Père Cédric Burgun : « Tout mariage heureux est signe de la présence de Dieu »
Article rédigé par François de Lens, le 16 avril 2015 Père Cédric Burgun : « Tout mariage heureux est signe de la présence de Dieu »

Membre de la Communauté de l’Emmanuel, enseignant-chercheur à la “Catho” et juge ecclésiastique pour les nullités de mariage, le père Cédric Burgun accompagne de nombreux jeunes qui se préparent au mariage. Entre les deux synodes sur la famille, il s’interroge dans son livre La famille, c’est sacré (Artège), sur des défaillances de la pastorale familiale qui, selon lui, devrait occuper la première place dans la nouvelle évangélisation : « La fidélité conjugale et l’amour conjugal sont évangélisateurs en eux-mêmes. »

Liberté politique. — Pourquoi est-il important de préciser que « la famille, c’est sacré » ?

Cédric Burgun.—Il n’est plus naturel de le dire aujourd’hui. Cela fait quarante ans que l’on déconstruit la famille par des lois sociétales qui, soi-disant, doivent la faire évoluer, et qui en fait la détruisent à petit feu. On a fait de la famille une sorte d’accident de notre nature.

On arrive à nous faire croire que l’homme pourrait très bien se passer de la famille. C’est cela que je mets dans mon expression « la famille c’est sacré ». La famille nous est naturelle et notre nature est sacrée : nous avons été créés à l’image et à la ressemblance de Dieu.

Revenir à cette annonce simple – pas simpliste – « la famille, c’est sacré », c’est redire que l’homme et la femme sont profondément faits pour une famille. D’une manière paradoxale, c’est un consacré qui vous le dit !

N’est-ce pas un message devenu complètement inaudible dans une société où la notion de famille est très relative ?

C’est pour cela qu’il y a, comme l’a dit le Synode sur la famille, une véritable urgence. D’autres choses sont aussi inaudibles aujourd’hui : la résurrection des corps, le discours de l’Église sur l’euthanasie, la question de l’avortement, etc. Ce n’est pas parce que c’est inaudible que ce n’est pas vrai et qu’il ne faut pas le dire.

Le Christ lui-même a été «  inaudible » pendant toute sa vie. Si l’on veut être honnête, il y a eu ce petit groupe des douze qui l’ont suivi, avec une certaine insouciance même, mais pour le reste de son peuple, il a été inaudible. Ce n’est pas parce que nous ne sommes pas écoutés que nous devons nous taire !

Nous devons cependant trouver une manière nouvelle d’annoncer ce message. Et comprendre pourquoi les gens sont aujourd’hui dans cette surdité et ne comprennent pas ce caractère sacré de la famille. Une des raisons de cette surdité est sans doute la fragilisation de la famille par les lois sociétales. Les blessures accumulées au fil des siècles, aussi, dans l’ordre de l’éducation affective et sexuelle, par rapport au développement de la pornographie notamment : tout ceci marqueles jeunes générations.

Le troisième pilier de la fragilisation de la famille est la désespérance : beaucoup de jeunes croient encore à la famille, espèrent une famille mais désespèrent d’y arriver à cause des trop nombreux exemples d’échecs qu’ils ont sous les yeux. L’Église a là-dessus – en France, du moins – un certain mea culpa à faire : nous n’avons sans doute pas su mettre en avant le témoignage des familles chrétiennes qui demeurent dans la joie et qui vivent dans la fidélité, d’abord au mariage et ensuite au Christ (dans cet ordre car je distingue la réalité naturelle du mariage et sa réalité sacramentelle).

Vous parlez d’une nouvelle manière d’annoncer : est-ce cela, la nouvelle évangélisation ?

La vie conjugale est évangélisatrice elle-même. Si on revient à cette foi, à ce credo : l’homme et la femme sont faits à l’image et à la ressemblance de Dieu, cela veut dire que la vie conjugale elle-même est la première image de sa présence et de sa vérité que Dieu a laissée dans notre nature.

Quand on s’interroge sur la nouvelle évangélisation, on pense à l’évangélisation par la catéchèse, par le monde de la culture, par le travail (et la doctrine sociale de l’Église), par la théologie, la philosophie, etc. On se pose la question d’une évangélisation directe : l’évangélisation de rue, le porte-à-porte... Nous réfléchissons beaucoup à la manière d’évangéliser mais on oublie souvent l’« être » qui évangélise.

Or quelle est l’essence de cet être qui évangélise si ce n’est la vie conjugale ? À la suite du Synode, je dis que la pastorale familiale est une urgence de la nouvelle évangélisation, pour deux raisons.

La première est la redécouverte de la vie familiale comme un lieu d’évangélisation et de témoignage. Un couple qui s’aime est signe de la présence de Dieu dans ce monde. C’est toute la définition du sacrement ! On réfléchit peu à l’évangélisation par la vie de famille. La fidélité conjugale et l’amour conjugal sont évangélisateurs en eux-mêmes. Ils rendent Dieu présent. C’est pour cela que Jean-Paul II disait que la première éducation des enfants, c’est l’amour conjugal.

S’agissant des vocations sacerdotales, Jean-Paul II a dit que le foyer de ses parents avait été son premier séminaire, son séminaire domestique. En travaillant pour les familles et en s’assurant qu’elles soient chrétiennes et qu’elles vivent de la fidélité au sacrement du mariage, on œuvre profondément pour les vocations sacerdotales.

La famille est une école de don, de pardon, de gratuité — ces valeurs qui sont véhiculées par le désir de s’engager dans une vocation consacrée, quelle qu’elle soit. La vie familiale n’est pas du tout déconnectée des autres pastorales.

