Alexandre Soljenitsyne, en finir avec l'idéologie
Article rédigé par , le 24 avril 2009 Alexandre Soljenitsyne, en finir avec l'idéologie

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Soljenitsyne n'est pas seulement un héros ou un écrivain titanesque, c'est aussi un homme à prendre au sérieux sur le plan de la pensée. Tsariste, Grand Russe, antisémite, slavophile, théocrate... : pour qualifier l'homme du Discours de Harvard, les railleries n'ont pas manqué, venant parfois de ceux qui avaient si longtemps résisté à la vérité sur l'horreur du communisme réel.

 

Une certaine intelligentsia de gauche, mais aussi libérale, reprenait d'une main ce qu'elle accordait de l'autre : Soljenitsyne était une grande conscience mais un écrivain discutable et, qui plus est, un vilain réactionnaire passéiste. Une désinformation intellectuelle formidablement orchestrée en Occident que met en pièces l'auteur, professeur de philosophie politique à Assumption College (Boston), spécialiste de la pensée française, qui a écrit des essais sur Bertrand de Jouvenel, de Gaulle et Raymond Aron. Relisant l'œuvre de Soljenitsyne et ses nombreux discours, l'auteur met en évidence la cohérence d'une réflexion qui a évolué au fil des ans.

Ce livre très dense et remarquablement préfacé par Alain Besançon, souhaite en finir avec l'idéologie. Car c'est bien l'idéologie comme volonté de reconstruire ou de produire un homme déraciné du réel, et non seulement le communisme comme idéocratie totalitaire, que combattait Soljenitsyne, ce que certains aimeraient oublier.  Soljenitsyne envisage une société "décente" dans laquelle l'homme ordinaire est protégé des abstractions sophistiquées de la gauche ("l'utopie socialiste") et de la droite (le "marché" considéré comme une fin et non encadré par la loi et la morale) , précise l'auteur. La critique d'une Modernité par définition  progressiste  ne fait pas pour autant de Soljenitsyne un antimoderne. Fondamentalement conservateur, proche, à certains égards, de l'implacable analyste de la Révolution française que fut Edmund Burke, Soljenitsyne est loin d'être étranger à la tradition occidentale, au contraire. Il a lu Aristote, saint Thomas et Pascal, mais aussi Montesquieu et Tocqueville. Ce qu'il conteste avec virulence n'est pas l'Occident en soi, comme le fit Dostoïevski, mais une pensée des Lumières qui a hypertrophié la raison et fait de l'individu le centre et la fin de tout, quitte à le rendre insignifiant.

 

  Le projet de l'humanisme anthropocentrique dont les États libéraux marchands et le totalitarisme communiste sont des expressions concurrentes est fondé sur un évitement : il donne congé au problème de la mortalité humaine. La société de masse moderne détourne les être humains de la mort. Les citoyens des sociétés modernes sont absorbés dans la vie quotidienne , écrit Mahoney. Il conclut que l'analyse de Soljenitsyne est  remarquablement semblable à la critique faite par Heidegger de la dictature de l'ordinaire quotidien dans laquelle les hommes [...] évitent toute confrontation directe avec leur finitude . Partisan critique de la démocratie libérale, Soljenitsyne croyait que celle-ci ne pouvait être sauvée de l'hybris de l'hyperconsommation et de la vulgarité culturelle que par des éléments de traditions nationales et religieuses prélibérales, à l'instar de Péguy. La grande force de ce livre est de démontrer à quel point cet homme fut proche de ce que nous avons de meilleur.

 

 

 

Luc Pinson

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