Article rédigé par Richard Labévière, le 10 août 2016
[Source : Proche et Moyen-Orient.ch]
« Il nous faut israéliser notre sécurité », affirme sans ciller Hervé Morin dans Le Figaro du 26 juillet dernier.
Cherchant sans doute à exister et à se singulariser dans le contexte post-attentats où notre classe politique donne l’image la plus détestable d’elle-même, l’ancien ministre de la Défense aurait mieux fait de réfléchir plutôt que de vouloir à tout prix « faire le buzz ». Diktat de la communication politique, évidemment… l’actuel président du Conseil régional de Normandie ne pouvait pas rester silencieux, mais il aurait du réfléchir davantage avant de sortir sa grosse bêtise.
Cette déclaration irréfléchie amène trois remarques : le terrorisme, dans sa forme, ses cibles et ses revendications correspond toujours à une géopolitique précise. Celle de la France est, heureusement bien différente du contexte israélo-arabe ; historiquement, Israël a initié le terrorisme moderne au Proche-Orient avant de l’ériger en politique d’Etat ; enfin, le bilan d’Hervé Morin à la tête du ministère de la Défense est très éloquent : une coupe de 50 000 postes dans nos forces armées et quelques autres facéties…
Après avoir dit qu’ « il nous faut israéliser notre sécurité », Hervé Morin ne donne guère de contenu concret à son slogan publicitaire. Mais quiconque a voyagé un tant soit peu dans les territoires palestiniens occupés sait à quoi s’en tenir : innombrables check-points militaires, murs de séparation et blocs de béton partout, construction de colonies-forteresses sur la plupart des lignes de crête, multiplication des forces spéciales et des lois d’exception, armement des colons-civils et fascisation des esprits…
Voilà ce que ce pauvre Hervé Morin veut pour la France ! Cette fascination pour Israël et ses politiques d’occupation, de colonisation et de répression était déjà l’une des obsessions de son mentor – François Léotard – l’homme des financements occultes de la campagne présidentielle d’Edouard Balladur… Lorsque Hervé Morin est nommé ministre de la Défense, le 18 mai 2007, les diplomates américains en poste à Paris se réjouissent de ce choix soulignant (d’après les câbles révélés par Wikileaks) « sa proximité avec l’ambassade américaine, son amitié directe et déclarée pour les Etats-Unis faisant de lui le plus atlantiste et pro-israélien des députés… »
ISRAELISER L’IGNORANCE !
En affirmant qu’il « ne faut pas hésiter à s’inspirer de ce qui a été fait dans les pays durement frappés par le terrorisme, je pense notamment à Israël », Hervé Morin fait preuve d’une ignorance particulièrement crasse. En continuant à multiplier les colonies illégales et l’annexion pure et simple de territoires palestiniens, en détournant les nappes phréatiques de l’ensemble de la région, en rejetant ses égouts et eaux usés dans les villages et agglomérations palestiniennes, Tel-Aviv fabrique scientifiquement son terrorisme de toutes pièces. L’auteur de ces lignes a vécu à Bethléem, à Ramallah et à Gaza avec, souvent, en plein été, un rationnement de trois heures d’eau par jour alors qu’à quelques centaines de mètres, derrière les murs grillagés des colonies, il voyait les colons plonger dans des piscines, arroser les pelouses et laver à grande eau des véhicules de toutes sortes. De l’autre côté du miroir, il a vu des femmes palestiniennes accoucher dans des voitures de fortune bloquées des heures durant à des barrages militaires israéliens, des agriculteurs palestiniens obligés de décharger leur cargaison de tomates qui seront contrôlées une à une par des vigiles à baffer et des travailleurs frontaliers refoulés sans motif…
Qu’une telle population civile excédée par ces mesures d’occupation, de répression et d’humiliation quotidiennes puisse parfois recourir à la violence ne constitue certainement pas une surprise.
Que des gosses sans avenir – qui vivent dans des prisons à ciel ouvert et dans les décharges publiques des agglomérations israéliennes avoisinantes – finissent par se révolter ne fait que répondre aux conditions de vie générées par le terrorisme d’Etat israélien, sciemment entretenu, scientifiquement géré pour justifier des lois d’exception liberticides, meurtrières et de nouvelles annexions de terres.
