Article rédigé par L'Homme Nouveau, le 19 février 2020
Source [L'Homme Nouveau] Vaticaniste reconnu, Edward Pentin a publié dans National Catholic Register, le 8 février dernier, un entretien important avec le cardinal Robert Sarah, portant sur le livre que ce dernier a cosigné avec le pape émérite, Benoit XVI. Un texte qui n’a rien perdu de son actualité, la meilleure synthèse sur cet ouvrage important. Il méritait donc d’être connu aussi en France, d’autant que les adversaires du célibat sacerdotal préfèrent tenter de discréditer Des profondeurs de nos cœurs plutôt que d’entrer dans des questions de fond.
Eminence, pourquoi avez-vous voulu écrire ce livre ?
Parce que le sacerdoce chrétien est en danger de mort ! Il traverse une crise majeure.
La découverte du grand nombre d’abus sexuels commis par des prêtres voire des évêques en est un symptôme indiscutable. Le Pape émérite Benoît XVI avait déjà pris fortement la parole à ce sujet. Mais alors, sa pensée avait été déformée et ignorée. Comme aujourd’hui on a tenté de le réduire au silence. Comme aujourd’hui, des manœuvres de diversion ont été montées pour détourner l’attention de son message prophétique. Pourtant, je suis persuadé qu’il nous avait dit l’essentiel : ce que personne ne veut entendre. Il avait montré qu’à la racine des abus commis par des clercs, il y a un défaut profond dans leur formation. Le prêtre est un homme mis à part pour le service de Dieu et de l’Église. Il est un consacré. Toute sa vie est mis à part pour Dieu. Or on a voulu désacraliser la vie sacerdotale. On a voulu la banaliser, la rendre profane, la séculariser. On a voulu faire du prêtre un homme comme les autres. Certains prêtres ont été formés sans mettre concrètement au centre de leur vie, Dieu, la prière, la célébration de la messe, la recherche ardente de la sainteté.
Comme le disait Benoît XVI, « Pourquoi la pédophilie a-t-elle atteint de telles proportions ? En dernière analyse, la raison en est l’absence de Dieu. C’est seulement là où la Foi ne détermine plus les actions de l’homme que de tels crimes sont possibles. »
On a formé des prêtres sans leur enseigner que le seul point d’appui de leur vie est Dieu, sans leur faire expérimenter que leur vie n’a de sens que par Dieu et pour lui. Privé de Dieu, il ne leur est resté que le pouvoir. Certains ont sombré dans la logique diabolique des abus d’autorité et des crimes sexuels. Si un prêtre ne fait pas quotidiennement l’expérience qu’il n’est qu’un instrument entre les mains de Dieu, s’il ne se tient pas constamment devant Dieu pour le servir de tout son cœur, alors il risque de s’enivrer d’une sensation de pouvoir. Si la vie d’un prêtre n’est pas une vie consacrée, alors il est en grand danger d’illusion et de déviation.
Aujourd’hui, certains voudraient faire un pas de plus en ce sens. On voudrait relativiser le célibat des prêtres. Ce serait une catastrophe ! Car le célibat est la manifestation la plus évidente que le prêtre appartient au Christ et qu’il ne s’appartient plus. Le célibat est le signe d’une vie qui n’a de sens que par Dieu et pour lui. Vouloir ordonner des hommes mariés revient à laisser entendre que la vie sacerdotale ne prend pas toute la place, qu’elle n’exige pas un don complet, qu’elle laisse libre pour d’autres engagement comme un métier qui laisse du temps pour une vie privée. Mais cela est faux. Un prêtre reste prêtre à tout moment. L’ordination sacerdotale n’est pas d’abord un engagement généreux, c’est une consécration de tout notre être, une conformation indélébile de notre âme au Christ prêtre qui réclame de nous une conversion permanente pour y correspondre. Le célibat est le signe indiscutable qu’être prêtre suppose de se laisser entièrement posséder par Dieu. Le remettre en cause alourdirait gravement la crise du sacerdoce.
Le pape émérite Benoît XVI partage-t-il ce point de vue ?
J’en suis certain, et il me l’a dit, en tête à tête, à plusieurs reprises. Sa plus grande souffrance et l’épreuve la plus douloureuse de l’Eglise latine, c’est le crime des prêtres pédophiles, des prêtres qui violent leur chasteté. Il n’y a d’ailleurs qu’à lire tout ce qu’il a écrit à ce propos comme cardinal, puis durant son pontificat et enfin tout récemment dans Des profondeurs de nos coeurs.
