Article rédigé par François de Lens, le 28 septembre 2015
VERBATIM | La paroisse Saint-Symphorien de Versailles recevait ce dimanche 27 septembre le cardinal Raymond Leo Burke, à l’occasion de la sortie de son livre d’entretien (Artège) avec Guillaume d’Alançon. Le cardinal est un homme simple, ne rechignant pas à prolonger sa présence auprès de simples paroissiens, malgré son emploi du temps. « Mon espérance est que l’Église soit de plus en plus fidèle à son identité d’Épouse du Christ. J’espère communiquer cette espérance à travers mon livre. »
Le cardinal est d’abord revenu sur son enfance, et la naissance de sa vocation. Il a rendu hommage à sa famille, à ses parents, et ses grands-parents, immigrés irlandais aux États-Unis, qui lui ont transmis « la foi et sa pratique ». Dans ses entretiens avec Guillaume d’Alançon, il « examine le grand don de [sa] vie de [sa] vocation », réfléchissant « à ce que le Seigneur peut encore [lui] demander comme fidèle serviteur. »
Lorsqu’il était jeune, l’Église était florissante, puis il a vu les effets de la crise au cours de sa formation au séminaire, notamment à cause du « soi-disant esprit du concile Vatican II », différent de son enseignement lui-même. « Le séminaire subissait de manière particulièrement dévastatrice la crise que l’Église a connu au cours de premières années de la mise en ordre des enseignement du concile Vatican II. […] Ayant vécu cette époque particulièrement tumultueuse, marquée symboliquement par les émeutes de mai 68 à Paris, je me suis interrogé sur ce qui était sous-jacent à la tranquillité de mes premières années au séminaire et a conduit à la remise en cause inconsciente et soupçonneuse de la doctrine et de la discipline de l’Église. »
Pour comprendre cette crise postconciliaire, l’analyse de Benoît XVI est « particulièrement lumineuse : le concile ne peut être interprété qu’au moyen d’une herméneutique de la réforme dans la continuité et non pas au moyen d’une herméneutique de la discontinuité et de la rupture. » Le choc fut grand : « Tout ce qui avait été si important pour ma famille et pour moi fut brusquement et parfois violemment remis en question, ridiculisé, répudié et mis de côté. J’ai pu voir comment de véritables réformes souhaitées par les pères du concile furent souvent trahies. Je comprends le grand désir des jeunes d’aujourd’hui de s’attacher si fortement à ce que nous appelons la forme extraordinaire du rite romain. Je ne crois pas que cela soit de la nostalgie, mais plutôt une reprise de ce qui a été et continue d’être la beauté incomparable et durable de l’enseignement, du culte, et de la prière de l’Église et de la vie des vertus à travers les siècles. »
Le plan de la nouvelle évangélisation
Sur la situation de l’Église actuelle, le cardinal est limpide : « Ce qui est clair, pour moi, c’est la présence indéfectible du Christ au milieu de nous. […] La dévotion au Sacré-Cœur de Jésus a été une aide constante pour moi et cela depuis mon enfance. En contemplant son image, je me rappelle la façon dont le Seigneur ne cesse de déverser en abondance la grâce de l’Esprit Saint ! […] Le saint pontife Jean-Paul II considérait la tendance de l’homme contemporain à chercher des formules magiques, ou des nouvelles formules, alors que le plan pastoral de l’Église aujourd’hui est identique à ce qu’il a toujours été : c’est Jésus-Christ. »
« Le renouveau spirituel passera, d’une façon particulière, par l’enrichissement mutuel souhaité et encouragé par la célébration de la sainte messe et l’administration des sacrements. » Mais la nouvelle évangélisation « prend place d’abord dans la maison, dans la famille, dans laquelle la foi est d’abord enseignée. […] Mais la famille, qui est une Église domestique, tire sa foi et sa vie dans la sainte liturgie. »
« La bataille contre l’avortement doit avoir la première place »
Survivant lui-même de l’avortement – il raconte dans son livre que le médecin avait conseillé à sa mère de l’avorter – le cardinal est particulièrement sensible à la question du respect de la vie. « J’ai compris combien l’Évangile de la vie devait être au cœur de tout ce que j’enseigne et pratique. Il a été particulièrement important pour moi en tant que pasteur de donner un puissant encouragement et la primauté à l’apostolat du respect de l’inviolabilité de la vie humaine, de la conception à la mort naturelle. J’ai été grandement édifié par l’engagement indéfectible du laïcat catholique qui s’est mis à défendre les vérités les plus fondamentales de la loi naturelle et morale. Il n’y a aucune situation plus mauvaise dans la société d’aujourd’hui que la destruction massive de vies innocentes et sans défenses dans le ventre de leur mère. »
« Dans la bataille pour établir le respect de la vie humaine, l’abandon de la pratique de l’avortement provoqué doit avoir la première place. Quand les enfants et les jeunes ont grandi dans une maison de bons chrétiens, alors naturellement ils deviennent courageux à propos de la vie. Tant de choses dépendent de la maison, de la relation entre le mari et la femme, et entre les parents et les enfants ! Tant de choses également des relations que les enfants reçoivent à l’extérieur de la maison ! En tant que pasteur, j’ai exhorté les parents à être attentifs à ce que la vie chrétienne qu’ils inculquent à leurs enfants ne soit pas érodée et même corrompue par ceux qui iront enseigner dans les écoles que leurs enfants fréquentent. »
Besoin d’un discours de vérité
Sur le mariage et le synode, « il ne fait aucun doute que le mariage est soumis à une attaque féroce, parfois même au sein de l’Église. Au même titre que l’assaut sur le mariage, toute la question de notre identité en tant qu’homme et en tant que femme, de la signification de la sexualité humaine, de l’amour pur et chaste entre un homme et une femme, tout cela est remis en question. Le mariage et son fruit, la famille, sont la première cellule de l’Église et de la société en général. Il est essentiel que la vérité du Christ sur le mariage et la famille soit pensée et enseignée avec un nouvel enthousiasme et une nouvelle détermination ».