Par conséquent qu’on ne laisse pas n’importe quel « idiot utile » prétendre que les terroristes du Bataclan sont les mêmes que ceux qui osent attaquer à l’arme blanche des militaires et des colons israéliens armés jusqu’aux dents ! Le terrorisme que les autorités israéliennes fabriquent en toute connaissance de cause n’a ni les mêmes causes, ni les mêmes revendications que celui qui tue les promeneurs niçois et qui égorge des prêtres chrétiens ! Pourquoi les autorités israéliennes arment-elles et soignent-elles les blessés des groupes terroristes de Jabhat al-Nosra engagés sur le plateau du Golan ? Il est vrai que Laurent Fabius affirmait que les « p’tits gars de Nosra font du bon boulot… »
En idéalisant ainsi le système israélien de sécurité, Hervé Morin fait aussi preuve d’une abyssale ignorance de l’histoire de la Palestine et d’Israël. Les péripéties suivantes devraient lui rappeler que ses amis de Tel-Aviv ont été les premiers – en Palestine – (oui les premiers !) à recourir aux modes opératoires terroristes. Dès 1937 une révolte contre la tutelle britannique est menée par deux groupes terroristes : l’Irgoun et le Lohamei Herit Israel (Combattants de la liberté pour Israël, LEHI) ou, en anglais, groupe Stern Gang. Né d’une scission de l’Irgoun, cette organisation est dirigée par Menahem Begin qui deviendra le sixième premier ministre d’Israël de juin 1977 à octobre 1983. Ces deux officines vont introduire le terrorisme au Proche-Orient dès la fin des années 1930, posant des bombes sur les marchés palestiniens et jetant des grenades dans des autobus civils.
RETOURS SUR LE TERRORISME ISRAELIEN
Plus meurtrières et spectaculaires, les actions de l’Irgoun serviront ultérieurement de modèle aux groupes terroristes du monde entier, durant et après la décolonisation. Après plusieurs attentats de l’Irgoun, les autorités britanniques lancent le 29 juin 1946 l’opération Agatha afin de démanteler cette organisation terroriste. Des documents contenant des informations importantes relatives notamment à la Haganah (autre groupe terroriste créé en 1920, intégré à l’armée israélienne en 1948) sont saisis à l’Agence juive, des caches d’armes découvertes et plusieurs milliers de personnes arrêtées.
Le 22 juillet 1946, une camionnette de livraison se présente à l’entrée de service de l’hôtel King David de Jérusalem. Déguisés en travailleurs palestiniens, plusieurs activistes de l’Irgoun s’infiltrent dans les réserves. Cet établissement prestigieux abrite dans son aile sud le secrétariat du gouvernement britannique et sa division d’investigation criminelle. Les terroristes placent leurs charges explosives dans le sous-sol de cette partie du bâtiment. Puis, après une exfiltration mouvementée qui donne lieu à des échanges de coups de feu, ils prennent la fuite. A 12 h 37, une violente explosion secoue le bâtiment. L’aile sud s’effondre, ensevelissant plusieurs dizaines de personnes. Unanimement condamné par la communauté internationale, l’attentat, qui fait 91 victimes et 46 blessés, va pousser le gouvernement britannique à un retrait progressif de sa présence en Palestine.
Restait à donner le coup de grâce. A la suite du plan de partage du 29 novembre 1947 – prévoyant la création d’un Etat hébreu sur 20 % de la Palestine1, le reste étant rattaché à la Transjordanie – de nouveaux affrontements éclatent entre Juifs et Palestiniens. Le 9 avril 1948 est perpétré le massacre de Deir Yassin par 120 terroristes de l’Irgoun et de Stern qui exécutent 254 villageois palestiniens. Cette tuerie destinée à terroriser la population civile palestinienne (dont Menahem Begin assume la plus grande responsabilité) a une grande répercussion sur la suite du conflit. Quelque 800 000 personnes fuient ou sont expulsées de leurs maisons et villages : c’est ce qu’on a appelé la nakba, la catastrophe.
