Article rédigé par Pierre de Lauzun, le 22 octobre 2018
Le royaume d’Arabie saoudite est à nouveau sur la sellette. Ou plutôt devrait l’être. Il faut dire qu’entre le meurtre de Jamal Khashoggi, les bombardements de civils au Yémen et l’effarant statut des femmes, il met les bouchées double dans le genre bizarrerie révoltante, sans pour autant susciter plus qu’une réprobation limitée. Comme si dans son cas le réflexe naturel de condamnation indignée si cultivé par nos médias se trouvait étrangement étouffé par un tabou.
Pourtant la bizarrerie de sa position a pour stupéfier. Il conjugue en effet deux caractéristiques exceptionnelles : le siège symbolique de la deuxième religion de la planète, la seule de l’histoire a avoir fait l’essentiel de son développement par la conquête militaire ; et des ressources financières immenses, en rien dues au génie de ses habitants ou à leur travail, mais qui sont purement le produit d’une rente, du hasard géologique qui fait qu’on y trouve des gisements gigantesques d’une matière première, le pétrole, vitale pour l’économie moderne et qui leur rapporte des ressources démentielles en regard d’une population limitée.
Pour comble, ils se payent le luxe d’un système politique lui aussi totalement hors norme, avec ses cohortes de princes réunis dans une famille tentaculaire aux méthodes opaques mais expéditives et ses myriades de potentats plus ou moins bien contrôlés par le système (les Ben Laden et les Khashoggi sont des multimilliardaires). Plus, pour couronner le tout, le choix de la version extrême (mais peut être la plus fidèle) d’une religion aux écrits violents, sans pitié pour les femmes.
Il est d’autant plus curieux de constater qu’une telle accumulation d’aberrations, historiquement sans précédent, ne suscite plus d’étonnement. Comment ? Voilà des gens qui non seulement jouissent d’un niveau de vie inégalé, dû en rien à leur mérite, mais qui se permettent de mettre à feu et à sang leurs voisins, nourrissent la version la plus belliqueuse de leur religion et la répandent partout à grands coups de milliards, et qui traitent leurs femmes comme personne en pleine période de féminisme triomphant et de #Metoo. Qui n’accueillent enfin aucun réfugié. Et ils sont nos alliés, devant lesquels tout l’arc politique vient s’incliner avec respect, de Trump à Hollande et Macron.
Feu Ronald Reagan avait une expression pour l’URSS : the Empire of Evil, l’empire du mal. Cela sonnait bien guerre des étoiles. Là nous avons une version qui n’est plus futuriste mais archaïque : un pays golem. Un golem cruel, milliardaire et salafiste. Un golem né dans les années 30 de l’alliance improbable entre les Etats-Unis alors puissance montante et un chef bédouin héritier d’une secte fanatique mais marginale. Un pays en outre instable, dont l’effondrement toujours possible (et qui serait certain sans l’armée américaine comme M. Trump leur a fait délicatement remarquer) enverrait des tsunamis dans toutes les directions.
Faisons un rêve - à la place de nos utopistes, puisqu’ils sont d’une délicate pudeur sur ce thème. L’humanité ne manque pas de causes qui auraient bien besoin de ces milliards. Faites votre choix : le réchauffement climatique, l’éradication de la faim et de la pauvreté, les maladies etc. L’idéal ne serait-il pas de mettre en commun au service de ces causes les ressources pétrolières de la péninsule arabique, patrimoine commun de l’humanité ? Quitte à verser une rente confortable mais raisonnable aux autochtones. On ferait d’une pierre deux coups : éliminer le golem et faire du bien aux autres. Je propose donc le sujet pour la prochaine réunion du G20, qui se bat un peu les flancs depuis quelque temps.