Article rédigé par Roland Hureaux, le 03 septembre 2013
[Mis à jour | 9/9/13] — Entre la loi Taubira et les tentations de guerre punitive à Damas, deux sujets qui auront dominé l’actualité depuis le début de l’année, quoi de commun ? Les soutiens au lobby gay et aux « guerres humanitaires » ne sont pas sans s’inspirer des mêmes logiques, à commencer par la théorie du chaos.
APPAREMMENT rien de commun entre le prétendu « mariage » pour tous et le projet d’intervention des forces françaises en Syrie : une réforme du droit civil interne d’un côté, un problème politique et diplomatique à l’autre bout de la Méditerranée, de l’autre. Si les partisans de l’un et de l’autre, on le verra, sont à peu près les mêmes, leurs opposants les plus virulents ne se recouvrent pas. Pourtant, beaucoup de choses relient ces deux évènements. Nous voudrions montrer le parallélisme des logiques à l’œuvre dans l’un et l’autre cas.
De nombreuses convergences
D’abord, n’hésitons pas à le dire : dans les deux cas, la politique du gouvernement français conduit à piétiner l’héritage chrétien. Même si le mariage homme-femme est de droit naturel et transcende donc croyances et cultures, il a été porté en Europe et dans une partie du monde, sous sa forme monogame, par le christianisme. En promouvant l’homosexualité, en organisant des cérémonies que certains peuvent juger parodiques, c’est, de fait, l’héritage chrétien qui est visé. Le mariage, même civil, appartient dans notre culture à la sphère du sacré ; organiser des mariages pour personnes du même sexe est tenu par beaucoup, croyants ou non, pour un blasphème.
La présence française au Proche-Orient est inséparable d’une mission historique, celle de la « fille aînée de l’Église » qui était de protéger les minorités chrétiennes de Terre sainte et des pays environnants. Mission reconnue par l’Empire ottoman sous Louis XIV, assumée ensuite par le Second Empire et la IIIe République, même dans ses phases anticléricales. Les chrétiens d’Orient furent de ce fait, pendant longtemps, les efficaces vecteurs de la francophonie et de la culture française.
La guerre que se propose de mener le gouvernement français dans cette région du monde consiste au contraire à combattre un régime, sans doute odieux à bien des égards, mais qui protège les chrétiens de Syrie et à soutenir par la force armée des opposants qui, de leur propre aveu, se proposent de les exterminer. Que le pape et les autorités de toutes les confessions chrétiennes de la région se soient élevées de manière unanime contre le projet d’intervention est impressionnant. Le gouvernement français ne pouvait prendre plus directement à contrepied la ligne politique traditionnelle de la France.
Dans les deux cas, François Hollande exprime son profond mépris pour l’héritage chrétien.
Mais sa politique menace aussi l’homme et l’humanité. La Loi Taubira, par-delà la question du mariage, remet en cause une certaine idée de l’homme. Une intervention militaire en Syrie, compte tenu du caractère troublé de la région et du soutien que la Russie a promis d’apporter au régime de Damas, emporte un risque de guerre mondiale : il met en péril, non seulement l’homme mais l’humanité.
Pour qui douterait de la pertinence du parallélisme, il suffit, pour s’en convaincre, de voir une Caroline Fourest éructer sa haine contre le régime Assad et appeler à la guerre avec autant d’ardeur qu’elle avait combattu La Manif pour tous.
Les politiques en cause bafouent également le bon sens.
Instaurer un mariage entre personnes du même sexe constitue une offense au bon sens et à la raison dès lors que l’on admet que le but du mariage est de donner un cadre social à l’union de l’homme et de la femme et que ce cadre n’a d’utilité que parce que l’union de l’homme et de la femme est susceptible de générer des enfants auxquels il faut donner des repères.
La raison n’est pas moins offensée par la politique française (et occidentale) au Proche-Orient. Elle ne le serait pas si elle servait des intérêts clairs de notre pays, ou à la rigueur de nos amis (Liban, Israël) : or tel n’est nullement le cas. La Syrie a certes, dans le passé, menacé nos positions au Liban, mais elle ne le fait plus. Le régime actuel ne menace plus aucun de ses voisins depuis longtemps, en particulier Israël. La Syrie n’a pas de pétrole. Les autres objectifs que l’on pourrait assigner à la politique d’intervention : déloger la Russie du Proche-Orient, démonter l’« arc chiite » qui va du Liban à l’Iran, détruire la base arrière du Hezbollah soit s’avèrent contestables — au nom de quoi prendrions-nous parti pour les sunnites contre les chiites ? — soit comportent des risques disproportionnés à l’enjeu.
