La nouvelle puissance turque
Article rédigé par , le 10 décembre 2010 La nouvelle puissance turque

La nouvelle puissance turque,
l'adieu à Mustapha Kemal.

Depuis une décennie, l'action du Parti de la Justice et du Développement (AKP-Adalet ve kalkinma partisi) a bouleversé le visage de la Turquie. Véritable révolution silencieuse, une nouvelle élite entrepreneuriale à la fois ouverte sur le monde et intransigeante sur les valeurs traditionnelles a émergé des décombres du kémalisme.

Toutefois, l'AKP ne correspond pas aux canons habituels de l'islam politique. C'est tout le mérite du dernier livre de Tancrède Josseran, qui livre un décryptage à froid de la république anatolienne. Un travail posé sans manichéisme, ni complaisance, très éloigné de tout ce qui a pu être écrit sur le sujet par les détracteurs ou les zélateurs de l'entrée d'Ankara dans l'Union européenne.

Dans cet ouvrage très documenté, l'auteur nous invite à abandonner nos images d'Épinal sur la Turquie en particulier, et l'islam en général. En effet, pour Tancrède Josseran, l'islam est compris comme un corpus moral de valeurs partagées régulateur de l'ordre social, non comme la raison d'être de l'État. Glissant sur la mondialisation, l'AKP s'est attelé à déconstruire le triptyque fondateur de la République, État-nation, État-laïc, État-unitaire.

Gestionnaires, ces néo-islamistes se veulent les agents de l'économie de marché. Loin de l'État, le croyant se réalise et sa réussite rejaillit sur sa communauté. Démocrates, ils acceptent le verdict des urnes, sachant que porte-paroles du pays réel, il est rare qu'elles apportent un désaveu. Post-laïcs, ils redéfinissent la laïcité à l'aune du modèle anglo-saxon. Communautaristes, l'islam est l'orientation majeure en Turquie, les néo-islamistes se considèrent comme la caisse de résonance naturelle des attentes du groupe dominant.

Paradoxalement, les critères de démocratisation exigées par Bruxelles expliquent la lente érosion de la laïcité et l'expulsion des couloirs des instances gouvernantes de l'armée garante de la laïcité. Perçue pendant longtemps comme une alliée privilégiée des États-Unis et d'Israël, la Turquie nouvelle renoue aujourd'hui avec une politique néo-ottomane qui s'inscrit, elle aussi, dans une donne géopolitique du Proche-Orient inédite.

CHRISTOPHE BLANC

 

 

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