les principes, jusqu'à ce que les faits accomplis rendent inutile toute résistance. Selon une méthode éprouvée, ils pousseront en avant les concubins. Sans doute, certains couples voudront être à la mode et aligneront leur existence sur celles des paires d'hommes ou de femmes. Peut-être les avantages fiscaux consentis par le gouvernement en tenteront d'autres. Mais en l'état actuel des modalités du Pacs, je ne crois guère à son succès durable auprès des concubins. Puisqu'il leur est si facile de vivre sans contrainte d'engagement réciproque, pourquoi se charger de cette chaîne ? Et s'ils veulent un engagement durable, le mariage est la voie logique. Dans peu de temps, la nouveauté sera explorée et les curiosités déçues . Alors, la loi apparaîtra pour ce qu'elle est : une tentative bancale pour imposer le principe de la non-existence sociale des sexes. C'est dire qu'elle a peu de chances de demeurer en l'état. Une société ne peut pas reposer sur un demi-principe : ou la différence sexuelle existe ou elle n'existe pas. Dans un camp comme dans l'autre, on sera bientôt conduit à répudier le compromis bâtard du Pacs. La paix d'aujourd'hui n'est qu'un entracte. Le refus entêté que Lionel Jospin a opposé à mon offre de table ronde interdit un dénouement rapide du drame.

Ceux qui vont, à leur tour, être appelés à défendre la cause de l'ordre social, comme je l'ai fait avec d'autres, ne devront se laisser impressionner par la puissance de leurs adversaires ! Elle pourra paraître formidable au moment d'engager la bataille. Mais elle ne repose ni sur la vérité, ni sur la justice, ni sur l'adhésion populaire. Son principal ressort est l'influence politique. Cette fragilité cachée la menace d'une prompte déroute, si elle a en face d'elle des hommes et des femmes résolus, tenaces et qui savent s'appuyer sur leur meilleur allié : le peuple des petits.

 

m. p.

 

Notes :

Lancement de la pétition : avril 99

Adoption le 13/10/99

Avis favorable du CC le 8/11

Promulgation le 15/11