Et si cette intervention n’est justifiée que par la promotion de la démocratie et des droits de l’homme, il est patent que les opposants au régime Assad sont au moins aussi dangereux que ce régime lui-même ; il est patent également que le régime appartient à la catégorie des dictatures militaires classiques, très éloignées du totalitarisme, comme il y en a encore beaucoup dans le monde et comme il nous est même arrivé encore d’en soutenir ici ou là. Rien qui justifie la diabolisation absolue que nous servent les médias.
Dans les deux cas, mariage homosexuel et, encore plus guerre en Syrie, les gens raisonnables ne manquent pas d’éprouver ce sentiment d’absurdité, d’irrationalité folle que les opposants aux régimes totalitaires, communiste et nazi, nous disaient avoir ressenti. Au dire de ceux qui les ont décrits, par exemple Soljenitsyne, ce sentiment d’être dans un monde de fous était même ce qu’il y avait de plus pénible à supporter.
Le mécanisme de la déraison
Dans les deux cas, l’absurdité est l’aboutissement de raisonnements sophistiques, viciés à la base, dont le point de départ affiché est la morale, mais dont l’effet est la déraison et parfois le crime.
La théorie du genre, qui sous-tend le « mariage pour tous », part du principe d’égalité et de non-discrimination. Mais elle ne se contente pas, comme il serait normal, de promouvoir des droits égaux entre l’homme et la femme, tout en admettant leur évidente différence. Par une logique devenue folle, toute différence pouvant être discriminante, elle proclame l’identité absolue, la fongibilité, l’interchangeabilité de l’homme et de la femme et par là des couples composés d’un homme et d’une femme, d’un homme d’un homme, d’une femme et d’une femme. Elle tend même à effacer la notion d’homme et de femme, celle de père et de mère, d’oncle et tante etc. des Codes français. Au mépris de la nature, la logique de la loi Taubira conduit à organiser des simulacres d’engagement par des duos d’hommes ou des duos de femmes, à faire, au nom du principe d’égalité, et au moyen d’artifices techniques et légaux, comme s’il pouvait y avoir engendrement par des personnes du même sexe ; cela seul montre le caractère absurde et même mensonger de la démarche.
La légitimation de l’intervention en Syrie repose sur la diplomatie dite humanitaire, ou des droits de l’homme. L’Occident aurait la mission de faire respecter les droits de l’homme et d’imposer la démocratie partout dans le monde, et par tous les moyens y compris en lâchant des bombes sur des populations civiles (c’est que l’on qualifie de « dommages collatéraux »). Double aberration : la diplomatie, dans son sens classique, vise d’abord à défendre des intérêts, et pas des principes. Et si l’on veut à toute force défendre des principes, on ne le fera pas en lâchant des bombes. D’autant que les partisans de l’intervention, pour justifier celle-ci, usent systématiquement de deux poids et deux mesures, ignorant par exemple une alliance avec les monarchies, encore plus oppressives du Golfe. Mais ce biais systématique dans l’analyse des réalités que l’on veut réformer est sans doute intrinsèque à une démarche diplomatique qui s’apparente cliniquement à l’hystérie !
Dans les deux cas, également, les promoteurs des prétendus droits veulent instaurer une rupture radicale avec le passé. Marx considérait que, avec le socialisme, l ‘humanité sortait de la préhistoire. Le mariage homosexuel et la théorie de genre, au dire de leurs promoteurs, constituent une révolution par rapport à des siècles d’oppression des femmes et des homosexuels. La diplomatie des droits de l’homme nous introduit, par rapport au jeu classique des puissances, à ce que Fukuyama avait appelé « la fin de l’histoire ».
Dans les deux cas, des démarches animées du souci du bien aboutissent à des monstruosités. La théorie du genre conduit à considérer l’enfant (au moins certains enfants, donc l’enfant dans son principe) comme un objet, objet de satisfaction des désirs des adultes, au mépris de l’héritage kantien selon lequel l’homme doit être tenu pour une fin et jamais pour un moyen.
La diplomatie prétendue des droits de l’homme conduit à violer le droit international, à prolonger et aggraver une guerre civile déjà extrêmement cruelle, et à mette en danger la paix mondiale au risque de faire courir un risque d’anéantissement à l’humanité.
