Article rédigé par Thibaud Collin, le 17 octobre 2014
Le pape se tait. Mais beaucoup parlent pour lui. Un premier texte de synthèse des travaux du synode sur la famille — très critiqué, y compris par les pères synodaux eux-mêmes — a été rendu public le 13 octobre. Il est provisoire et ne préjuge pas du texte final à paraître en fin de semaine et encore moins de la suite du processus synodal.
Ce rapport d’étape permet néanmoins de mesurer à quel point la ligne critique, portée sous Jean-Paul II et Benoit XVI par les cardinaux Martini et Kasper, est désormais influente à Rome. Ce texte est, en effet, porteur d’une nouvelle méthode pastorale, qui part de la réalité de la vie des hommes et des femmes d’aujourd’hui en valorisant au maximum ce qu’elle contient.
Une méthode pastorale importée
Fi d’une approche employant des gros mots tels que péché, vérité sur le bien, conversion, combat spirituel. Il faut que les pasteurs effectuent une « conversion missionnaire » et « une conversion du langage ». L’heure est au « prendre soin » (le care importé des études féministes anglo-saxonnes), à l’accueil inconditionnel des personnes ayant vécu des échecs et des blessures ; les divorcés remariés bien sûr auxquels, dans certains cas, on ne pourrait par miséricorde refuser la communion eucharistique et la réconciliation, mais aussi « les personnes homosexuelles qui ont des dons et des qualités à offrir à la communauté chrétienne ».
Cette conversion consiste à poser un regard positif sur ces réalités autrefois considérées comme désordonnées et peccamineuses. Au cœur de cette nouvelle démarche, une méthode importée de l’œcuménisme : au lieu de voir les sujets qui divisent, au lieu de proclamer des anathèmes, chercher les convergences, les pierres d’attente pour un progrès vers l’unité et la plénitude de l’union à Dieu.
Gommer l’obstacle du péché
Cette attitude inclusive tend à gommer le sens du péché, vu comme responsable du blocage que les hommes contemporains éprouvent relativement à l’Évangile. Pourquoi braquer les gens en leur assénant une vérité transcendante lorsqu’on peut les rejoindre là où ils sont et les inviter à gravir les degrés d’un chemin vers un idéal, horizon de la vie humaine telle que Dieu la désire ?
Il s’agit par exemple de discerner dans la vie des concubins des réalités positives telles que la stabilité, l’affection profonde, la responsabilité envers les enfants qui peuvent être vues « comme un bourgeon à accompagner dans son développement vers le sacrement de mariage ».
Cette méthode repose sur les sciences humaines et sociales et non plus sur une anthropologie philosophique et théologique telle qu’elle a été développée durant les deux derniers pontificats. Au lieu de voir l’homme dans sa vérité profonde, on le regarde tel qu’il est concrètement, c’est-à-dire blessé et imparfait. Ainsi « la vérité s’incarne dans la fragilité humaine non pas pour la condamner, mais pour la guérir ».
Au-devant de malentendus
Comme ces mots sont doux aux oreilles de nos contemporains ! Mais comme ils risquent de produire des malentendus ! Nous sommes là au cœur d’une tension théologique qui traverse l’Eglise depuis des décennies. De quoi s’agit-il de guérir ? Le Christ est venu pour sauver les hommes et non pour soigner leurs souffrances psychologiques même si la grâce a une dimension thérapeutique par surabondance. Dès lors, comment la vérité peut-elle s’incarner dans la vie des hommes si ce n’est par leurs actes libres en réponse à l’appel de Dieu ?
Ce lien entre vérité et liberté passe par la formation de la conscience morale, lieu même où la vérité sur son péché se révèle et permet de s’ouvrir à la miséricorde et à une juste réception des sacrements.
Le texte souligne à juste titre que la miséricorde divine est offerte à tous mais il semble en déduire que le seul moyen de la rendre aimable est de valoriser l’état de fait dans lequel les gens vivent. Lorsque le Christ dit à la femme adultère « va et ne pêche plus », il n’enferme pas la personne dans son péché, mais en le nommant il lui permet de s’en détacher. C’est donc toute l’économie de la miséricorde qui en contournant l’objectivation du péché, et donc de la liberté, risque de rendre superflue la conversion.
Miséricorde ou tolérance ?
Cette conception de la miséricorde ressemble étrangement à la tolérance au nom de laquelle la plupart des sociétés civiles occidentales ont, ces dernières décennies, rompu l’arrimage de la loi politique à la loi morale. En bonne logique, la légitimation de l’exception ruine tout simplement la norme. La norme rebaptisée idéal ne gêne plus personne puisqu’elle apparaît réservée à une élite. L’appel universel à la sainteté proclamé par Vatican II devient une option parmi d’autres.
Ce texte en introduisant une nouvelle méthode déstabilise la doctrine en changeant son statut. La pastorale déconnectée de la doctrine est identifiée à l’art de faire des exceptions à une loi vue comme empêchant la miséricorde. Or qu’est-ce qu’un pasteur qui, pour être mieux reçu, édulcore l’exigence du message qu’il a à transmettre ?
Thibaud Collin vient de faire paraître Divorcés remariés, l’Église va-t-elle (enfin) évoluer ? (DDB)
Sur ce sujet :
Le rapport d’étape du Synode
Thibaud Collin : Divorcés remariés : pourquoi la miséricorde ne peut contredire la loi
Roland Hureaux : Synode, la question centrale de l’Eucharistie
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