Colonisation idéologique : le roman d’anticipation conseillé par le pape François
Article rédigé par Axel Rokvam, le 21 avril 2015 Colonisation idéologique : le roman d’anticipation conseillé par le pape François

En juin 1906 à Londres, Robert-Hugh Benson écrit un roman d’anticipation au succès immédiat, The Lord of the Word. C’est le pape François qui a attiré mon attention sur cet ouvrage oublié, en conseillant explicitement aux journalistes de le lire pour « comprendre le drame de la colonisation idéologique », lors de sa conférence de presse aérienne du 19 janvier dernier. Ce livre, il en a parlé à plusieurs reprises, comme une œuvre prophétique décrivant l’apostasie de la Modernité.

À LA FIN du XIXe siècle, Robert Benson est un jeune pasteur anglican londonien, ordonné par son propre père, l’archevêque de Cantorbéry, numéro deux de la High Church après le prince régnant. L’abbé Benson est passionné de littérature, mais surtout épris de vérité. Comme beaucoup de ses coreligionnaires, il décide, après une réflexion profonde sur l’unité de l’église et la racine de sa foi, de se convertir au catholicisme. Il est reçu dans l’église romaine en 1903.

Mais sa quête ne s’arrête pas là. L’abbé Benson a des intuitions. Il écrit beaucoup et il écrit bien. Il se passionne pour la fin des temps, l’Apocalypse, et l’Antéchrist, au point de dire, en 1905 : « L’Antéchrist commence à m’obséder. Si jamais je l’écrit, quel livre ce sera ! » Ce sera le Maître de la Terre, un roman passionnant qui raconte les derniers temps, la lutte de l’Église, cernée de toute part, et donc les dernières heures de ce monde, sous l’angle de la lutte eschatologique acharnée du bien et du mal, où la terre des hommes, portée par un humanitarisme sans Dieu, devient une préfiguration des enfers.

Seuls résistent les catholiques

L’Adversaire emporte des victoires en trompe-l’œil. L'ennemi qui lui résiste est l’Église, insoumise à l'ordre politique. Par leur seule présence, les catholiques, dont certains tombent dans le piège de la violence ou celui du reniement, s’opposent à l’idolâtrie du pouvoir politique infini, à la chosification de l'homme, à la suppression des frontières, au culte de la technique et du progrès liberticide…

Et tandis que monte l’unification du monde parfait et le mythe de la paix perpétuelle, dans une étrange convergence du marxisme et de la maçonnerie, les victimes s’accumulent : la foule en délire massacre les empêcheurs d’euthanasier en boucle, le peuple des saints restés fidèles à la vérité qui protège la liberté, au Christ dans les tourments.

Le héros est un prêtre catholique anglais, Percy, qui ressemble comme deux gouttes d’eau à Julien Felsenburgh, un faux messie, homme politique adulé par des peuples du monde entier en des termes dont l’Église n’use que pour parler de Dieu. Le roman atteint son point culminant lors de la rencontre inéluctable entre les deux hommes, image rencontre entre la vie et la mort, le bien et le mal, la vérité et le mensonge, l'amour et la haine, le Christ et Satan :

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« [Percy] voyait devant lui, s’offrant à son choix, les deux cités de saint Augustin. L’une était celle d’un monde né de soi-même, s’organisant soi-même et se suffisant à soi-même, d’un monde interprété par des forces socialistes, matérialistes, hédonistes, et se résumant enfin dans Felsenburgh. Et quant à l’autre monde, Percy le voyait déployé sous ses yeux, lui parlant d’un Créateur, d’une création, d’un but divin, d’une rédemption, d’une réalité transcendante et éternelle, dont tout avait jailli et où tout aboutissait. L’un de ces deux hommes était le vicaire de Dieu, et l’autre un imposteur, l’ennemi de Dieu… » (p. 173).

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Le mépris et l’ignorance

La troisième figure du roman est un homme politique anglais, Olivier, fidèle aux idées socialistes et relativement indifférent aux appels de sa conscience quand il s’agit de prévenir la violence des masses dressées contre les minorités chrétiennes. On pense naturellement aux chrétiens aujourd’hui, persécutés dans le monde entier comme aux premières heures du christianisme, et dont la seule évocation en Occident passe pour un acte militant.

