Charlie-Kouachi : le choc des décivilisations
Article rédigé par Emmanuel Tranchant, le 21 janvier 2015 Charlie-Kouachi : le choc des décivilisations

Les « balles tragiques à Charlie Hebdo » ont entraîné une émotion à la démesure de l’évènement. Si l’on suit René Girard, la belle unanimité républicaine issue du meurtre des héros de la libre pensée par des rétrogrades obscurantistes doit culminer dans la déification des victimes : « Nous sommes Charlie, communiellement ».

Le laïcisme intégriste prétend en être le catalyseur ; il apparaît ainsi comme un ersatz de religion archaïque. L’unanimité célébrée autour de Charlie établit un nouveau laps de paix, avant la prochaine crise mimétique porteuse d’un bouc émissaire pré-désigné : le religieux.

Car c’est au religieux que la pensée dominante a déclaré la guerre, cette pensée porteuse du « changement de civilisation » cher à Mme Taubira. Charlie Hebdo en est l’idole caricaturale ; la dérision son arme de destruction massive de toute autorité et de toute verticalité. Et il faudrait maintenant que la mort de ses feus journalistes sanctifie le retour à cette autorité républicaine qu’ils se sont appliqués à dissoudre : pathétique !

Deux décivilisations sont face à face : une religion archaïque, l’islam, qui peut évoluer vers sa maturité rationnelle, et certaines de ses élites s’y appliquent. Long processus.

Ne comptons pas sur le laïcisme — deuxième décivilisation — pour l’y aider (les juifs et les chrétiens le pourraient mais, au nez laïcard, ça sent le Zemmour) : il est une religion civique régressive, inapte à toute intelligence religieuse, et stérilement incapable de la conversation, caractéristique de l’esprit français des Grands Siècles, effacée par les médias et l’école dévoyée de la République. Religion civique qui prétend en remontrer au monde entier : « Éduquons au blasphème ces masses musulmanes incultes et que brûlent ici ou là drapeaux français et églises chrétiennes, peu nous chaut ! Merci Charlie. »

Arrogance et irresponsabilité. Cette deuxième décivilisation est la plus grave : en devenant religion idéologique, elle a exténué l’esprit des Grandes Lumières et déconstruit l’élégante civilité qu’il faisait fleurir.  

L’imposture laïciste

La stérilité de la religion laïciste dévoile pourtant son imposture. Il n’est que d’écouter l’indigence du discours de Mme Vallaud-Belkacem face à la défaillance du Mammouth quant à confesser l’amour de la patrie, trop genrée.

Et que dire d’un Président qui ne revient pas de la divine surprise sondagière où se confirme sa baraka ? Sa pensée magique style méthode Coué frise l’électro-intellogramme plat. Et le discours de droite en épouse la vacuité… Qui nous indiquera la voie de l’espérance raisonnable qui passe par la fierté du nom français ? Le 7 janvier, la violence physique a mis un terme à l’ère de la violence symbolique de l’esprit 68. Longtemps sidérée par les sirènes du communautarisme et du multiculturalisme, la France charnelle revendique son héritage et veut le réinvestir.

La platitude hollandaise aura été laminée par les plus grandes manifestations de l’histoire du Vieux Pays, celle de La Manif pour tous et celle du 11 janvier. Toutes deux sont laïques au sens de la distinction du temporel et du spirituel (oups, un peu chrétien ce truc-là). Toutes les deux seront pleinement françaises si, et seulement si, nous réussissons à rétablir le dialogue entre l’ordre de l’esprit et l’ordre de la charité, la fraternité de notre devise. Il y a une issue aux deux décivilisations : puisse l’intelligence politique nous guider vers une amitié nationale qui puise sa force dans la substance de notre culture.

Insoumission

Ce beau moment d’unité demeure : un peuple jusque-là silencieux s’est levé sereinement et fraternellement pour refuser la violence et la « soumission » et dire à la face du monde la fierté de ce qu’il est et de ce qu’il défend.

Restons girardiens : plutôt qu’au Panthéon, considérons Charb, Wolinski, Cabu et consorts au Paradis où Dieu leur donne le droit au blasphème définitif. Mais avant leur réponse, Lui-Même sort ses crayons, leur dessine une auréole et leur écrit un phylactère : « Tout est pardonné… » et ajoute : « Demeurez dans Mon humour ».

Après avoir malgré eux sauvé la République, auront-ils aussi sauvé le bonheur de Dieu en France ? Ce serait la victoire de l’esprit français.

 

Em. Tr.

 

 

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