Article rédigé par Michel Pinton, le 24 juillet 2015
Quitter provisoirement la zone euro pour redresser son économie : la proposition a fait figure de « profanation ». C’est pourtant la plus raisonnable, pour la Grèce… et pour l’Europe. Explication.
WOLFGANG SCHAUBLE est le ministre allemand des finances. Il est devenu, il y a quinze jours, l’homme politique le plus critiqué d’Europe. On lui reproche d’être l’inspirateur des humiliations imposées au gouvernement grec. Il aurait montré, dans la négociation de la dette hellène, une brutalité et une arrogance incompatibles avec les habitudes de dialogue patient et de compromis compréhensif qui sont la règle dans les relations entre États membres de l’Union européenne. La presse d’Athènes le présente en émule d’Adolf Hitler. Les hommes politiques français prennent leurs distances avec lui.
Laissons de côté les mesures dictées aux négociateurs grecs. Elles sont l’œuvre de plusieurs ministres des finances ; rien ne prouve que Schauble ait été le plus dur d’entre eux. Considérons seulement les principes dont il se réclame. De ce point de vue, j’affirme qu’il n’a rien d’un doctrinaire buté ni d’un interlocuteur insensible. Il est un homme d’État ferme, réaliste et ouvert. Il serait bon que tous les dirigeants de l’Europe lui ressemblent.
Respecter la règle
Que dit-il en effet ? Que les gouvernements de la zone euro sont tenus de respecter les engagements qu’ils ont pris en signant le traité de Maastricht. Une clause de ce document stipule que l’union des États voués à la monnaie unique n’est pas et ne sera jamais une « union de transferts ». Chacun des dix-neuf gouvernements qui y adhèrent, demeure responsable de la bonne gestion de ses finances. Il ne peut prétendre à recevoir d’un autre la moindre subvention, même sous la forme d’une remise de dette.
Cette règle est en elle-même raisonnable mais elle gêne considérablement le gouvernement grec qui est écrasé par les sommes pharamineuses qu’il doit à ses dix-huit partenaires. Schauble s’est mis en travers des arrangements équivoques que la France et l’Italie semblaient disposées à souscrire. Il y voyait une violation déguisée du traité.
Un remède simple
Pour autant, le ministre allemand n’est pas indifférent à la situation misérable du peuple hellène. Il lui propose un remède simple : qu’il quitte provisoirement la zone euro et reprenne sa monnaie nationale, la drachme.
Une telle opération présenterait un double avantage : d’une part, le gouvernement d’Athènes, n’étant plus soumis aux obligations du traité de Maastricht, pourrait négocier un effacement d’une partie de sa dette avec ses partenaires européens ; d’autre part, l’émission d’une monnaie propre à la Grèce conduirait à une dévaluation de l’instrument dont elle se servirait pour ses échanges avec le reste du monde. Les exportations nationales en seraient fortement stimulées. L’activité renaîtrait.
Pour peu que des mesures dites « structurelles » accompagnent la dévaluation de la monnaie, c’est-à-dire que l’État rende sa gestion plus efficace et ses lois plus souples, la prospérité serait certaine. On pourrait alors envisager une réintégration de la Grèce revigorée dans la zone euro. Schauble en fixe même le délai : cinq ans après son départ.
Deux adversaires se sont immédiatement dressés contre sa proposition.
Une contradiction insurmontable
Le premier est la coalition européenne des disciples de Jean Monnet. Pour eux, la monnaie unique est une fin en soi, le couronnement d’une œuvre historique qui forme un bloc intouchable. Faire sortir la Grèce de la zone euro, c’est commettre une profanation. Ils ne peuvent l’accepter. Ils ont aussitôt accusé Schauble de faire passer l’intérêt allemand avant la foi européenne. Leur argument étant faible et ne résolvant rien, ils en ont cherché d’autres. Ils échafaudent depuis quinze jours des scénarios susceptibles de sauver à la fois la Grèce et la zone euro.
Comme ils se heurtent à une contradiction insurmontable, leur agitation n’a aucune chance de donner naissance à un projet praticable. Ils ont quand même assez d’influence pour que François Hollande se soit inspiré d’eux en lançant l’idée fumeuse d’un « gouvernement économique » des États qui partagent la monnaie unique.
Quelle volonté populaire ?
Le second adversaire de Schaube est la foule des politiciens conformistes qui ont peur de prendre de vraies responsabilités. Ils s’abritent derrière des sondages selon lesquels plus des deux tiers des Grecs désirent conserver l’euro comme monnaie de leur pays. Les citoyens des dix-huit autres nations de la zone partagent en majorité leur souhait. Est-il juste et raisonnable, disent ces politiciens, d’aller contre une volonté populaire aussi nette ?
Il faut examiner de plus près ce que ces sondages signifient. Ils somment les personnes interrogées de faire un choix immédiat entre une monnaie concrète que chacun peut toucher et dont on connaît la valeur, et une autre qui est virtuelle. Nulle autorité n’en répond et elle est décrite dans la presse comme une aventure ruineuse. Ce qui est étonnant dans les réponses reçues, ce n’est pas que la majorité des sondés préfère la monnaie unique mais que près d’un tiers n’en veuille plus.
La véritable solidarité
Schauble a commencé de rééquilibrer les termes réels de l’alternative. Il a dit qu’à son avis, le passage de l’euro à une nouvelle drachme, ne devait pas être abandonné aux incertitudes de la politique grecque. Il faudrait qu’il soit encadré, canalisé et soutenu par les institutions européennes les plus qualifiées : banque centrale de Francfort, commission de Bruxelles, États membres de l’Union. Il ne s’agirait pas d’un saut solitaire dans l’inconnu mais d’un projet collectif, soigneusement préparé et exécuté.
Schauble a raison. L’instinct public ne s’y trompe pas. Malgré les critiques de ses pairs, il est devenu subitement l’homme politique le plus populaire de son pays, avant même l’inusable chancelière Angela Merkel.
Je ne sais s’il est conscient de la grandeur du choix qu’il propose à notre vieux continent : rien de moins, en définitive, que de mettre un terme à l’aventure de l’Europe technocratique et centralisée dont rêvent les disciples de Jean Monnet et de lui substituer une autre Europe dans laquelle la liberté des peuples sera restaurée et accompagnée d’une véritable solidarité entre eux tous. Qu’il pressente ou non où ses idées nous conduisent, il a le mérite d’ouvrir la voie à un changement fécond.
Michel Pinton est ancien député au Parlement européen.
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