Idéalisme des ambitions, sophisme du raisonnement, prétention de fonder une ère nouvelle, effets pratiques désastreux ; nous trouvons là, sous une forme nouvelle, les principaux traits de l’idéologie, au sens où le communisme était une idéologie et telle que nous l’a décrite Hannah Arendt. Une idéologie qui conduit à l’intolérance, ses partisans étant toujours chauffés à blanc contre leurs opposants.
Le rôle des États-Unis d’Amérique
Dernière convergence, moins visible : le rôle que joue dans la promotion de ces idéologies des droits, la puissance dominante dans le monde — les États-Unis d’Amérique.
Ce rôle est évident dans le cas du Proche-Orient puisque la politique française n’y est rien d’autre que l’alignement pur et simple sur la politique américaine, quand elle ne tente pas, généralement de manière pathétiquement impuissante, à faire de la surenchère, comme le roquet tente d’aboyer plus fort que le molosse.
Ce rôle est aussi réel dans le cas du mariage qu’on appelle gay et qui porte un nom anglais précisément parce qu’il vient d’Amérique. Non seulement la théorie du genre est partie d’outre-Atlantique mais la diplomatie américaine, au moins sous présidence démocrate, s’efforce de la promouvoir à travers le monde, soit directement, soit par le biais des institutions internationales, dûment noyautées. En même temps que se discutait en France la loi Taubira, le mariage homosexuel était en débat à la Cour suprême. Plus de deux cent grandes sociétés américaines se sont portées, comme la loi américaine le permet, amici curiae auprès de la Cour, pour apporter leur appui à la légalisation généralisée du mariage homosexuel sur le territoire américain. Parmi ces sociétés, des banques comme Goldman Sachs ou Citygroup, qui se trouvent au centre de la sphère financière mondiale. Parallèlement, les ambassades américaines ont été investies de la mission de surveiller dans leur pays de résidence les progrès de l’égalité et donc de la théorie du genre ou des droits des homosexuels.
Il convient évidemment d’approfondir les raisons pour lesquelles les États-Unis et spécialement leurs principales forces économiques appuient le mouvement en faveur des homosexuels (et évidemment aussi les « guerres humanitaires »). Contentons-nous de dire pour le moment que le libéral est inséparable du libertaire. Et aussi que la théorie du chaos, selon laquelle une grande puissance, quelle qu’elle soit, assoit mieux sa domination dans un environnement chaotique, dans une société nationale ou internationale atomisée, s’applique aussi bien au chaos politique et militaire qu’un chaos moral et familial.
La diabolisation de la Russie
Dans les deux cas, la Russie apparait comme un môle de résistance à l’entreprise idéologique soutenue par les États-Unis (ou de certaines forces au sein des États-Unis). Vaccinée par 73 ans d’athéisme officiel, la Russie de Poutine se veut aujourd’hui une nation chrétienne. Elle résiste autant qu’elle peut aux prétentions des lobbies homosexuels et à la subversion religieuse. En matière diplomatique, elle soutient la conception classique fondée sur la souveraineté nationale, le principe de non-ingérence et la diplomatie d’intérêts et, pour ces raisons, défend contre les ingérences étrangères le gouvernement en place en Syrie. Elle prétend aussi prendre le relais de la France si honteusement défaillante dans la défense des chrétiens d’Orient.
Du fait de cette posture, la Russie se trouve prise à partie de manière violente par une propagande mondiale qui tend à l’identifier à une dictature effroyable et à un régime conquérant. Il suffit qu’elle interdise la propagande homosexuelle auprès des mineurs pour qu’on dénonce des lois homophobes. Une vision largement biaisée, et même mensongère. Si la démocratie est loin d’y être parfaite, la situation des droits de l’homme n’en est pas moins incomparablement meilleure qu’au temps du communisme, meilleure aussi que dans des pays comme la Chine ou l’Arabie saoudite qui ne font pas l’objet de la même propagande hostile. Les plus hystériques des adversaires de la Russie, qui sont généralement les mêmes que les promoteurs du mariage homosexuel ou de l’intervention en Syrie, parlent de boycotter les Jeux Olympiques d’hiver qui doivent se tenir en 2014 à Sotchi dans le Caucase.