Le cardinal insiste sur la parole singulière de l’Église dans le monde : « Aujourd’hui, il est souvent dit que l’Église doit s’adapter à la culture contemporaine, pour ne pas l’offenser. Ce que les personnes attendent le plus de l’Église, est l’enseignement de la vérité du Christ. Il est absurde de dire que les lois naturelles ne signifient plus rien dans notre culture [1]. Absolument absurde. Dieu a écrit sa loi en chacun d’entre nous. Et les Saintes Écritures ont enseigné la même loi. D’une certaine façon aujourd’hui, nous ne saurons avoir notre confiance que dans la loi naturelle. » Durant les questions, le prélat racontera l’histoire de ce pasteur protestant qui lui a dit : « Nous avons abandonné l’enseignement sur le mariage et son indivisibilité, mais nous avons toujours compté sur l’Église catholique pour le maintenir. »
« Tout restaurer dans le Christ »
Mgr Burke insiste ensuite sur l’importance de l’engagement des chrétiens dans la société. « Il faut restaurer la royauté du Christ. Malheureusement, le terme de “roi” est souvent interprété de manière idéologique, et par conséquent, mal compris. Pour être un roi, comme le pape Jean-Paul II l’a enseigné, il faut pratiquer toutes les vertus qui nous permettent de rendre gloire à Dieu et servir nos frères et sœurs avec une intention pure, selon la sagesse qui nous a été enseigné durent notre enfance : “Servir, c’est régner” ». L’exemple de saint Louis est « un modèle particulièrement lumineux » pour tous les catholiques qui souhaitent s’engager dans la société. Ils doivent s’y engager pour sa « sanctification », même si la « corruption » peut les « tenter d’en rester éloignés, alors qu’il faut évangéliser ces activités en vue du bien commun […] en faisant attention à n’y pas compromettre notre foi. Cela doit être plutôt l’occasion de croître dans la foi et dans sa mise en pratique. »
En répondant aux questions, le cardinal insiste sur l’importance de la parole de l’Église et des catholiques dans le monde. « Le pape François insiste sur les périphéries de la culture. Mais on doit entendre que l’Église doit aller aux périphéries avec un message de transformation de cette culture, avec la vérité du Christ qui est un appel à la conversion. Nous devons être bien conscients que notre vie dans l’Église, dans le Christ, est contre-culturelle. Et c’est certainement ce dont la culture ambiante a besoin, car elle va de mal en pis ! […] Nous devons savoir que notre vocation dans ce monde est de suivre le christ avec intégrité, courage. Mais suivre le Christ est aussi la chose la plus charitable que nous puissions offrir au monde. Les personnes honnêtes veulent ce témoignage. Il y a peut-être des personnes hostiles : c’est leur problème. Mais les personnes honnêtes veulent reconnaitre la vérité et sont attirées par la vérité. »
Le cardinal s’est éclipsé à la fin de l’adoration qui suivait la conférence. Nous avons pu échanger quelques mots avec lui, pendant qu’il dédicaçait son livre. Il nous a demandé : « Priez pour moi ! » C’est bien noté, éminence.
Propos recueillis par François de Lens.
Guillaume d'Alençon
Entretien avec le cardinal Burke
Un cardinal au coeur de l'Eglise
Artège, 2015
184 pages, 17,50 €
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[1] Ce propos du cardinal Burke rejoint le message fort du pape François devant la 70e Assemblée générale des Nations-Unies, le 25 septembre : « ONU : le pape défend la loi morale naturelle contre la colonisation idéologique » (Libertépolitique.com, 28/08/2015).
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