Les Années fléaux
Article rédigé par , le 11 septembre 2008 Les Années fléaux

Loin d'être un genre littéraire mineur pour adolescents gavés de jeux vidéos, la science fiction (SF)passe toujours et encore comme étant peu crédible au yeux des autres genres dits " sérieux ".

Il faut avouer que le pire y côtoie bien souvent le meilleur, mais reconnaissons que ce n'est pas non plus l'apanage du genre.

 

La SF recouvre également des styles et des thèmes variés. Si on voulait prendre un comparatif musical, nous y trouverions Schöenberg jouxtant Bach, Arvo Pärt à côté de Manuel de Falla, Palestrina face à Von Biber, et des tonalités qui iraient de la polyphonie byzantines au rock grunge.

 

Certains écrivains ont gagné leurs lettres de noblesse avec la SF (Franck Herbert et son cycle de Dune, Isaac Azimov et Fondation)et en ont fait une tribune pour porter sur nos futurs possibles des regards dévastateurs. Parmi les nombreux auteurs de SF, Norman Spinrad est un cas à part. Toute son œuvre porte sur les Etats-Unis, vus sous un angle qui lui a attiré tellement de foudres qu'il préfère vivre à Paris. La lecture d'un seul de ses ouvrages fait tout de suite comprendre au lecteur les causes de son statut de persona non grata.

 

De " Rock Machine " à " Jack Baron et l'éternité " en passant par "Rêve de fer", Spinrad met en coupe réglée toutes les images que l'Amérique souhaiterait se renvoyer à elle-même.

Ses ouvrages ne sont pas dénués de parti pris ni d'exagérations ou de facilités, bien au contraire.

 

Cependant, ses propos sont là pour dénoncer, provoquer, interpeller au moyen d'un langage d'une crudité qui peut être rébarbative à la longue et d'une ironie mordante.

 

Les années fléaux, dont Gallimard assure la réédition, regroupe trois nouvelles " apocalyptiques " de Spinrad. La première, " Chair à pavé " décrit un New-York transformé en jungle urbaine sans foi ni loi dans une Amérique en proie au chaos économique et à des inégalités sociales exacerbées. La ville est devenue le théâtre permanent d'une lutte sans merci pour survivre. C'est désespérant.

 

La seconde nouvelle " Les années fléaux " évoque une Amérique dévastée par un avatar du virus du Sida, le Fléau, où les malades sont parqués dans des zones de quarantaine, où le sexe virtuel a remplacé l'amour physique, où les dirigeants du pays, baignant dans le fondamentalisme chrétien de la Bible belt, voient dans la maladie un signe de Satan. C'est dérangeant, noir et " hénaurme " tout à la fois.

 

La dernière nouvelle, " la vie continue ", se déroule à Paris, loin des foudres de la censure américaine qui ont poussé le protagoniste de l'histoire, l'auteur en personne, à s'exiler. C'est caustique mais peu convaincant.

 

Trois visions d'apocalypse, qui peuvent dater un peu par leur contexte car écrites dans les années quatre-vingt, dans lesquelles Spinrad règle des comptes personnels avec les Etats-Unis. Cet acharnement ne peut se comprendre que dans le contexte de l'œuvre globale de l'auteur, qui se veut un exposé permanent des craintes et des doutes face aux potentialités corruptrices du pouvoir, autant politique qu'économique et médiatique.

 

L'Amérique est son seul sujet car, explique-t-il dans sa préface, " le reste du monde a, vis-à-vis de l'Amérique, un complexe et des relations émotionnelles ambivalentes comme n'en engendre aucune autre nation ". Elle est donc, de ce fait, aux yeux des autres peuples, toujours une sorte d'Eldorado, un rêve qui en fait le sujet parfait pour une œuvre de science-fiction. " Si la démocratie et la culture américaine survivent et prospèrent, il y a un espoir pour un avenir transnational stable. Si l'Amérique se détruit de l'intérieur, cet avenir sera assurément bien triste. En un certain sens, les peuples du monde regardent l'Amérique et, pour le meilleur ou pour le pire, y voient leur devenir propre ". Schématique et naïf, certes mais aux yeux de l'auteur, l'Amérique a cessé d'être un modèle pour le monde au moment de la guerre du Vietnam. Pourtant la fascination du monde pour ce pays continue.

 

Les écrits de science-fiction sont sans nul doute des prophéties de papier qui s'annulent parfois d'elles-mêmes, qui montent des sentiers sur lesquels nul ne souhaiterait s'engager. C'est leur principale vertu. Car, conclue Norman Spinrad, " si la science-fiction nous apprend quelque chose, c'est bien qu'il n'existe pas un seul futur possible. Nous façonnons collectivement nos futurs, chacun d'entre nous, heure après heure, minute après minute, décision après décision, et ceux qui ne méditent pas sur les futurs possibles sont très certainement condamnés à vivre le futur qu'ils n'auraient néanmoins pas pu éviter de façonner ".

 

En résumé, ce genre de récit apparaît comme étant ce que les navigateurs connaissent biens, des amers, ces repères visuels sur la côte que l'on voit du large. La saveur qu'on tire des " années fléaux " leur fait bien mériter ce nom.

 

Laurent Mabire

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