Il n’a cessé de souligner l’importance du célibat sacerdotal pour toute l’Église. Je me permets de vous rappeler ses paroles : « Si nous séparons le célibat du sacerdoce, nous en viendrons à ne plus voir le caractère charismatique du sacerdoce. Nous ne verrons plus qu’une fonction que l’institution prévoit elle-même pour sa sûreté et ses besoins. Si on veut prendre le sacerdoce sous cet angle (…) l’Église n’est plus comprise que comme une simple ordonnance humaine. » Mais on a voulu bâillonner Benoît XVI. Je dois avouer ma révolte devant les calomnies, la violence, les grossièretés dont il a été l’objet. Benoît XVI a voulu parler au monde, mais on a cherché à discréditer sa parole. Je sais qu’il assume tout ce qui est écrit dans ce livre avec détermination, je sais qu’il se réjouit de sa publication. Il a voulu écrire et dire publiquement cette joie, mais on voudrait l’empêcher de l’exprimer. Mais raconter en détails, heure par heure, ces manœuvres ne sert à rien. Je préfère ne pas m’étendre sur ces machinations sordides dont les responsables rendront un jour compte devant Dieu.
Les adversaires du sacerdoce ne veulent pas entrer dans le fond du débat. Ils savent que leur argumentation repose sur des erreurs historiques, sur des contre-sens théologiques. Ils savent que le célibat est nécessaire à l’évangélisation en pays de mission. Alors ils essayent de délégitimer le livre lui-même. N’ayant rien à opposer au texte, ils s’attaquent à la couverture. Quelle pitié ! Ils font passer le Pape émérite pour un vieillard âgé. Mais avez-vous lu ce qu’il écrit ? Croyez-vous que l’on peut écrire des pages d’une telle profondeur sans avoir tous ses moyens ? Certains veulent nous faire passer pour des naïfs. Ils tentent de faire croire que nos éditeurs nous ont manipulé et ont profité d’un malentendu pour monter je ne sais quel coup de communication. C’est totalement faux ! Il n’y a aucun malentendu. Notre éditeur français n’a fait que mettre en œuvre ce que j’ai personnellement mis au point avec le pape émérite. J’ai déjà évoqué ce sujet. Je veux rendre encore hommage à la fidélité et au professionnalisme de tous mes éditeurs, en particulier à mon éditeur français.
Toutes ces polémiques constituent une manœuvre qui vise à faire diversion pour ne pas parler de l’essentiel, le contenu du livre.
Avez-vous souhaité faire pression sur le Pape François ?
J’ai déjà écrit que « qui est contre le Pape est hors de l’Eglise », mais on s’acharne à m’opposer à lui. Je suis même en tête de la liste des opposants au Pape François. Ces accusations me brisent le cœur et m’attristent profondément. Mais je reste serein et confiant que le Pape ne porte aucune attention à de telles insinuations mensongères.
Je ne suis nullement en opposition au Pape François ! Ceux qui le prétendent tentent de diviser l’Église. Ils mentent et font le jeu du diable. J’ai écrit ce livre en vue d’offrir humblement et filialement ma contribution au Pape dans un esprit de réelle synodalité. Je vous mets au défi de trouver dans tout ce que j’ai écrit une seule ligne, un seul mot de critique contre le Pape !
Mais je suis inquiet. En Allemagne, un étrange synode envisage clairement la remise en cause du célibat. J’ai voulu crier mon inquiétude : ne déchirez pas l’Église ! En vous attaquant au célibat des prêtres, vous attaquez l’Église et son mystère !
L’Église ne nous appartient pas, elle est un don de Dieu. Elle se perpétue grâce au ministère des prêtres qui sont aussi un don de Dieu et non une création humaine. Chaque prêtre est le fruit d’une vocation, d’un appel personnel et intime de Dieu lui-même. Benoît XVI l’explique avec profondeur dans ce livre. On ne décide pas par soi-même de se faire prêtre. On y est appelé par Dieu et l’Église confirme cet appel. Le célibat garantit cet appel. Un homme ne peut renoncer à fonder une famille et accomplir une vie sexuelle que s’il est certain que Dieu l’appelle à ce renoncement. Notre sacerdoce est suspendu à l’appel de Dieu, et à la prière de l’Église pour les vocations.
Aussi remettre en cause le célibat revient à vouloir faire de l’Église une institution humaine, à notre pouvoir, à notre portée. C’est renoncer au mystère de l’Église comme don de Dieu.
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