Divergences entre la CEDH et l’ONU sur la burqa
Article rédigé par eclj.org, le 13 octobre 2020 Divergences entre la CEDH et l’ONU sur la burqa

Il y a dix ans, le 11 octobre 2010, la loi française interdisant la dissimulation du visage dans l’espace public (n° 2010-1192) était adoptée. À l’occasion de cet anniversaire, l’ECLJ vous propose une réflexion à partir d’un article de Nicolas Bauer, chercheur associé, dans la revue Société, droit et religion (C.N.R.S. Editions, n° 9, juin 2020) : « Affaire Baby-loup » et burqa : la divergence profonde entre Genève et Strasbourg affaiblit la liberté de religion ».

Cet article analyse et compare les jurisprudences de deux instances internationales, la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) et le Comité des droits de l’homme des Nations unies (ONU), sur les signes et vêtements religieux. L’article s’appuie notamment sur des exemples d’affaires françaises relatives au port du voile intégral dans l’espace public. Alors que la CEDH a déjà validé la loi française, le Comité considère qu’elle viole la liberté de religion des musulmanes.

Le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (« Pacte II ») de 1966 vise à donner une force obligatoire aux droits civils et politiques de la Déclaration universelle des droits de l’homme (DUDH) de 1948. C’est aussi l’ambition, au niveau régional, de la Convention européenne des droits de l’homme de 1950[1]. L’ancien président de la Cour européenne Guido Raimondi avait rappelé dans un colloque organisé par l’ECLJ en septembre 2018 : « la Convention doit être considérée comme un instrument reflétant la résolution des États à prendre les premières mesures propres à assurer la garantie collective de certains droits énoncés dans la Déclaration[2] ».

Les États parties au Pacte II se sont engagés à respecter ses termes et ont confié au Comité des droits de l’homme la surveillance de sa mise en œuvre. Une partie d’entre eux, dont la France, a choisi de signer et ratifier le Protocole facultatif habilitant le Comité à recevoir également des « communications émanant de particuliers ». Au niveau régional, les États du Conseil de l’Europe ont choisi de confier à la CEDH la mission d’assurer le respect des droits présents dans la Convention européenne.

Après avoir épuisé les voies de recours au sein de leur État, les personnes qui souhaitent défendre leurs droits devant une instance internationale doivent choisir entre le Comité onusien et la CEDH, qui ne peuvent pas être saisis conjointement[3].

En ce qui concerne le droit à la liberté de religion, les articles du Pacte II et de la Convention européenne sont en substance très similaires[4]. Ces deux articles protègent le droit d’avoir ou d’adopter une religion, ainsi que le droit de la manifester. Le Comité des droits de l’homme et la CEDH parviennent habituellement à se coordonner sur l’interprétation de ce droit. Il apparaît cependant que leurs jurisprudences sur les signes et vêtements religieux révèlent des divergences profondes, en particulier concernant la burqa dans l’espace public.

L’interdiction de la burqa, nécessaire au « vivre-ensemble » ?

Dans l’arrêt S.A.S. c. France du 1er juillet 2014, la Grande chambre de la CEDH avait jugé que la loi interdisant la dissimulation du visage dans l’espace public était compatible avec le droit à la liberté de religion des musulmanes. En effet, cette législation est d’après la Cour proportionnée au but légitime de la préservation du « vivre ensemble ». La réflexion de la CEDH sur cette notion était concrète et développait notamment le rôle du visage dans l’interaction sociale[5]. Sa décision témoignait d’une grande prudence à l’égard de « la flexibilité de la notion de « vivre ensemble » et [du] risque d’excès qui en découle[6] ».

Au contraire, le Comité des droits de l’homme a déclaré plusieurs fois que la loi de 2010 interdisant la dissimulation du visage dans l’espace public était contraire à la liberté de religion et créait un « sentiment d’exclusion et de marginalisation de certains groupes[7] ». En août 2015, dans ses observations finales concernant le cinquième rapport périodique de la France, le Comité avait classé les restrictions au « port de signes religieux qualifiés d’« ostensibles » » parmi ses « principaux sujets de préoccupation et recommandations[8] ». C’est même le seul sujet à propos duquel le Comité a constaté des atteintes à la liberté de religion en France.

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[1] Voir son préambule : « Résolus, en tant que gouvernements d’États européens animés d’un même esprit et possédant un patrimoine commun d’idéal et de traditions politiques, de respect de la liberté et de prééminence du droit, à prendre les premières mesures propres à assurer la garantie collective de certains des droits énoncés dans la Déclaration universelle ».

[2] Colloque « Le défi de l’universalité - Regards croisés 70 ans après la Déclaration universelle des droits de l’homme », Conseil de l’Europe, 10 septembre 2018 : intervention du président de la CEDH Guido Raimondi disponible en vidéo.

[3] Voir l’article 5 § 2 du Protocole facultatif au Pacte II et l’article 35 § 2 de la Convention européenne.

[4] Voir l’article 18 du Pacte II et l’article 9 de la Convention européenne.

[5] CEDH, S.A.S. c. France [GC], n° 43835/11, 1er juillet 2014, § 122.

[6] Ibid.

[7] Comité des droits de l’homme, Observations finales concernant le cinquième rapport périodique de la France, CCPR/C/FRA/CO/5, 17 août 2015. Voir également les Constatations adoptées par le Comité à sa 106e session (15 octobre-2 novembre 2012), Communication n°1852/2008, CCPR/C/106/D/1852/2008, 4 février 2013.

[8] Ibid.