Il n’est pas étonnant que ce régime soit pris pour cible non seulement par la propagande américaine et les médias occidentaux, spécialement français, mais aussi par des groupes subversifs comme les Pussy riots, qui ont entrepris de profaner les symboles nationaux et religieux de l’orthodoxie ou les Femens. Les Femens sont parties d’Ukraine et sont financées par les mêmes groupes financiers nord-américains ou allemands qui ont appuyé, dans ce pays, la « révolution orange », en particulier la Fondation Soros « pour une société ouverte ». Il est significatif que les Femens, importées en France pour contrer La Manif pour tous, se peignent la poitrine avec des slogans exclusivement en anglais, marque suprême de mépris pour le pays qu’elles ont décidé d’investir et dont la langue nationale doit s’effacer devant l’universalisme libertaire anglo-saxon.
Vers une seule résistance à la déraison ?
Fort de tant de parallélismes, peut-on dès lors rapprocher le combat pour le mariage homme-femme et le combat pour la paix et contre l’intervention de l’OTAN en Syrie ?
L’identité des promoteurs de ces deux politiques est certes patent : en premier lieu le milieu médiatique-mimétique français et occidental qui, jour après jour, a multiplié les anathèmes les plus haineux, hier contre les opposants au mariage homosexuel, aujourd’hui contre le régime que la Superpuissance a placé dans son collimateur.
Si les promoteurs sont identiques, les opposants ne le sont cependant pas complètement. Aujourd’hui, l’opinion hésite face à la perspective d’intervention en Syrie, comme elle avait hésité sur la loi Taubira au début de débats. Au départ, l’opinion, matraquée sans merci, tend à épouser le point de vue médiatique dominant ; toutefois, au bout de quelques semaines de réflexion, elle s’éloigne peu à peu de ce point de vue. C’est ce qui s’était passé en début d’année sur le mariage unisexe, c’est ce qui se passe aujourd’hui sur le problème syrien.
Mais dans l’opposition, certain groupes sont en pointe. Le noyau dur de La Manif pour tous se trouve dans la bourgeoisie catholique de l’Ouest parisien, un milieu social où les États-Unis ont longtemps été regardés avec les yeux de Chimène : souvenir des « boys » de 1944, du Plan Marshall et du « camp de la liberté » au temps de la Guerre froide, mais aussi révérence envers un pays modèle de libéralisme et protection ultime du droit de propriété menacé par les mouvements sociaux européens. On a perdu de vue les pressions de Washington pour désarmer la France dans l’entre-deux guerres ou son soutien au FLN qui obligea le général de Gaulle à précipiter la fin de la guerre d’Algérie. Il s’en faut de beaucoup, encore aujourd’hui, que ces milieux aient pleinement pris conscience de la profonde mutation de la politique américaine sur le plan des droits de l’homme (Guantanamo, Patriot Act, etc.) et de la politique étrangère depuis la fin de la Guerre froide, et surtout de son rôle dans la promotion des idées libertaires.
La guerre en Syrie est particulièrement impopulaire dans les milieux pacifistes d’extrême-gauche, « antifa », qui ne portaient pas La Manif pour tous dans leur cœur et sont encore intellectuellement trop débiles pour percevoir l’articulation entre l’impérialisme et la philosophe libertaire. Dans cette mouvance, on est souvent antiaméricain primaire alors qu’il ne s’agit que de défendre l’Amérique contre certains de ses abus.
Mais des convergences entre les différentes formes de résistance apparaissent néanmoins dans les milieux catholiques attachés à l’héritage patriotique, pour qui catholique rime avec français, ou dans les milieux gaullistes attachés à la diplomatie à la fois indépendante et éminemment classique du général de Gaulle, voire chez les républicains authentiques pour qui la souveraineté populaire est inséparable de la souveraineté nationale et les institutions républicaines du bon sens. .
Dans l’état de décomposition où se trouve la France d’aujourd’hui, il est impératif que ces convergences s’approfondissent. Quelle que soit la motivation des « veilleurs » pour la défense de la famille ou de l’enfant et donc d’une certaine idée de l'homme, la défense de la paix mondiale représente un enjeu encore plus grave.
Dans l’un et l’autre cas, disons-nous bien que le même type de démence est à l’œuvre, mais, en matière diplomatique et militaire, elle pourrait avoir des conséquences bien plus dramatiques.
En face, les mêmes idéologues, la même déraison, la même haine et la même intolérance, le même mépris de l’héritage chrétien, la même irresponsabilité : les motifs pour lesquels La Manif pour tous devrait s’engager aussi dans la défense non seulement de chrétiens d’Orient promis au massacre mais de la paix du monde ne manquent pas. Ce mouvement a révélé des forces neuves et saines dans la société française ; il se peut qu’elles aient à se mobiliser aussi pour la paix du monde, menacée par le même dérèglement des esprits.
R. H.