L’idéal d’Olivier se nourrit de contradictions que sa femme Mabel, avec une apparente naïveté, soulève au fil du roman. Mais le succès politique est la seule mesure de ses actes. Si sa brillante médiocrité suscite la pitié plus que la haine, son rôle n’en est pas moins tristement décisif car ses prérogatives d’élu l’aide à soutenir le pouvoir destructeur de Julien Felsenburgh.

Olivier méprise les chrétiens, sans bien connaître leur religion. Il ne voit dans l’Église qu’une instance politique résistant aux projets anthropologiques du Pouvoir. Sa destruction était donc inéluctable :

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« C’était un acte de châtiment judiciaire, regrettable, mais inévitable. Dans les circonstances présentes, la paix ne pouvait être assurée que par l’emploi de procédés de guerre — ou plutôt, toute guerre ayant désormais disparu, par des procédés de rigoureuse justice expéditive. Les catholiques s’étaient montrés les ennemis déclarés de la société ; celle-ci avait le devoir de se défendre et de garantir, à tout prix, la sainteté de l’existence humaine. Olivier avait écouté tout cela sans rien dire » (p. 255).

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Trompeuse philanthropie

Quant à cette fameuse « colonisation idéologique » dont parle le pape François, comment ne pas faire le rapprochement entre l’exemple qu’il donne de cette école qui, il y a vingt ans, ne put recevoir des fonds que contre l’emploi d’un manuel enseignant la théorie du genre, avec la générosité philanthropiques des loges maçonniques évoquées dans le roman :

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« Ce soir-là, au dîner des prêtres, il y eut un grand entretien sur l’expansion extraordinaire de la franc-maçonnerie. Cette expansion durait depuis déjà bien des années, et les catholiques avaient toujours parfaitement reconnu ses dangers. C’avait été, d’abord, au début du vingtième siècle, l’assaut organisé par les francs-maçons contre l’Église de France ; et ce que l’on avait soupçonné était devenu une certitude, lorsque, en 1918, le père Jérôme, ex-francs-maçons devenus moine dominicain, avait fait ses révélations sur les secrets de la maçonnerie. Mais, ensuite, le père Jérôme était mort, tout naturellement, dans son lit : et ce fait avait beaucoup contribué à rassurer l’opinion publique. Puis s’étaient produites les splendides donations faites par des francs-maçons, en France et en Italie, à des hôpitaux, des orphelinats, et autres institutions charitables ; et ainsi, une fois de plus, les soupçons avaient commencé à se dissiper. De nouveau, la majorité des esprits “raisonnables” avaient eu l’impression que la franc-maçonnerie n’était rien qu’une grande société philanthropique » (p. 59-60).

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 Comprenne qui pourra

Il ne s’agit que d’un roman, mais si le pape en conseille la lecture, c’est pour saisir un processus, exposé à travers un exemple. Comprenne qui pourra…

De ce roman d’anticipation lu dans la foi, d’une étrange actualité — la première étape de ce gouvernement mondial de la perfection pensé en 1907 est l’Europe politique — se dégage pourtant une espérance comme « désespoir surmonté ». La vérité romanesque de Benson n’est pas politique, mais spirituelle et morale. Ses hommes d’Église persécutés appartiennent au Royaume des cieux, ils gardent la paix parce qu’ils ne sont pas du monde. Dans l’épreuve, car ils sont dans le monde, leurs cœurs ne vibrent qu’aux promesses d’un amour éternel.

 

Axel Rokvam

 

En savoir plus :
Le pape François explique la colonisation idéologique (vidéo)

maitre-de-la-terre

Robert Hugh Benson
Le Maître de la terre
Traduit de l’anglais par T. de Wyzewa
 1e édition, Perrin, 1910

 

Disponible en français aux éditions Téqui :

Benson-Téqui

Le Maître de la terre
La crise des derniers temps
Texte intégral
Editions Téqui
15 €
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