Article rédigé par Laurent Ottavi, le 16 octobre 2014
En 2010 paraissait Fractures françaises (François Bourin Editeur). Le géographe Christophe Guilluy y analysait la recomposition sociale des territoires et des catégories populaires après quarante ans de globalisation. Il développe à nouveau cette étude dans un livre paru à la rentrée qui fait grand bruit, La France périphérique : comment on a sacrifié les classes populaires (Flammarion).
Le peuple a disparu des radars médiatiques. Écartés des quartiers populaires des grandes villes par les prix élevés de l’immobilier et la délocalisation vers la périphérie des activités industrielles, les ménages ouvriers et employés (mais aussi les retraités issus de ces catégories sociales) ont quitté les zones où se créent le plus d’emplois.
Elles ont également déserté les banlieues, non pas pour des raisons économiques puisque celles-ci profitent des dynamiques des grandes villes intégrées à la globalisation, mais pour des raisons culturelles. Sous la pression d’une immigration massive, l’ouvrier qui autrefois était le référent culturel du primo-arrivant s’est retrouvé minoritaire en son quartier, et a vu son environnement immédiat changer.
Les classes populaires ont ainsi été reléguées pour des raisons à la fois économiques et culturelles en zones rurales et périurbaines, là où se concentrent les plans sociaux, le travail à temps partiel et où disparaissent les services publics. Loin des meilleurs offres scolaires et des offres d’emplois, leurs perspectives d’ascension sociale sont quasi-nulles, d’autant plus qu’elles ne bénéficient pas de la discrimination positive. 85% des ménages pauvres ne vivent pas en banlieues.
Le séparatisme culturel : un affrontement reporté
La nouvelle carte des territoires révèle ainsi un clivage fondamental, entre les grandes villes (40% de la population, 2/3 du PIB) et la France pavillonnaire des petites/moyennes villes, des espaces ruraux et du périurbain « subi » (60% de la population, trois quarts des catégories populaires). Les premières bénéficient de la globalisation économique et sont des espaces à forte mobilité, tandis que les secondes sont les plus frappées par le libre-échangisme et sont des zones à faible mobilité.
À cette division, il faut en ajouter une autre, interne aux grandes villes. Celle entre bourgeois (bourgeoisie traditionnelle et “bobos”) et population immigrées. La figure du bobo, le bourgeois-bohème qui habite dans les anciens quartiers populaires des grandes villes, est à cet égard essentielle. S’il tient un discours pro-immigration et différentialiste (qui tend à substituer à la question sociale la question « sociétale » et donc à gommer les rapports de classe), il contourne pourtant la carte scolaire dès la fin du primaire et habite un immeuble culturellement et socialement homogène.
Dans une société multiculturelle, souligne l’auteur, l’individu recherche la frontière pour ne pas devenir minoritaire. L’évitement qui en résulte, « comme si nous voulions vivre ensemble séparés », reporte à plus tard l’affrontement.
Le libéralisme divise pour mieux régner
Le livre de Christophe Guilluy, dans la lignée du précédent, nous permet ainsi de comprendre pourquoi il n’y a pas eu de mouvement de contestation de grande ampleur du système libéral depuis quarante ans.
Premièrement, nous l’avons vu, les catégories populaires se sont dispersées dans les espaces périurbains et ruraux, loin des lieux d’influence économique et politique. Les syndicats, censés les représenter, et les partis politiques se sont coupé des revendications populaires. Plus grave encore, les classes dirigeantes au discours boboïsé ont divisé la classe ouvrière en présentant l’immigré comme la figure de l’opprimé face au prolétaire blanc raciste.
De leur côté, les bourgeois restés dans les grandes villes profitent du système actuel ; ils n’ont donc aucun intérêt à le renverser. Les immigrés ou Français d’immigration récente de banlieue eux aussi profitent, certes moins que les bourgeois, du marché de l’emploi dynamique et des offres scolaires des grandes villes. C’est ainsi qu’on a pu observer l’émergence d’une bourgeoisie maghrébine.
Mais de cette réalité, les médias ne parlent pas. C’est tellement plus simple de crier au loup… Surtout quand il n’existe pas.
La France périphérique,
Comment on a sacrifié les classes populaires
Flammarion, septembre 2014
192 pages, 18 €
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