Jean-Baptiste Carrier : "Nous convertirons la France en un cimetière si nous ne pouvons la régénérer à notre façon"
Jean-Baptiste Carrier  : "Nous convertirons la France en un cimetière si nous ne pouvons la régénérer à notre façon"

Si nous analysions les processus historiques modernes depuis la révolution française jusqu’à nos jours, nous découvririons une idée motrice commune, présentée sous divers habits ou travestissements.

Cette idée (naturellement démentielle, mais toujours présentée et déclinée avec une ardeur échevelée et une conviction vaniteuse) pose comme postulat qu’on peut rompre drastiquement et radicalement avec le passé et dessiner une nouvelle ère que des hommes nouveaux, projetés vers un futur resplendissant à dos du progrès, auront mission de sceller dans le marbre. Cette idée, aussi généreuse qu’imbécile, de refondation de l’Histoire et régénération humaine est dans la moelle de l’esprit révolutionnaire et se résume en deux mots à la phrase de Jean-Baptiste Carrier, tortionnaire ,bourreau sous la Terreur et organisateur des massacres, fusillades et des noyades de Nantes , qui après avoir enfermer des milliers de bretons dans des barques qu’il fit naufrager dans la Loire s’exclama exultant: « Nous convertirons la France en un cimetière si nous ne pouvons la régénérer à notre façon ».(­2600 fusillés,9000 noyés) Tous les mouvements politiques de ces derniers siècles ont fait leur cette incantation psychopathique , dont on dit rechercher les origines chez Descartes.

Dans son célèbre Discours de la méthode, Descartes propose une vision mécaniciste de la nature qui, appliquée à la société, inspirerait cette funeste idée de « réinitialiser » le monde, en commençant naturellement par l’homme. Une fois que le monde est conçu comme une sorte de théorème mathématique, il apparait inévitable que tôt ou tard surgisse le désir de fabriquer un monde plus parfait  habité par des hommes qui se seraient dépouillés des charges et obligations anciennes (l’odieux péché originel !), pour se convertir en une race de dieux qui imposent leur sacrosainte volonté sur la réalité, la remodelant, la niant, la réfutant et, dans le cas où de telles techniques s’avèreraient stériles ( comme cela se passe généralement, parce que la réalité est têtue), agissant comme si la réalité  n’existait pas.  Un avant-goût du refus de Winston Smith- protagoniste principal de l’œuvre d’Orwell 1984-  sous la torture, de dire que « deux et deux font cinq ».

Ce volontarisme aliéné (et à la fois dérisoire) donnerait lieu à une série de déformations rationalistes. : révisionnismes et négationnismes historiques, idéalismes philosophiques et constructivismes anthropologiques de toute nature, fréquemment aberrantes et quasi toujours détraquées…transsexualisme, transhumanisme... 

Naturellement, au mécanicisme cartésien s’ajouteront ensuite d’autres courants de pensée qui contribueront à cette tâche de régénération humaine. Le naturalisme de Rousseau rendra propice l’avènement du premier « homme nouveau » avec un nom propre, le « citoyen », qui peut se guider par sa volonté bénéfique et infaillible, autonome et souverain. Les hypothèses de Darwin, de leur côté, serviraient à rêver d’une race d’hommes mieux dotés, autant en caractère qu’en constitution biologique, capables de développer un sens éthique (et ethnique) supérieur. Quant au modernisme religieux, de son côté, il ne lui a pas suffi que la Rédemption eut bénéficié spirituellement à l’homme chu, mais il lui fallut imaginer l’être humain dans un perpétuel état de perfectibilité qui l’amènerait à se confondre avec Dieu dans un aphrodisiaque point G (pardon, je voulais dire le point OMEGA).

Ce mythe de la perfectibilité humaine est le moteur ( avec du carburant falsifié) de toutes les utopies , qui ressuscitèrent le rêve d’un âge d’or, dépouillé de la grandeur avec laquelle il se vêtait dans les vieilles mythologies païennes et conditionné à la vulgarité avec l’odeur de  blette cuite et de poêle à bois refroidi des idéologies  qui ont bien (ou plutôt mal) évolué depuis les proclamations orgueilleuses du rationalisme le plus  infatué jusqu’au vomis balbutiant et sentimental de la raison brisée en mille morceaux ( selon l’infaillible principe mécanique et biologique qui nous enseigne que tout ce qui monte descend).

