Article rédigé par Mgr Jean-Pierre Batut, le 12 septembre 2014
DOCUMENT | Le site de l’archidiocèse de Lyon publie le texte intégral de Mgr Jean-Pierre Batut paru dans le numéro de septembre 2014 d’Eglise à Lyon consacré à l’écologie chrétienne. Évêque auxiliaire de Lyon, docteur en théologie, Mgr Batut est membre de la commission doctrinale de la Conférence des évêques de France. Tandis que « l’écologie devient profondément misanthrope et nihiliste, et s’allie avec les courants néo-malthusiens, il est urgent de retrouver la source d’une économie de la Création et de la place de l’homme en son sein ».
En 2011, les évêques de France ont consacré une bonne partie de leur assemblée de Lourdes à une réflexion sur l’écologie. Cette réflexion qui se poursuit depuis n’est pas sortie du néant : depuis toujours, la foi chrétienne nous interpelle à propos de la responsabilité de l’homme sur la nature, à cause de la place singulière que l’humanité y occupe.
Deux visions de l’écologie
Faisons un peu d’histoire récente. Nous avons vu se succéder deux phases bien distinctes dans l’appel à « de nouveaux modes de vie » qui s’est fait entendre dans la culture des pays développés (« occidentale » pour faire bref) ces quarante dernières années.
La première phase peut être mise sous un patronage : celui d’Ivan Illich (1926-2002), dont l’écologie politique était une critique de la société industrielle reposant sur l’idée que nous vivons mal et que nous devrions vivre mieux. La seconde phase, qui commence au tournant des années quatre-vingt et atteint son plein développement après la chute du communisme et face à la société consumériste triomphante, est une critique reposant sur l’idée que nous nous acheminons vers une catastrophe écologique.
Alors que le premier appel reposait sur des raisons essentiellement morales, le discours du second n’est pas d’abord moral, mais pragmatique, voire utilitaire. L’appel à la solidarité entre les peuples, en particulier entre peuples nantis et peuples démunis, se retrouve relégué au second plan par rapport à la dénonciation des périls qui menacent « la planète ».
Dans un premier temps, il s’agissait de montrer à l’œuvre, dans la société productiviste et consumériste, tout ce qui déshumanise l’homme ; dans un second temps, l’accusation se déplace contre l’homme lui-même, dénoncé par certains comme le plus redoutable prédateur de toutes les espèces vivantes constituant l’écosystème, et par voie de conséquence comme le principal danger qui le menace.
Le danger de l’anti-anthropocentrisme
« Croyants et incroyants sont généralement d’accord sur ce point : tout sur terre doit être ordonné à l’homme comme à son centre et à son sommet. » Cette conviction, énoncée dans la constitution Gaudium et Spes (n. 12) du concile Vatican II, est maintenant bien loin de faire l’objet d’un « accord général ». Ce qu’on a appelé la deep ecology n’est que l’expression caricaturale d’une lame de fond beaucoup plus ample selon laquelle défendre la nature revient toujours à la protéger de l’homme, et non à la préserver pour protéger l’homme de sa propre destruction.
Cet anti-anthropocentrisme qui a marqué la « deuxième vague » écologiste n’est qu’un avatar du phénomène de haine de soi qui se traduit souvent dans notre culture occidentale par un rapport pathogène à notre propre passé : si l’humanité est responsable du fait que la Terre est en danger de devenir invivable, et si l’Occident s’est longtemps attribué le rang et le rôle de représentant de l’humanité la plus achevée, c’est logiquement l’ensemble de ce qui, au long des siècles, a constitué la pensée occidentale qui est responsable de « la catastrophe ».
Au premier rang des accusés se trouvera l’anthropocentrisme philosophique et biblique, fédéré dans le dessein pervers d’« emplir et soumettre » la terre (Genèse 1, 28).
L’écologie est donc sous le signe de l’ambiguïté, oscillant entre la tentation d’un panthéisme naturaliste et celle d’une vision nihiliste de l’homme. Mais cette ambiguïté ne rend que plus urgente une parole chrétienne. D’où les propositions qui suivent.
