Après les élections (I) : l’égarement philosophique des partis de gouvernement
Article rédigé par Henri Hude, le 31 mars 2015 Après les élections (I) : l’égarement philosophique des partis de gouvernement

Comment comprendre en profondeur le second tour des élections départementales du 29 mars ? Au-delà des chiffres, ce scrutin confirme la vacuité de la vie politique française, qui s’est révélée par un triple échec, sanction d’une « politique du rejet » : échec du PS, par rejet de sa politique, échec de l’UMP, qui ne gagne que par rejet des socialistes… tout en étant incapable d’empêcher la montée continue du FN qu’il rejette en refusant le principe même de la discussion. Quant au parti de Marine Le Pen, il progresse toujours, mais en se durcissant dans le rejet du « système », il se heurte à son plafond de verre : on ne peut pas conquérir une majorité dans la culture du mécontentement.

Cette politique du rejet explique l’effet de balancier permanent à chaque élection, sans sortie vers le haut. Comment les partis en sont-ils arrivés à s’appauvrir de la sorte ? C’est en revenant aux principes universels de la vie en commun, et notamment du concept de justice, qu’on peut former une philosophie de la politique présente… En se détachant de la cohérence de leurs fondamentaux, les forces politiques françaises désactivent la démocratie. Cette semaine : l’égarement des partis de gouvernement. 

TOUT CORPS POLITIQUE vit autour d’une structure ternaire de la justice : la solidarité, la liberté et l’autorité. Historiquement, les sociétés politiques se sont organisées autour d’acteurs nationaux privilégiant l’une de ces dimensions de la justice, en donnant à chaque fois la proportion entre ces trois dimensions, qui est propre à tel ou tel parti. Tout parti raisonnable admet ces trois dimensions, mais avec des différences dans l’ordre de priorité entre les dimensions.

L’harmonie des traditions politiques

Par exemple, traditionnellement, nos partis de gouvernement représentent : à droite, l’autorité de l’État, la liberté individuelle en économie et un certain conservatisme culturel ; à gauche la solidarité sociale, la liberté individuelle dans les domaines non-économiques, et l’autorité comprise comme celle de la République, fruit d’un pacte social entre libertés individuelles.

Néanmoins, les deux partis traditionnels de gouvernement représentaient quand même chacun certaines conditions ou certains aspects de la justice solidaire : la droite en adoptant un modèle de croissance économique nationale conditionnant un développement social ; la gauche en insistant davantage sur ce dernier élément et en soutenant les droits des salariés.

Autre exemple, le Royaume-Uni a principalement une culture de justice libérale ; l’Allemagne traditionnellement une culture de justice autoritaire ; et la France avait une culture de justice solidaire. 

Avant d’évoquer dans la France de 2015, le cas particulier du FN et du Front de gauche, qu’en est-il tout d’abord à propos des partis de gouvernement, UMP et PS ? 

Quelle dimension de la justice représentent les deux grands partis de gouvernement ?

Le Parti socialiste et l’UMP sont avant tout en 2015 deux partis libéraux, bien que tous deux soient tenus en grande partie par la haute fonction publique d’État. C’est la particularité de la situation française.

D’une part, nos partis de gouvernement appliquent docilement certaines règles d’une politique économique de libéralisme financier mondial voulue par Washington dans son intérêt. Cette soumission est l’acte fondamental de leur politique. Mais d’autre part, ils ne tirent pas les conséquences de ces règles libérales et continuent à alourdir le système jacobin. Faire entrer le pays dans la compétition mondiale sans en tirer les conséquences sur notre système fiscal, administratif et social, c’est l’incohérence fondamentale de cette politique.

Ni autorité, ni justice, ni solidarité…

Ainsi ces deux partis n’expriment plus véritablement l’autorité de l’État, ni la justice d’autorité, ayant trop abandonné à des organisations internationales les prérogatives essentielles de la souveraineté sans lesquelles la démocratie n’est qu’un mot. Pourtant, cet État trop faible pour imposer sa souveraineté à l’extérieur, est à l’intérieur trop lourd et écrase par ses coûts et ses contraintes notre économie productive.

Ils n’expriment pas non plus une justice de solidarité. Car leur politique de statu quo et de conservation des privilèges détruit à terme le droit au travail, ce qui ne manquera pas d’aboutir à un niveau extrême d’inégalité, quand l’État ne sera plus capable de compenser par de la dépense publique la chute de l’économie productive. Elle est particulièrement inique envers la jeunesse, surchargée de dettes, privée d’investissements, en grande partie vouée au chômage ou à l’émigration forcée, et sur qui pèse malgré tout le financement des acquis sociaux des générations précédentes. C’est particulièrement choquant dans le cas du parti socialiste, dont cette politique trahit absolument les idéaux historiques.  

Sans véritable liberté…

Et pourtant, ces partis libéraux n’expriment pas vraiment une justice de liberté.

En effet, aucun des deux partis qui exposent la France à une concurrence mondiale très forte, n’a eu le courage d’adapter la France à cette concurrence, comme l’a tenté le chancelier Schröder en Allemagne. Au contraire, le politiquement correct déclare cultiver la fonction publique, les services publics et la solidarité. L’UMP le critique, mais ne fait rien de substantiellement différent, quand elle est au pouvoir.

Ainsi, PS et UMP, incapables d’imaginer autre chose que des usines à gaz technocratiques, empêchent d’exister les entrepreneurs qui pourraient créer les entreprises et les emplois dont la France a besoin. La France est ainsi exposée à une concurrence mondiale très vive, tout en restant chaussée des souliers de plomb du jacobinisme étatiste et socialisant.

Un égalitarisme de compensation surtaxe les petits patrons dans ce qui s’apparente à une sorte de révocation de l’Édit de Nantes fiscale, poussant à l’exil les entrepreneurs. L’État contracte des dettes sociales au moment même où il détruit l’industrie qui pourrait les financer. Il assure sa liquidité par l’emprunt, lui-même souscrit de plus en plus par les seules banques centrales. Et l’endettement monte indéfiniment…

 

Henri Hude est philosophe, ancien élève de l’ENS, directeur du Pôle Éthique des Écoles de Saint-Cyr Coëtquidan. Sur ce sujet, lire l'Ethique des décideurs (Économica, 2004).
www.henrihude.fr

 

La semaine prochaine :
 Quand le système représentatif fonctionne comme une machine à désactiver la démocratie

 

À suivre :

Considérations sur le Front National et le Front de Gauche
Regards dans le brouillard vers l’avenir
La venue au pouvoir du FN peut-elle être une perspective réaliste, à plus courte échéance ?
La montée du péril islamiste peut aussi changer la donne.

 

 

 

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