Article rédigé par Henri Hude, le 24 août 2015
LETTRE D’AMERIQUE | L’enseignement de la vie politique américaine, où le meilleur côtoie le pire, est précieux pour ceux qui veulent renouveler en France un système ankylosé dans des schémas dépassés. Notre chroniqueur Henri Hude suivra pour nous la campagne présidentielle de 2016, qui s’ouvre avec plus de vingt de candidats déclarés. Qui sera le 45e président des États-Unis ? Déjà, les outsiders donnent le ton.
Aux États-Unis, la campagne est lancée pour les primaires en vue des élections présidentielles de 2016. Tous les sondages prévoient encore pour le moment une assez large victoire d’Hillary Clinton sur ses rivaux démocrates aux primaires (+35%), puis républicains (+15%). Mais, il n’est plus sûr qu’elle tienne la distance.
Le départ raté d’Hillary Clinton
L'élection est encore loin et elle déjà a perdu en deux mois environ 12% de soutien dans le pays dans son ensemble, en particulier au bénéfice de Bernie Sanders. Elle représente la quintessence du système et de sa continuité. Or, la confiance du peuple américain dans la classe politique est au plus bas, au niveau de celle que les Français accordent à la leur : entre 15 et 20%. Vous pouvez tout savoir dans le moindre détail en allant sur le site www.realclearpolitics.com
Les gens perdent aussi confiance en elle à cause de faits précis qui lui sont imputables. Elle avait monté au Département d’État un sombre système de correspondance électronique occulte, visant à la soustraire à tout contrôle. De plus, on observe de louches synergies entre le financement de la Fondation Clinton et l’action d’Hillary au Secrétariat d’État.
Pour la première fois, elle est donnée perdante de 7 points face à Bernie Sanders par un sondage sur l’élection phare du New Hampshire, qui, souvent, a changé le cours de l’histoire électorale aux États-Unis. Cela s’est produit notamment en 1976, où ce scrutin propulsa le futur président Jimmy Carter dans la position du gagnant.
Sur l’argent en politique
C’est ce même président Carter qui a fait, voici deux semaines, une déclaration fracassante [1]. Il s’exprimait à la radio mardi 28 juillet 2015 dans le Thom Hartmann Program. Le présentateur lui pose la question suivante : « Notre Cour suprême a autorisé l’entrée “illimitée d’argent en politique [2]”. Cela semble une violation des principes de la démocratie… Quelles sont vos pensées sur le sujet ? » Réponse du président Jimmy Carter :
"« Cela viole l’essence même de ce qui a fait de l’Amérique un grand pays pour ce qui est de son système politique. Maintenant, elle n’est plus qu’une oligarchie. Être désigné comme candidat à l’élection présidentielle ou être élu président est maintenant pour l’essentiel une affaire de corruption électorale sans limite [3]. Et c’est la même chose pour les élections des gouverneurs, des sénateurs et des autres membres du Congrès. Ainsi avons-nous assisté à une complète subversion de notre système politique. Il ne s’agit plus que de rémunérer les gros contributeurs (aux caisses électorales). Ils veulent et ils attendent et parfois obtiennent pour eux des faveurs, une fois que l’élection est passée. Les sortants, qu’ils soient Démocrates ou Républicains, s’intéressent à cet argent qui coule en quantité illimité. Il représente pour eux un grand bénéfice. Une personne qui est déjà en place au Congrès a beaucoup plus à vendre à un contributeur électoral avide, qu’un simple challenger. »
"
Quand des personnalités aussi officielles s’expriment ainsi, on peut deviner sans peine ce que pense le commun des mortels et combien les gens sont choqués.
Donald Trump et Bernie Sanders
Si chez les démocrates Bernie Sanders en est encore à grignoter l’avance de Clinton, Donald Trump s’est déjà placé en position de tête dans le camp républicain. Comment se positionne-t-il, et notamment par rapport aux démocrates ?
