Article rédigé par Smart Reading Press, le 09 janvier 2020
Source [Smart Reading Press] L’Église refuse l’acharnement thérapeutique comme l’euthanasie. Mais que faire en face d’une personne qui souhaite mettre fin médicalement à ses jours ? Quelle peut être l’attitude du prêtre ou du laïc face à un malade qui a décidé de se suicider médicalement ? Tenter de l’en dissuader ? Respecter son choix et, s’il le maintient, l’accompagner jusqu’au bout ? Ou se désolidariser de son geste ? Thierry Boutet nous apporte sa réponse.
Le 5 décembre dernier, la Conférence des évêques de Suisse, réunie à Lugano à l’occasion de sa 326e assemblée ordinaire, a tenté de répondre à ces questions dans un document de trente pages qui a demandé trois ans de travail.
La Suisse, qui fait d’importants efforts pour développer les soins palliatifs, est en effet particulièrement concernée par ce problème. Chez nos voisins, chaque jour, trois personnes prennent par voie buccale ou en intraveineuse du Natrium Pentobarbital. Le suicide médicalement assisté fait aujourd’hui plus de morts en Suisse que les accidents de la route.
Face à ces situations dramatiques, les évêques suisses insistent sur l’assistance et la proximité dus à toute personne en fin de vie. En revanche, si la personne a un projet de suicide et ne change pas d’avis, ils invitent les clercs ou les laïcs qui les accompagnent à quitter la pièce au moment où l’acte létal est réalisé.
Pour le Professeur François-Xavier Putallaz, de l’université de Fribourg, qui commente ce document, «ce n’est pas un acte d’abandon, mais il signifie l’incompatibilité du geste posé avec l’Évangile.» Le document prévoit d’ailleurs que l’on puisse revenir vers le mourant et offrir un accompagnement à ses proches.
Ces orientations pratiques, Mgr Vicenzo Paglia, Président de l’Académie pontificale pour la vie, ne semble pas les partager totalement. Le 10 décembre, à Rome, à l’occasion d’un symposium sur les soins palliatifs parrainé par l’Académie pontificale pour la vie et l’association Wish Initiative de la fondation du Qatar, Mgr Paglia a pris une position différente sur le point le plus sensible du document : la présence ou non d’un représentant de l’Église au moment où le produit létal est pris par le malade.
Pour le Président de l’Académie pontificale pour la vie, même dans ces instants dramatiques durant lesquels la personne met en œuvre son projet de suicide, «accompagner, tenir la main de quelqu’un qui meurt, est un grand devoir que chaque croyant devrait promouvoir… Je pense que personne ne doit être abandonné… le Seigneur n’abandonne jamais personne… De notre point de vue, personne ne peut être abandonné, même si nous sommes contre le suicide assisté… »
Il ne s’agit pas, bien entendu, pour Mgr Pagglia de cautionner une sorte de droit au suicide. «Le suicide est une « grande défaite » pour la société et ne peut jamais être transformé en un choix judicieux», rappelle-t-il. Mais il faut aussi selon lui, «lâcher les règles […]. Je voudrais retirer l’idéologie de cette situation».
Personne ne reprochera au Président de l’Académie pontificale pour la vie de vouloir retirer l’idéologie de cette question, si tant est qu’elle y soit. Reste que la question de la finalité de l’accompagnement par un chrétien d’une personne mourante demeure. Or toutes les paroles et tous les gestes n’ont pas le même sens. C’est en tout cas l’avis d’un grand nombre de prêtres ou de laïcs qui ont réagi aux propos de Mgr Paglia, notamment aux États- Unis, où le débat sur le suicide médicalement assisté est d’actualité dans de nombreux États.
Ainsi, pour le Père Pius Pietrzyk, Président des études pastorales au séminaire St. Patrick à Menlo Park, en Californie, «s’asseoir là en tenant la main comme si ce n’était pas grave est une énorme erreur. Je pense que c’est en fait assez cruel…»
Son collègue, le père Thomas Petri, un théologien moral enseignant à la Maison des études dominicaines à Washington DC, pense «que Mgr Paglia cherche à montrer que le Christ n’abandonne personne, c’est ainsi qu’il a commencé sa réponse. Je pense, cependant, qu’il était imprudent de suggérer qu’un prêtre pourrait tenir la main de quelqu’un engagé dans un suicide […]. Je ne tiendrais pas la main de quelqu’un s’il était sur le point de se tirer dessus ou de se pendre, je l’arrêterais, c’est ce qu’un prêtre devrait faire s’il se trouve dans cette situation.»
Et le théologien ajoute : «Agir autrement, c’est nier le caractère sacré de la vie. S’asseoir là passivement et caresser la main de quelqu’un au lieu d’essayer activement de l’empêcher, c’est nier la dignité de sa vie, c’est nier le don que Dieu lui a donné dans sa vie. En tant qu’Église, nous refusons de le faire.»