Dans ce contexte des plus volatils est proclamée la déclaration d’indépendance de l’Etat d’Israël le 14 mai 1948 par David Ben Gourion, président de l’Agence juive qui devient le premier ministre du pays. Diplomate suédois qui a négocié la libération de 15 000 prisonniers des camps de concentration durant la Seconde guerre mondiale, le comte Folke Bernadotte est nommé médiateur des Nations unies en Palestine le 20 mai 1948. Sa mission consiste à faire cesser les affrontements et à superviser la mise en œuvre du plan de partage. Mais celui-ci est aussitôt rejeté par les deux parties. Les milieux juifs déclenchent alors une campagne de presse haineuse contre Bernadotte.
En juillet 1948, le diplomate suédois est menacé de mort par le groupe Stern. En août, les dirigeants de cette organisation décident de mettre leur menace à exécution. Le 16 septembre, le comte Bernadotte propose un nouveau plan de partage, à nouveau refusé par les Israéliens et les pays arabes. Le lendemain, le 17 septembre 1948, Bernadotte mène une inspection dans le quartier Katamon de Jérusalem. Le convoi se compose de trois véhicules arborant des fanions des Nations unies et de la Croix rouge. A l’arrière de la voiture de queue, une grosse Chrysler, sont assis le médiateur suédois et un officier français détaché auprès de l’ONU, le colonel André Sérot. Personne n’est armé, Bernadotte ayant toujours refusé de porter un gilet pare-balles.
Soudain, une Jeep surgit d’une rue transversale et barre le chemin du convoi. Trois hommes en uniforme de l’armée israélienne en descendent. On sait aujourd’hui que le meurtre a été planifié par Zettler, le commandant de la section de Jérusalem et que l’exécution a été confiée à un vétéran de Stern, Yéhoshua Cohen. Les deux autres tireurs sont Yitzhak Ben-Moshe et « Gingi » Zinger, le conducteur de la jeep s’appelle Meshulam Makover. Le comte Bernadotte ouvre sa vitre et passe la tête pour voir ce qui se passe. Yehoshua Cohen se dirige vers lui et vide à bout portant le chargeur de son pistolet mitrailleur sur les deux passagers. Bernadotte reçoit six balles dans le bras gauche, la gorge et la poitrine. Le colonel Sérot est frappé de 18 balles. Tous deux meurent sur le coup.
Cet attentat suscite indignation et condamnation unanimes. En 24 heures, 250 membres de Stern sont arrêtés et l’organisation est officiellement dissoute. Zettler affirmera avoir reçu une promesse explicite du ministre de l’intérieur Yitzhak Grünbaum : « vous serez condamnés pour satisfaire l’opinion mondiale. Après quoi, vous serez amnistiés ». De fait, les deux principaux responsables des opérations terroristes de Stern, Yalin Mor et son adjoint Mattiyahu Shmulovitz, condamnés le 2 février 1949 à plusieurs années de prison, non pour meurtre mais pour appartenance à une organisation terroriste, seront relâchés deux semaines après. Tous les autres détenus de l’organisation bénéficieront d’une amnistie générale. Nathan Yalin Mor est élu à la Knesset en janvier 1949 et le tireur Yeoshua Cohen devient le garde du corps personnel de Ben Gourion dans les années 1950. Le terroriste Yitzhak Shamir, chef des opérations de Stern, deviendra quant à lui premier ministre d’Israël à deux reprises.
BILAN D’UN MINISTRE INCOMPETENT
Enfin, le bilan d’Hervé Morin après son passage à la rue Saint-Dominique l’autorise-t-il à dire n’importe quoi en matière de terrorisme ? A peine arrivé en 2008, il cède aux oukases des inspecteurs des finances de Bercy obsédés par les économies d’échelles et les coupes budgétaires. Son installation à l’hôtel de Brienne est difficile, « son manque de tenue, son ton gouailleur et sa désinvolture insupportent », irritant les militaires plus habitués au style strict de son prédécesseur, Michèle Alliot-Marie.