Bernie Sanders s’élève contre la monstrueuse croissance de l’inégalité aux U.S.A., qui transforme la démocratie en oligarchie. Il veut imposer la mise en place d’une politique sociale en matière d’éducation et de santé. Il est évident que ces mesures auraient immédiatement un effet négatif sur la compétitivité des États-Unis et conduiraient ou à leur prompt abandon, ou à remettre en cause le principe du libre-échange.
C’est justement là ce dont ose parler Donald Trump. Magnat de la construction immobilière, Trump est une sorte de Francis Bouygues américain, qui serait entré en politique. Il a été de tous les partis et les méprise tous. Marié trois fois, père de cinq enfants, ce chef d’entreprise fortuné assure son propre financement et pense donc en toute indépendance. Son programme est de recréer de l’emploi en remettant en cause rien moins que le principe du libre-échange, notamment avec la Chine et le Mexique. Il prend aussi une position à la fois fracassante dans la forme et plus nuancée quant au fond sur le problème de l’immigration. Ce dernier n’est après tout que l’autre aspect du libre-échange mondialisé : non plus la libre circulation des capitaux, biens et services, mais la libre circulation de la main d’œuvre sur un seul grand marché mondial.
Menaces sur l’establishment
Nous assistons donc à une forte séduction de l’électorat par deux candidats qui ne sont ni libéraux, ni mondialistes en économie. Les programmes des deux challengers se recoupent ainsi en partie. Ils s’opposent toutefois sur la politique impériale et sur les questions de mœurs. Trump est impérialiste, Sanders est partisan d’un repli. Trump est pro-life et « conservateur », Sanders se situe au contraire dans la tradition soixante-huitarde. L’Histoire nous dira si ces deux hommes parviendront en finale. Ce serait une énorme surprise s’ils devaient s’affronter en définitive. En tout cas, ils sont en train de rivaliser très sérieusement avec les candidats classiques de l’establishment américain.
La principale leçon que je tire de ces faits, est qu’il y aurait dans les démocraties occidentales un potentiel irrésistible, susceptible de changer le système existant, si les deux ailes de l’opposition étaient capables :
- de combiner une politique sociale énergique avec une politique économique pro-business non libérale ;
- de se faire mutuellement des concessions décentes et tolérables sur les questions de politique étrangère et de mœurs.
En l’absence d’une telle entente, la perpétuation de la politique existante reste néanmoins l’hypothèse la plus probable. À vérifier.
H. H.
Pour en savoir plus :
http://www.henrihude.fr/approfondir/theme1/403-2015-08-13-10-18-15
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[1] 39e président U.S., en fonction de janvier 1977 à janvier 1981, Jimmy Carter n’a fait qu’un seul mandat, battu en 1980 par le Républicain Ronald Reagan.
[2] Pour information : la Cour Suprême des États-Unis d’Amérique a jugé le 21 janvier 2010 (arrêt Citizens United v. FEC – Federal Election Commission) qu’il était anticonstitutionnel et donc interdit à l’État fédéral de limiter les contributions financières des entreprises au financement de la publicité électorale télévisée, cela en vertu d’une lecture de la liberté de parole garantie par le second amendement, qui interprète cette liberté comme s’étendant aux personnes morales, y compris aux sociétés à but lucratif, même en cas de compétition électorale. Par ailleurs, de riches individus ont la liberté de donner autant qu’ils veulent à des Political Action Comitees, plus connus sous le nom de « Super-PACs ». Comme quoi, on tire absolument n’importe quoi et tout ce qu’on veut de principes juridiques vagues et le contrôle constitutionnel n’offre absolument aucune garantie, une fois perdues chez les juges un minimum de loyauté et le bon sens élémentaire. L’usurpation du pouvoir souverain par le judiciaire est une des manières d’empêcher tout changement de politique dans les pays occidentaux.
[3] Texte anglais : « Now, the U.S. political system “is just an oligarchy, with unlimited political bribery being the essence of getting” nomination or election. »***