Article rédigé par Thomas Flichy de La Neuville et Gregor Mathias, le 18 novembre 2015
Les attentats du 13 novembre ne sont-ils que la répétition à une échelle supérieure, de ceux de janvier ? Cette réponse n’est guère satisfaisante, dans la mesure où le terrorisme connaît une mutation très rapide. Des islamistes plus jeunes et aguerris sur les théâtres d’opérations extérieurs, frappent désormais leurs victimes sans les discriminer, avec un armement plus élaboré.
Cette violence moins maîtrisée – qui s’explique en partie par les pertes territoriales subies par l’État islamique au Moyen-Orient – constitue une faute politique de premier ordre : les islamistes ont réussi pour la première fois à fédérer contre eux l’ensemble de la population française.
Des terroristes plus jeunes et plus aguerris
Le trait commun aux islamistes de janvier et de décembre est le fait qu’ils se soient faits le porteur d’un projet de subversion politique et religieux parfaitement rationnel : celui de terroriser l’opinion publique en s’attaquant à ses lieux de loisirs. De ce point de vue, l’on commettrait une erreur d’analyse fondamentale en parlant à leur propos de folie ou de fanatisme irrationnel.
Ces islamistes justifient en effet scrupuleusement leur action par des mobiles religieux. Toutefois, les mobiles de l’action ont évolué : si les attaques de janvier et de novembre sont organisées en réponse à des agressions militaires, le mobile lié à la sacralité varie : désormais ce n’est plus seulement les caricatures du prophète qui constituent un sacrilège, mais bien le mode de vie de la société occidentale jugé « abominable » et « pervers ».
Entretemps, les djihadistes ont rajeuni : leur âge moyen est désormais de 26 ans. Contrairement aux attentats de janvier, où les islamistes s’étaient radicalisés en prison, la nouvelle génération a combattu en Syrie et a décidé de poursuivre le combat sur le sol national. Seuls les contacts avec la filière terroriste belge les fédèrent.
Des forces de l’ordre surprises
Il existe un autre point commun entre les deux attentats de Paris : les services de renseignement n’ont pas su, par deux fois, repérer et anticiper les actions terroristes. De leur côté, les forces de l’ordre ne sont pas arrivées à empêcher les terroristes d’agir alors même que les cibles étaient protégées (le garde du corps à la rédaction de Charlie hebdo et le service de sécurité au Stade de France).
Lorsque la police, la BAC et la gendarmerie se retrouvent face aux frères Kouachi ou aux terroristes du Bataclan, elles sont clairement sous-armées face à la puissance de feu des djihadistes, et leur courage ne permet pas de compenser cette infériorité (cf. vidéo Paris Match).
Néanmoins, leur action sera efficace dans la riposte comme le montre la blessure au cou d’un des frères Kouachi lors de l’échange de coups de feu avec les gendarmes ou l’action d’un policier de la BAC qui réussit à tuer un terroriste au Bataclan (cf. à droite, infographie Le Monde). Enfin les forces de l’ordre arrivent à fixer les terroristes jusqu’à leur neutralisation par les groupes d’intervention du RAID ou de la BRI.
La fin de la discrimination des victimes
À l’évidence, les attentats de novembre ont franchi un seuil numérique : en janvier 2015 l’on recensait 17 victimes ainsi que 11 blessés. En revanche, le bilan provisoire de novembre fait état de 129 morts, et de 352 blessés. Entretemps, le mode opératoire a changé : les cibles ne sont plus sélectionnées avec précision. Le targeted killing de Charb — qui était placé en 6e position sur la liste des personnes recherchées par AQPA (Al-Qaïda de la Péninsule arabique) — a laissé place à une tuerie générale.
En janvier 2015 les frères Kouachi, se revendiquant d’Al-Qaïda, avaient abattu leurs victimes d'une balle chacune, alors que cette fois-ci, une centaine de douilles ont été retrouvées sur chaque lieu de fusillade. Nous nous trouvons donc face à un « l’Hyper Cacher puissance 10 », selon le témoignage d’un policier des groupes d’intervention (in Le Monde).
Violence plus radicale et recherche du martyre
Cette attaque terroriste constitue la première attaque kamikaze sur le territoire national. Notons au passage que la technique des attentats-suicides n’est en rien une invention islamique mais bien l’acclimatation d’une technique japonaise — le premier attentat suicide ayant été mis en œuvre le 30 mai 1972 par l’Armée rouge japonaise sur l’aéroport Lod de Tel Aviv.
En ce qui concerne l’armement, les similitudes se limitent à l'utilisation de fusils d'assaut de calibre 7.62 et 7.66. Alors qu’Amedy Coulibaly, se revendiquant de l’EI, disposait d’explosifs mais n’en avait pas fait usage, cette fois-ci les terroristes ont utilisé du peroxyde d'acétone en y ajoutant des boulons afin d’aggraver les dégâts.
Si les islamistes ont agi avec sang-froid dans les deux attentats, le second est bien plus perfectionné que le premier en raison de la coordination des trois équipes avec un temps d’action rigoureusement minuté et des moyens d’action diversifiés que sont les attentats suicides autour du Stade de France, des tirs en rafales à partir d’un véhicule sur les terrasses des cafés et l’exécution méthodique et la prise d’otages dans une salle de spectacles.
La fin des terroristes de janvier ou de novembre se ressemble car les auteurs recherchent tous le martyre. En janvier, les frères Kouachi lancent un ultime assaut contre les forces de l’ordre, initialement prévu dans une forêt, puis dans l’imprimerie de Dammartin. En novembre, les terroristes se mettent des ceintures explosives qu’ils déclenchent au moment où ils le décident aux abords du stade ou dans un café. Après l’exfiltration des otages du Bataclan ou à l’arrière de l’Hyper Cacher, l’assaut des forces de l’ordre permet de neutraliser A. Coulibaly qui tente également une ultime sortie ou les terroristes du Bataclan voyant l’un des leurs se faire tuer par leur Raid décident de déclencher leurs explosifs.
Les pouvoirs publics ont tiré les leçons des attentats de janvier
La différence la plus tangible entre les deux séries d’attentats demeure toutefois la façon dont ils ont été appréhendés par les pouvoirs publics. À la campagne tapageuse Je suis Charlie, qualifiée de « moment totalitaire » par le sociologue E. Todd, fait place désormais une communication de crise sobre et efficace, répondant pour l’essentiel aux attentes psychologiques d’un public désireux d’être à la fois rassuré et protégé.
Au slogan vide propagé d’en haut se sont substitués des réactions plus profondes comme le Pray for Paris diffusé sur twitter. Au plan Sentinelle s’ajoute désormais une mobilisation de l’armée, des douanes et de la justice pour lutter de front contre cette nouvelle menace. Quant aux mesures juridiques prises, elles semblent renouer avec l’intelligence : c’est ainsi qu’aux vagues déclarations d’intention prises à l’échelle européenne se sont substituées des directives nationales de surveillance des frontières ou de contrôle du territoire.
Face à la progression de l’islamisme radical, les armées joueront désormais un rôle déterminant, combattant le terrorisme à la fois sur les théâtres d’opérations extérieures et sur le territoire national. Pour qu’elles puissent faire face à une situation de guerre, leur budget de paix désormais caduc, devra être réévalué et de nouvelles règles d’entraînement, d’engagement et d’équipement de l’armée devront être mises en place pour faire face à ce défi sécuritaire intérieur.
Thomas Flichy de La Neuville, professeur à l’ESM de Saint-Cyr,
Gregor Mathias et Le Lab de Sciences-po.