Article rédigé par L'Opinion, le 26 août 2019
Pareil à Monsieur Jourdain, Emmanuel Macron ferait-il du Trump sans le savoir ?
Source [L'Opinion]
A deux reprises la semaine dernière, le chef de l’Etat a critiqué « l’Etat profond » français, reprenant les mêmes mots que Donald Trump dénonçant le « deep state ».
Lors d’une rencontre, mercredi 21 août avec l’Association de la presse présidentielle, Emmanuel Macron a utilisé à deux reprises les mots d’« Etat profond » à propos des obstacles à sa politique de rapprochement avec Moscou et de la rédaction de communiqués du G7, ajoutant qu’il ne voulait pas être « l’otage de gens qui négocient pour moi »
S’exprimant, le 21 août, devant la presse présidentielle, Emmanuel Macron a utilisé à deux reprises l’expression d’« Etat profond ». Sauf erreur de notre part, c’est la première fois que le chef de l’Etat emploie publiquement ce concept, peu commun dans le vocabulaire politique français en dehors des cercles complotistes. Recevant quelques journalistes à l’Elysée le 31 janvier, le président de la République avait, toutefois, déjà dit que « l’Etat profond n’a pas assez changé », rapportait alors Libération.
Mercredi dernier, Emmanuel Macron a d’abord noté que sa volonté de rapprochement avec la Russie suscitait l’opposition des « Etats profonds de part et d’autre , à Paris comme à Moscou ». Puis, expliquant pourquoi il avait renoncé à la rédaction d’un communiqué final à l’issue du G7, il a affirmé que ces discussions n’étaient que « des chicayas de bureaucrates et d’Etats profonds », ajoutant : « Je ne veux pas être l’otage de gens qui négocient pour moi. »
Mais que veut dire « Etat profond » ? L’expression vient de Turquie, où elle a été popularisée dans les années 1990 (« Derin Delvet ») pour désigner les réseaux kémalistes de l’armée, des services de renseignement ou de la justice, qui s’opposaient à la fois à la démocratisation du pays et aux islamistes. Le concept a depuis lors été largement adopté par les politologues, au-delà du cas turc. Il a ainsi servi à décrire les réseaux occultes dans l’Italie des années 1970, comme la « loge P2 », le pouvoir des généraux en Algérie ou le noyau sécuritaire de l’Etat d’Israël. En 2018, la revue italienne de géopolitique Limes consacrait un numéro entier aux « Stati profondi », qualifiés d’« abysses du pouvoir ».
C’est surtout aux Etats Unis que le concept de « deep state » est désormais le plus utilisé. Et, au premier chef, par Donald Trump lui-même, contre sa propre administration. Ainsi, lors d’un meeting en septembre 2018, le président américain dénonçait ces « agents non élus de l’Etat profond qui poussent leur propre agenda secret et sont véritablement une menace pour la démocratie ». Abondamment employé par les réseaux complotistes et conspirationnistes outre-Atlantique, « deep state » a depuis 2018 les honneurs d’une série télévisée britannique sur le monde du renseignement.
Si Emmanuel Macron reprend à son compte le vocabulaire de Donald Trump, qu’est-ce que cela signifie dans le cas de la France ? Ces récents propos visaient à l’évidence les diplomates qui négocient les communiqués des sommets internationaux ou ceux qui mettent en œuvre les relations avec la Russie.
Vu de l’Elysée, l’accord entre l’UE et le Mercosur est à cet égard un cas d’école. Au prétexte de la politique du président brésilien Jair Bolsonaro et des incendies de forêt en Amazonie, Emmanuel Macron a annoncé, vendredi, qu’« en l’état », il s’opposerait à cet accord commercial avec l’Amérique latine. Très contesté par les écologistes et les agriculteurs, ce traité avait été annoncé lors du G20 d’Osaka, il y a moins de deux mois. Mais l’Elysée avait l’impression – pas forcément injustifiée – de s’être fait imposer ce texte par la Commission européenne sortante – « l’Etat profond » de Bruxelles. « C’est un peu surprenant et ça fout le bordel. C’est une sorte de coup d’Etat de l’équipe Juncker qui voulait conclure » avant de passer la main, confiait alors une source française de premier plan, qui avouait même « ne pas avoir vu l’intégralité du texte ». A la première occasion, Emmanuel Macron l’a donc dénoncé, soucieux de « ne pas être l’otage » de ceux qui négocient pour lui, comme il l’a dit mercredi dernier.
Sur la Russie, la politique de l’Elysée se heurte à de fortes résistances au sein de l’appareil d’Etat. Peu après son élection, Emmanuel Macron assurait vouloir rompre avec « le néoconservatisme importé en France depuis dix ans » au profit d’une politique d’inspiration plus « gaullo-mitterrandienne », celle prônée par Hubert Védrine, Jean-Pierre Chevènement ou Dominique de Villepin. Cette opposition entre « néoconservateurs » et « gaullo-mitterrandiens » est souvent contestée… surtout d’ailleurs par les premiers, qui refusent cette étiquette.
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