Concernant les chimériques « hommes nouveaux » rêvés par le nazisme, le communisme, les basses besognes des camps japonais pendant la guerre sino-japonaise (Unité 731 d’Harbin dirigée par Shiro Ishii ) on ne dira rien, car ils ont été suffisamment disséqués et même vulgarisés par le cinéma d’Hollywood et les Tertulliens   les plus analphabètes.  Aussi intéressante, commune et pourtant bien contemporaine  nous semble la figure de « l’homme nouveau » démocratique, qui d’une part  est l’homme masse de Ortega y Gasset ( un homme orgueilleux de sa vulgarité, boursoufflé, gavé , vautré dans son bien-être, qui ne se repère ou se guide que par ses appétits ou envies, tout en croyant assurées la stabilité politique et la sécurité économique ) et d’autre part l’homme programmé de Skinner ( un produit de l’ingénierie sociale dont la conduite et la pensée sont induits, voire déterminés par le milieu ambiant, qui le rend  heureux) dans son terrifiant conte philosophique écrit en 1945  «  Walden 2 ».

Les attentats du 13 novembre 2015 au Bataclan (131 morts et 413 blessés) dont on vient de conclure le procès d’une partie des barbares impliqués ont vu se produire l’horreur absolue dans le domaine de l’atteinte à la personne humaine et à ses droits fondamentaux, le droit de vivre, le droit d’avoir et d’exprimer des opinions différentes, de vaquer à sa guise et sereinement dans les rues des villes, de boire un verre sur les places de nos villages, de sortir le soir au concert au théâtre ou au cinéma.  Notre incompréhension est totale devant le désir fou de tuer des frères humains. Nous nous inclinons devant les victimes journalistes, policiers, innocents pris en otages et les pleurons devant ces tragiques événements qu’aucune cause ne saurait justifier qu’elle soit religieuse, politique ou idéologique. Et nous reviennent en boucle les images du massacre de la rue d’Isly à Alger le 26 mars 1962, les dizaines de milliers de harkis trahis, torturés et exécutés par le FLN après les accords d’Evian ( le calvaire de beaucoup d’entre eux se poursuivit dans les geôles algériennes jusqu’en 1970) ;des centaines de français sont massacrés ou enlevés le 5juillet 1962 par le FLN à Oran sous les yeux de l’armée française ayant reçu l’ordre de ne pas intervenir ; l’assassinat des moines de Tibhirine ; la froideur des assassinats perpétrés par le terroriste islamiste Mohammed Merah en mars 2012 (7 morts et 6 blessés) ; l’attentat terroriste islamiste contre Charlie-Hebdo le 7 janvier 2015 (16 morts) ; ;l’attentat terroriste islamiste du 14 juillet 2016 à Nice ( 86 morts-458 blessés) ; l’assassinat du Père Hamel par deux terroristes islamistes le 26 juillet 2016 au cours de la célébration de la messe dans l’Eglise de Saint Etienne de Rouvray ; l’assassinat et la décapitation de Samuel Paty professeur d’Histoire et géographie à Conflans Ste Honorine par un terroriste islamiste le 16 octobre 2020 ; et le chapelet les défenestrations et égorgements multiples qui alimentent  ce que les médias appellent désormais des « faits divers ».  

Il y eut le temps du deuil, de la compassion, de l’émotion, du rassemblement, mais vous savez comme moi qu’il n’est pas bon de se rendormir après un cauchemar, il faut, pour le chasser, en identifier les causes profondes. En éducation et particulièrement à l’école, au collège, au lycée ou à l’université, ceci devrait conduire les responsables institutionnels et les maîtres à bien des réflexions et des résolutions puisqu’ils ont cette extraordinaire responsabilité d’éduquer et transmettre, d’accueillir et de construire dans le respect de la dignité chaque enfant qui leur est confié. 

