Article rédigé par L'Homme Nouveau, le 16 avril 2020
Source [L'Homme nouveau] Le 12 avril dernier, le Rév. Père André Manaranche, de la Compagnie de Jésus, mourait du coronavirus tandis que l’Eglise chantait l’Exultet pascal. Le devoir de piété filiale m’incite à rendre hommage à ce prêtre que le Seigneur Jésus a rappelé à Lui en la nuit de Pâques si spéciale de cette année 2020. Cet humble témoignage s’ajoute à ceux qui ont été publiés dans L’Homme Nouveau en 2014 ; ils concernaient deux autres figures sacerdotales de premier plan que j’ai eu la grâce de connaître chez les Scouts d’Europe, les abbés Edmond Barbotin[1] et Pierre Gaudray[2].
Qui était le Père André Manaranche ?
Je n’ai aucunement la prétention d’épuiser la richesse de cette personnalité exceptionnelle dans un article aussi bref. Il reviendra à d’autres d’écrire sa biographie, de présenter et d’analyser son œuvre prolifique (sa bibliographie ne compte pas moins de trente-cinq livres !), qui couvre des domaines aussi divers que la théologie fondamentale et celle du sacerdoce, les sciences sociales, l’apologétique, la morale, l’ecclésiologie…sans oublier ses nombreux ouvrages de nature pastorale destinés plus particulièrement aux jeunes. A partir de quelques faits qui surgissent spontanément de ma mémoire, le lecteur pourra se remémorer et redécouvrir ce trésor théologique et pastoral que le Père Manaranche nous a offert tout au long de sa vie avec générosité et humilité, et évoquer ses propres souvenirs qui ont émaillé ses rencontres avec ce prêtre bon et fidèle que les jeunes de l’Ecole d’Evangélisation de Jeunesse-Lumière appelaient affectueusement « Tonton », sans oublier ses innombrables conférences, méditations, homélies prononcées en divers lieux (abbayes, séminaires, paroisses…), ainsi que la lecture de ses ouvrages et de ses nombreux articles parus dans diverses revues[3].
Prêtre diocésain puis jésuite
Le Père Manaranche résumait ainsi son double parcours de prêtre diocésain pendant dix ans[4], puis de jésuite à partir de 1961, en constatant sans faux-semblant : « La vocation jésuite a rectifié l’idée étroite que je me faisais du sacerdoce, et le sacerdoce a maintenu dans sa vérité ma vocation jésuite» : une expression flamboyante, dont il avait le secret ! Evoquons un seul point qui le caractérise : missionnaire : il l’était dans l’âme, en bon disciple et fils spirituel de saint Ignace de Loyola. L’esprit missionnaire et de chevalerie propre au jésuite, qu’il a retrouvé dans le scoutisme, a imprégné toute la vie de cet apôtre énergique et fidèle à l’Eglise et à son enseignement : ainsi, il était fier d’avoir prononcé le quatrième vœu demandé par saint Ignace, celui de la fidélité au Pape. Son expérience africaine, qui l’a conduit dans des pays aussi divers que le Sénégal, le Niger, le Bénin, le Burundi, le Rwanda, Madagascar… pour des enseignements, des retraites et des services pastoraux, l’a incité à choisir comme devise cet avertissement de l’apôtre saint Paul : «Malheur à moi si je n’annonçais pas l’Évangile ! » (1 Co 9, 16). Au sujet de la mission, le Père Manaranche affirmait volontiers avec son franc-parler devenu proverbial :
« L’évangélisation n’est ni nouvelle, ni ancienne, elle consiste à annoncer l’Evangile en tout temps et en tout lieu. Il y a certes des manières de faire différentes, mais la mission a toujours existé dans l’Eglise. Elle n’est nouvelle que pour les jeunes qui veulent montrer leurs muscles ! A leur manière, c’est déjà ce que faisaient des Grignon de Montfort, saint Jean Eudes ou saint Vincent de Paul, et d’autres encore, au XVII siècle : ils prenaient des paysans du coin qui connaissaient vaguement le Bon Dieu, et relançaient leur ferveur par des missions dans les campagnes »[5].
