Bernard Lugan : "L’Afrique en vérité, la vérité pour l’Afrique"
Article rédigé par François de Lens, le 20 mars 2015 Bernard Lugan : "L’Afrique en vérité, la vérité pour l’Afrique"

L’Afrique est dans une phase de démarrage économique qui annonce enfin la paix sur ce continent. Bernard Lugan, avec son franc-parler habituel, démonte ce scénario mensonger, ainsi que beaucoup d’autres thèses fantaisistes, dans son dernier livre : Osons dire la vérité à l’Afrique (Le Rocher).

On ne présente plus Bernard Lugan. L’africaniste est devenu la référence pour comprendre l’Afrique, malgré la chape de plomb médiatique qui tente de le faire oublier. Auteur d’une œuvre magistrale, son dernier livre fait ressortir l’une de ses plus fortes préoccupations, son parler vrai d’abord envers les Africains.

Briser les mensonges 

Lugan explique que la plupart des universitaires, journalistes, et décideurs politiques se basent, lorsqu’ils parlent de l’Afrique sur des données sinon faussées, du moins biaisées par les idéologies. Ce qui les conduit à mentir à l’Afrique, pour ne pas outrepasser la mauvaise conscience due à la colonisation. « L’on a toujours menti à l’Afrique », dit-il, et pour poser un discours de vérité, il faut « une remise à plat des mensonges ».

Au commencement, raconte l’auteur, « l’Afrique était bien partie ». Elle possédait un potentiel certain, des ressources gigantesques et un climat favorable. Lugan démonte le mythe du pillage de l’Afrique par les colons, dont la mémoire fait objet d’une culpabilisation systématique depuis les années cinquante. L’exemple le plus symptomatique est celui de l’Afrique du Sud.  La situation économique et sociale y est moins bonne que pendant l’apartheid, et les Blancs subissent un « apartheid à rebours », qui pousse un grand nombre d’entre eux à l’émigration. Pourtant, l’Afrique du Sud était l’un des pays les plus modernes du continent, et qui disposait du plus d’atouts.

De fausses bonnes idées

L’africaniste décrit ensuite les « mauvaises bonnes solutions ». Que ce soit la volonté, par l’Europe, de prendre à son compte le développement de l’Afrique, celle d’imposer la démocratie, ou encore de redessiner ses frontières, toutes ces idées ont rajouté des problèmes à l’existant. À cela, on peut ajouter les appétits de la Chine et des États-Unis qui ont privilégié l’économie de comptoir. C'est-à-dire qu’ils profitent des ressources sans que l’Afrique en profite en retour.

Ces fausses solutions viennent principalement de la tendance occidentale à projeter sur l’Afrique ses propres valeurs. Or celles-ci ne sont pas adaptées à l’Afrique, car il y a une différence de culture et d’histoire, qui ne peut se résoudre par une simple incantation à la démocratie. L’Europe se voile la face et refuse de voir sa différence avec l’Afrique, d’où l’échec de son « diktat démocratique ».

Pour un retour au réel

Dans une troisième partie, Lugan affronte l’avenir et les solutions pour améliorer le sort du continent. La priorité est d’arrêter le « suicide démographique ». La population croît plus vite que les infrastructures et les capacités de production. L’Afrique, autrefois exportatrice de nourriture, en importe désormais en grande quantité. Et cela a tendance à s’empirer, ce qui provoque exodes, famines, émeutes de la faim…

La seconde priorité est de redéfinir l’État en Afrique, et de l’adapter au réel. C'est-à-dire de prendre en compte les ethnies. Pour sortir du problème des frontières et de l’impasse démocratique, Bernard Lugan propose de privilégier le vote communautaire (une communauté = un vote) et de sortir du vote individuel, qui est propre aux sociétés occidentales, mais dont la traduction dans les sociétés africaines plus communautaires est loin d’être évidente.

Enfin, la troisième priorité est de sortir de la logique de culpabilisation/déculpabilisation qui enchaîne l’Afrique et l’Europe. Cette logique, vieil héritage moral de la décolonisation, infantilise les Africains et tétanise l’Europe. Mais cela sous-entend d’avoir un langage franc sur la réalité de la colonisation, en reconnaissant ses erreurs, mais aussi ses bienfaits.

Un ouvrage limpide

Ce livre résume, avec son franc-parler, les vérités africaines de Bernard Lugan. Doté d’une érudition impressionnante, l’auteur s’appuie sur plusieurs disciplines (histoire, géographie, démographie, politique, économie, littérature) pour poser un constat éloigné du politiquement correct. Il s’agit d’un ouvrage accessible, avec notamment de nombreux encadrés qui apportent un éclairage simple sur des points particuliers. Les annexes sont d’ailleurs particulièrement bienvenues, qui proposent des définitions de termes techniques, mais aussi des rappels historiques et des cartes. Elles permettent donc d’avoir une idée claire de la situation, et seront appréciées par les profanes à la découverte de la réalité africaine, dans son unité et sa complexité.

Oui, le titre de ce livre est bien pertinent : Osons dire la vérité à l’Afrique… mais Bernard Lugan aurait pu ajouter « et à l’Europe ». Il faudrait que l’Occident apprenne enfin à regarder les choses en face. Vaste programme.

 

Fr. de L.

 

Osons dire la vérité à l’Afrique
 Le Rocher, mars 2015
 334 pages, 21 €

 

 

 

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