Une société peut-elle détricoter toutes les valeurs, tous les repères, toutes les digues qui l’ont constituée et puis s’étonner que des gens privés de valeurs, de repères et de digues s’en prennent à elle ? Les lynchages, égorgements, incendies de voitures, des biens publics, des églises, attaques de commissariats, de pompiers, de médecins, de professeurs, de familles, de prêtres, conquêtes de territoires et quartiers par des bandes de voyous terrorisant les habitants, menaces de mort mises parfois à exécution, expéditions punitives impunies de milices d’« antifas » ou de salafistes…autant d’  « hommes nouveaux » qui font régner la terreur et actualisent l’horreur des harangues et vociférations de Carrier.       

Une société qui ne fait pas de la vie, de son apparition jusqu’à son terme naturel, son bien essentiel et son principal objectif, peut-elle s’étonner que la vie devienne une valeur relative ? La dimension sacrée de la vie, le sacré immanent, peut-il survivre, dans une société, à la disparition du sacré transcendant ?

Les vertus que nous croyons universelles et qui de fait, nous le croyons, sont appelées à le devenir, sont-elles innées ou sont-elles le fruit d’une longue éducation, d’une imprégnation tellement lente et tellement profonde qu’elle n’apparait plus à nos yeux ? Le temps n’est-il pas venu d’en identifier et d’en désembourber la source si nous voulons qu’elles continuent à irriguer notre vie et à en féconder le développement ?

Notre conception de la dignité humaine ne vient-elle pas de la certitude longtemps partagée que Dieu s’est fait homme ?

Evidemment c’est la souffrance qui nous rappelle que nous sommes. « La souffrance est l’origine de la conscience », mais elle nous rappelle aussi combien l’émerveillement et la jubilation ont de sens et qu’ils nous comblent sans qu’on en rende vraiment grâce. C’est le mystère de la joie pudique, sans exubérance que nous sommes amenés à transmettre. Ce ravissement, cette éducation à l’émerveillement !

 

J’ai l’intime conviction que ce sont ces défis qu’il nous faut relever avec lucidité, et dans une société qui revendique plus que jamais et avec le sérieux que donne le tragique, le droit de pouvoir tout exprimer et tout dire, je crois que nous pouvons exprimer ces questionnements.

On peut toujours dénoncer le fanatisme religieux, constater la faillite de l’autorité, se lamenter sur son époque, rappeler justement cette pensée de Bossuet « Dieu se rit des hommes qui déplorent les conséquences dont ils chérissent les causes », il n’empêche que notre société doit s’interroger sur l’enchaînement des violences qui la traversent. Car il est des violences physiques, verbales, morales, intellectuelles, artistiques… qui en appellent d’autres. Quand on représente Mahomet sous la forme d’une crotte enturbannée, Benoît XVI en train de sodomiser des enfants, la Vierge Marie les jambes écartées de façon suggestive ; quand on s’adonne à la provocation, à l’obscénité sur ce qui touche la conscience la plus intime, celle du corps, celle de la foi, du sacré, de la symbolique religieuse… ce nouvel iconoclasme engendre inévitablement par ricochet, et bien sûr, sans jamais les justifier, la revanche, la vengeance, d’autres violences encore plus insoutenables dans un engrenage quasi mécanique, et dont l’actualité nous offre quotidiennement l’horrible spectacle et la banalisation du mal. La sacralisation de la dérision et de l’injure ne peut produire en retour que de la haine.

Dans la prise de conscience que nous devons faire tous ensemble, rien ne peut, rien ne doit justifier la violence d’où qu’elle vienne, quelle qu’elle soit ; que ce soit la violence de ceux qui, par la force, veulent imposer leur foi, où la violence de ceux qui, par le mépris, injurient celle des autres. Mais il faut extirper les causes de ces violences si l’on veut pour l’avenir s’épargner le chaos.

Thierry Aillet

Ancien Directeur Diocésain de l’Enseignement Catholique d’Avignon