Et il résumait ainsi la crise actuelle de la mission en citant volontiers cette phrase du Père Louis Bouyer : « Au début, on prêchait la conquête, après on a prêché l’insertion et la présence. A quand l’absence ? ». C’est pourquoi, concluait-il, la Nouvelle Evangélisation du Pape saint Jean-Paul II consiste à « reprendre les choses et à redonner une seconde jeunesse à la mission »[6]. D’où l’intérêt du Père Manaranche pour toutes les initiatives missionnaires, de la « Mission de France », lancée par le cardinal Suhard en 1941, jusqu’aux réalisations fructueuses plus récentes comme la Communauté Saint-Martin fondée par l’abbé Jean-François Guérin ou l’Ecole d’Evangélisation « Jeunesse-Lumière » du Père Daniel Ange[7].
1974 : un tournant
L’année 1974 a sans doute constitué un tournant dans la vie sacerdotale du Père Manaranche. Elle marqua le début de son apostolat au séminaire de Paray le Monial, où l’avait appelé un supérieur qui, par la suite, lui demanda de continuer ce même ministère de la formation des futurs prêtres au séminaire international d’Ars qu’il avait fondé, en 1988, un an après avoir été nommé évêque de Belley-Ars : Mgr Guy-Marie Bagnard[8]. Je me souviens qu’au séminaire de Paray le Monial, le Père Manaranche assurait deux enseignements : l’un consistait en une présentation du concile Vatican II, et l’autre en un commentaire de son livre : Attitudes chrétiennes en politique. Ce pédagogue incomparable se contentait de lire le texte d’un document du concile ou quelques pages de son ouvrage, puis il se lançait dans un commentaire lumineux sans l’aide d’aucune note qui nous laissait bouche bée… De fait, il enseignait à sa manière, unique, à la fois docte, érudite et précise, émaillant ses propos de réflexions toujours pertinentes et inédites, assorties d’anecdotes truculentes. Les personnages qu’il évoquait avec fougue s’animaient sous nos yeux. L’auditoire, subjugué par son verbe aussi rapide qu’incisif, éclatait de rire à intervalles réguliers. En restait-il quelque chose de consistant ? Oui, l’essentiel ! Car le Père Manaranche posait des fondements solides comme la maison bâtie sur le roc. En effet, par exemple, au sujet du concile Vatican II, le savoir encyclopédique du Père Manaranche et son analyse lucide et perspicace nous permettaient de comprendre sans faux-semblant que, si, à cette époque, « le Rhin s’était jeté effectivement dans le Tibre »[9], il y avait eu aussi, à côté du vrai concile, un autre pseudo concile, celui des médias et des groupes de pression, et que, de plus, il convenait de lire les documents de Vatican II selon une herméneutique de la réforme dans la continuité, et non selon une herméneutique de la rupture. On comprend donc que le Père Manaranche ait dit ceci du Pape Benoît XVI :
« Je me suis senti très proche de lui pendant les années où il était préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi. Nous correspondions, et j’allais chaque année le visiter avec l’Ecole Jeunesse-Lumière. Il nous recevait avec grande chaleur, alors qu’il avait autre chose à faire… Sa formation doctrinale est impressionnante, et il a une pensée, une limpidité à laquelle j’adhère totalement : il croit au sacerdoce, à l’Eglise, et aux sacrements…En plus, Benoît XVI a une liberté d’expression extraordinaire : il est devenu mon maître »[10].
Certains penseront peut-être que je fais preuve d’un enthousiasme un peu excessif. Et pourtant, voici l’extrait d’une conférence du Cardinal Jean-Pierre Ricard, archevêque émérite de Bordeaux, aux séminaristes de France en pèlerinage à Lourdes, le 9 novembre 2014, qui montre l’influence profonde de ce prêtre :
« En 1967, je me trouvais à l’abbaye de Saint-Benoît-sur-Loire et avec d’autres séminaristes, nous faisions notre retraite de préparation au sous-diaconat. Celui qui nous la prêchait était un prêtre diocésain qui avait souhaité entrer dans la Compagnie de Jésus, le Père André Manaranche. Sa retraite nous a beaucoup marqués et nous devions retrouver l’année suivante les grandes convictions qu’il nous avait partagées dans un livre qu’il venait d’éditer intitulé : "Prêtres à la manière des Apôtres". Je dois vous avouer que, si j’ai oublié le détail des développements du Père Manaranche, mon sacerdoce a été marqué par ses grandes convictions. Ce sont elles qui, avec la grâce de Dieu, m’ont permis de vivre la grande crise de Mai 68 sans y perdre mon âme, de traverser l’époque particulièrement critique des années 70-80 et de vivre avec passion mon sacerdoce aujourd’hui ».
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