Et la deuxième urgence ?

La deuxième urgence, que le synode a bien montrée, est une question de salut public,pour notre humanité.

Aux XVIIIe et XIXe siècle, on a voulu atteindre l’image de Dieu. Aujourd’hui, c’est la nature même de l’homme et de la femme que l’on veut abîmer. C’est toujours Dieu que l’on veut atteindre à travers cette nature. La première image qu’Il a laissée dans notre nature, c’est cette réalité de l’homme et de la femme.

Et aujourd’hui, on voit bien qu’avec toutes ces nouvelles théories, comme la théorie du genre, cette volonté d’égalitarisme à outrance, etc. c’est la réalité de l’homme et de la femme que l’on veut atteindre. L’égalité entre l’homme et la femme c’est une égalité de dignité, avant tout, et non des identités interchangeables ! On veut aujourd’hui une humanité indifférenciée, qui va se couper profondément de sa nature, de ce qu’elle est, de sa racine. Et en la coupant de sa racine, on la coupe de son amour. Il y a donc un enjeu pour l’Église, mais aussi et surtout pour l’humanité.

Dans une conférence récente auprès de chrétiens franciliens, le cardinal Sarah a déclaré, à propos du synode sur la famille : « Il n’y a aucune discontinuité. La doctrine est la même depuis des siècles et aucun pape ne peut changer la doctrine. Nous devons nous battre contre ceux qui veulent détruire la famille. » Le Pape François dit  aussi que la famille est en danger. Au vu de ces déclarations, peut-on dire que l’Eglise s’interroge ?

L’Église s’interroge sur plusieurs choses.

1/ Comment rendre plus audible le message de l’Évangile ? C’est une question que les disciples se sont posé ! Quand Jésus leur a rappelé l’indissolubilité du mariage, saint Pierre s’est exprimé en disant qu’il n’y avait pas intérêt à se marier dans ce cas-là ! C’était déjà inaudible. Et l’Église a toujours cherché comment rendre ce message plus audible.

C’est la question pédagogique au sens noble : comment transmettre et éduquer ? Là, l’Église s’interroge : comment éduquer aujourd’hui à cette conjugalité,  à cette fidélité, à cette ouverture à la vie, quand on voit que les jeunes générations ont été élevées à la théorie du genre depuis trente ans, au relativisme à propos de l’engagement définitif ? On veut des CDD partout :certains défendent les CDI dans le travail, mais jamais dans le mariage !

2/ Les autres interrogations portent sur les enfants. Cette question de la fécondité de l’amour de l’homme et de la femme, de leur fidélité, de leur conjugalité,doit être bien présente. L’Église s’interroge : comment éduquer à cette vraie conjugalité et à cette fécondité des générations qui ont été éduquées à autre chose ?

Ne s’agit-il pas d’interrogations plus axées sur la forme plutôt que sur le fond ?

Au-delà de la forme, la pédagogie est l’art d’éduquer et de transmettre : il s’agit d’une question de fond. Le synode l’a clairement dit : il ne suffit pas d’avoir des discours intellectuels que les gens ne comprennent plus. Il faut aussi parler le langage de ceux qui nous écoutent. Or, je ne suis pas sûr que nous ayons complètement trouvé ce langage.

L’Église s’interroge aussi sur la manière d’accompagner les souffrances. Les médias ont beaucoup insisté sur la question des divorcés remariés, mais l’on s’est très peu interrogé sur la manière d’accompagner les couples en souffrance. Or là aussi il y a quelque chose à creuser. L’Église doit chercher de nouvelles manières d’aider ces couples en crises qui souffrent. Elle doit bien sûr se pencher sur la question des divorcés remariés, mais doit aussi étudier l’accompagnement des couples qui ont des difficultés. Quels sont les trésors pastoraux que l’on déploie pour accompagner ces couples ? Que met-on en œuvre pour accompagner les inévitables crises de la vie conjugales ?

Nous sommes dans une société qui encourage beaucoup à changer à la moindre difficulté.  L’Église ne peut annoncer une fidélité conjugale possible que si elle sait aussi accompagner les crises conjugales quand elles se rencontrent. Pour permettre cette fidélité. Dans tous ces points, il y a des choses à creuser.

Enfin, une autre interrogation vient à propos des divorcés remariés, en lien avec l’échec. Dans nos communautés chrétiennes qui aujourd’hui ont des accents individualistes – comme la société – suffirait-il que l’on donne la communion aux personnes divorcées-remariées le dimanche pour qu’elles se sentent mieux accueillies ? Je ne le pense pas.

On encouragerait et augmenterait cet individualisme des communautés chrétiennes. Alors qu’elles doivent être deslieux d’une véritable fraternité. Où l’on s’écoute, on s’accompagne les uns les autres. Où l’on panse les plaies des autres.

À vous écouter, vous avez écrit un plaidoyer contre l’individualisme…

Il y a quelque chose de ça. Un plaidoyer contre l’individualisme, y compris dans l’Église. Mais c’est surtout un plaidoyer pour que la pastorale familiale soit au cœur de toute la vie de l’Église.Ce n’est pas une pastorale accidentelle ou parallèle, elle fait écho à notre nature d’homme et de femme. Afin que nous soyons mieux homme et femme, au service de l’humanité, de l’Église, de l’enfant.

 

Propos recueillis par François de Lens.

 

La famille, c’est sacré
 Quand l’Église s’interroge
 Artège, mars 2015
 172 p., 14,90 €

 

 

Source illustration : Famille Chrétienne

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