Lors de la publication en juin 2008 du Livre blanc sur la Défense et la Sécurité nationale, des officiers généraux et supérieurs des armées de terre, mer et air (via le collectif Surcouf) publient dans Le Figaro du 19 juin 2008 une tribune très critique contre les options retenues, annonciatrices selon eux d’un « déclassement militaire ». A l’époque, Hervé Morin récuse vigoureusement ces accusations pourtant chiffrées.
Il entérine aussi un plan de réduction des effectifs dans les armées de 50 000 postes. Il fait fermer les centres chargés de calculer les soldes et impose l’adoption du logiciel de gestion des paies dit « Louvois », en dépit « des risques de rupture de continuité de la fonction solde ». Donnant toujours autant dans l’amateurisme, Hervé Morin se défend en ironisant : « j’ai préparé la décision mais je n’ai pas appuyé sur le bouton ». Son successeur, Gérard Longuet rectifiera : « lorsque je suis arrivé, les appels d’offres étaient passés et le processus était malheureusement engagé ». Une question ultérieure d’Hervé Morin, redevenu député à son successeur socialiste à propos du système Louvois provoquera quelques rigolades à l’Assemblée nationale…
En tant que ministre de la Défense, il prépare et fait voter la loi du 5 janvier 2010, dite « Loi Morin », sur la reconnaissance des victimes des essais nucléaires français en Polynésie française et au Sahara algérien. Elle reconnaît de façon historique et officielle les dommages sanitaires causés par les expérimentations nucléaires. Cependant le premier décret d’application se révèle rapidement trop restrictif et le président de la République prend l’engagement début 2011 de publier un nouveau décret élargissant les zones géographiques et la liste des maladies éligibles. Encore une grande réussite !
En juillet 2014, Hervé Morin est mis en cause par son successeur socialiste, Jean-Yves Le Drian. Régissant aux prises de position d’Hervé Morin, le nouveau ministre remet la pendule à l’heure : « quand je suis arrivé, j’ai pris son héritage […]. Et qu’est ce qu’il y avait dans l’héritage de M. Morin ? Il y avait d’abord le système des soldes des soldats, qu’on appelle le système Louvois, une invraisemblable machine à gaz qui faisait que ce système de soldes était fait pour payer les soldats alors qu’il ne les payait pas… Si vous parlez du moral en berne des troupes aujourd’hui, c’est en partie parce qu’il y a ce système de fabrication Morin. Et puis, les drones dont on avait tant besoin qu’il n’a pas achetés… Et les avions ravitailleurs, dont on a tant besoin et qu’il n’a pas commandé. Et les bases de défense qu’il a organisées de manière invraisemblable avec une telle complexité administrative… » Bref, autant de ni fait, ni à faire !
L’auteur de ces lignes encore a dû accueillir personnellement, à plusieurs reprises, le ministre de la Défense Hervé Morin à l’antenne d’une grande radio de service publique. Quelle ne fut pas sa surprise de constater qu’il ne connaissait pas les effectifs de ses différentes armées et qu’il était parfaitement incapable de faire la différence entre un sous-marin nucléaire d’attaque (SNA) et un SNLE (Sous-marin nucléaire lanceur d’engins). Au hasard des archives (Le Figaro du 5 mars 2016), on retrouve cette impayable déclaration du président du Conseil régional de Normandie : « la seule recette politique que la France n’ait jamais essayée pour la croissance et pour l’emploi, c’est le libéralisme » (SIC).
Une telle incompétence, proportionnelle à une arrogance toute aussi notoire qui l’a fait détester des officiers supérieurs et généraux commanderaient aujourd’hui l’intéressé à observer un silence respectueux : d’abord envers les victimes, ensuite envers l’intelligence collective des militaires et des citoyens français. Pour le bien de la France, taisez-vous Hervé Morin !
1 Le plan de partage prévoyait la création d’un Etat hébreu sur 20% du territoire et d’un Etat Palestinien sur le reste. C’est à la faveur de la guerre de 1948 que le roi de Transjordanie a procédé à l’annexion pure et simple de la Cisjordanie (sans aucun mandat de l’ONU ni consentement des intéressés) transformant ainsi la Transjordanie et Jordanie.