Quelques propositions
1. Dans la multitude des prises de parole sur l’écologie, il nous faut commencer par nous demander où est le lieu propre de notre prise de parole : il convient, ici comme ailleurs, de se garder de reprendre les thématiques de l’écologie sans opérer d’abord un discernement chrétien.
Il y a une vérité dans l’affirmation de Drewermann — « la nature n’est pas qu’un simple environnement humain » : l’erreur serait d’en déduire que l’homme n’est « qu’une partie de la nature », une simple « poussière d’étoiles » (H. Reeves), alors que dans le Christ il est assimilé au Fils « héritier de toutes choses » (He 1, 2).
Entre l’attitude prométhéenne consistant à nous faire « comme maîtres et possesseurs de la nature » (Descartes) et le nihilisme qui voit dans l’homme un prédateur à éliminer d’urgence, la vraie posture chrétienne est celle de l’espérance en Celui qui nous a voulus « un peu moindre qu’un dieu, [nous] couronnant de gloire et d’honneur » (psaume 8).
2. Il nous faut aussi développer une théologie et une catéchèse de la création – car l’univers, regardé dans la foi, n’est pas « nature », mais créature. Une telle catéchèse se doit d’expliciter l’anthropocentrisme biblique qui, loin d’être un chèque en blanc donné à l’humanité pour qu’elle exploite jusqu’à l’épuisement les ressources de son univers, reste une gérance dont nous devrons tous rendre compte au dernier jour – le nôtre propre, et celui où Dieu suscitera « un ciel nouveau et une terre nouvelle » (Ap 21, 1).
3. Il nous faut enfin, comme nous y invitait Benoît XVI, développer une réflexion sur la notion d’écologie humaine, alliée à celle de développement intégral :
"« Si le droit à la vie et à la mort naturelle n’est pas respecté, si la conception, la gestation et la naissance de l’homme sont rendues artificielles, si des embryons humains sont sacrifiés pour la recherche, la conscience commune finit par perdre le concept d’écologie humaine et, avec lui, celui d’écologie environnementale.
Exiger des nouvelles générations le respect du milieu naturel devient une contradiction, quand l’éducation et les lois ne les aident pas à se respecter elles-mêmes. Le livre de la nature est unique et indivisible, qu’il s’agisse de l’environnement comme de la vie, de la sexualité, du mariage, de la famille, des relations sociales, en un mot du développement humain intégral » (Caritas in Veritate, 51).
"
Pour le dire autrement : notre tâche est certes de prendre la parole sur l’écologie, mais en la mettant toujours en rapport avec l’écologie humaine, sachant que lorsque « l’écologie humaine est respectée dans la société, l’écologie proprement dite en tire aussi avantage », et que lorsqu’on perd « le concept d’écologie humaine, [on perd aussi] avec lui celui d’écologie environnementale » (Caritas in Veritate).
En d’autres termes, manifester à temps et à contretemps la responsabilité qui est la nôtre et la portée morale des renoncements auxquels nous sommes invités : non seulement Dieu a créé l’univers que nous habitons, mais il a voulu pour lui une fragilité constitutive, de telle sorte qu’il ne soit pas compatible avec n’importe quel mode de vie et que dans sa structure même il nous donne à déchiffrer une loi.
De même en effet que je ne peux faire de mon corps ce que je veux et que je dois accepter d’être homme ou femme, jeune ou vieux, manuel ou intellectuel etc., de même je ne peux user du monde où je vis au rebours de ce qu’il est. La lutte avec la nature n’est jamais une lutte contre nature : comme l’écrivait Albert Jacquard, « ce n’est pas "la planète" qu’il faut sauver, mais l’humanité » – ce qui fait que l’homme mérite de porter ce nom.
+ Jean-Pierre Batut
Sources : Lyon.catholique.fr Eglise à Lyon
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