“Lumen Fidei” : réponse aux idolâtres
Article rédigé par Denis Lensel, le 08 juillet 2013 “Lumen Fidei” : réponse aux idolâtres

Publiée en ce début d’été, l’encyclique Lumen Fidei (“La Lumière de la Foi”) montre comment ce don de Dieu éclaire “tout le parcours de la route” de l’humanité. Un don communiqué par le Christ, appelé par les premiers chrétiens “le vrai soleil”, un soleil “dont les rayons donnent la vie”.

Cette encyclique a été préparée et rédigée pour l’essentiel par le pape émérite Benoît XVI — le théologien Joseph Ratzinger — et parachevée puis signée par le pape François. Elle apporte un enseignement précieux en cette Année de la Foi annoncée par Benoît XVI pour le 50e anniversaire du concile Vatican II.

Elle montre que la foi est « une lumière qui vient de l’avenir, qui entrouvre devant nous de grands horizons et nous conduit au-delà de notre « moi » isolé vers « l’ampleur de la communion », et possède « un caractère singulier » qui permet de « distinguer le bien du mal ».

« Une lumière qui vient de l’avenir »

« Une lumière qui vient de l’avenir » : cette formule frappante est à rapprocher de la définition de la Beauté attribuée au cardinal Newman — « la Beauté est la nostalgie du futur » — qui évoque l’aspiration de l’humanité dans l’éternité divine…

Cette définition d’une lumière permettant de distinguer le Bien et le Mal vient en réponse aux défis d’un monde qui a hérité de la prétention à l’autonomie, à la manière d’un Nietzsche reprochant au christianisme d’être une lumière illusoire entravant la progression des hommes libres, ou d’individus qui se contentent désormais de petites lumières à l’efficacité éphémère.

Dès l’Ancien Testament, la foi est « la réponse à une Parole qui interpelle personnellement, à un Toi qui nous appelle par notre nom », le Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob, dont la Parole « est un appel et une promesse ». Ici, insiste l’encyclique, « l’homme fidèle reçoit la force de se confier entre les mains du Dieu fidèle », la foi de l’homme répondant à la « fidélité de Dieu »…  Saint-Augustin explique cela ainsi : « L’homme est fidèle quand il croit aux promesses que Dieu lui fait ; Dieu est fidèle quand il donne à l’homme ce qu’il lui a promis. »

Pour Abraham, la promesse de Dieu se traduit dans la Paternité et la génération d’une vie nouvelle tant attendue de la part d’un Dieu Créateur qui « appelle le néant à l’existence », selon la formule de Saint Paul, et qui va se montrer « capable de garantir la vie même au-delà de la mort », en préservant Isaac du sacrifice annoncé...

L’illusion fatale de l’idolâtrie narcissique oubliant Dieu

Et puis, devant la foi d’Israël, on observe l’action de Dieu « pour libérer et guider le peuple », le sortant de sa misère vers la Terre promise. Mais la « tentation de l’incrédulité » peut faire basculer dans l’idolâtrie, « l’opposé de la foi ». Quand Moïse parle avec Dieu en haut du Sinaï, le peuple « ne supporte pas le mystère du visage divin caché », ni « le temps de l’attente »… Au lieu de la foi en Dieu, on préfère adorer l’idole, « dont l’origine est connue parce qu’elle est notre œuvre ». D’après un rabbin cité par Martin Buber, il y a idolâtrie « quand un visage se tourne respectueusement vers un visage qui n’est pas un visage »… ! Illusion fatale. Mais « l’idole est un prétexte pour se placer soi-même au centre de la réalité, dans l’adoration de l’œuvre de ses propres mains ».

En revanche, « dans la mesure où la foi est liée à la conversion, elle est l’opposé de l’idolâtrie », et permet de « revenir au Dieu vivant ». Dès lors, Joseph Ratzinger et le pape François montrent que croire « signifie s’en remettre à un amour miséricordieux » qui  « se montre puissant dans sa capacité de redresser les déformations de notre histoire ».

La connexion de la foi avec la vérité

Cette encyclique aborde la nécessité de la « connexion de la foi avec la vérité », expliquant que « par son lien intrinsèque avec la vérité, la foi est capable d’offrir une lumière nouvelle », ceci « parce qu’elle comprend l’agir de Dieu, fidèle à son alliance et à ses promesses ».

Observant que la culture contemporaine « tend souvent à accepter comme vérité seulement la vérité de la technologie », et ne tient ensuite compte que des « vérités de chacun » estimées comme « authentiques face à ce que chacun ressent dans son intériorité », Joseph Ratzinger et le pape François constatent qu’aujourd’hui « la grande vérité, la vérité qui explique l’ensemble de la vie personnelle et sociale, est regardée avec suspicion ». Plus encore, « une vérité commune nous fait peur, parce que nous l’identifions avec l’imposition intransigeante des totalitarismes », ces systèmes coercitifs du siècle dernier, dont la « vérité » officielle « imposait sa conception globale pour écraser l’histoire concrète de chacun »…

S’ensuit aujourd’hui, comme peut-être par réaction, « un relativisme dans lequel la question sur la vérité de la totalité, qui au fond est une question sur Dieu, n’intéresse plus », dans un contexte où se profile la peur de voir naître « un fanatisme » derrière « la connexion de la religion avec la vérité ».

La vérité « rend humble » le croyant, « sachant que ce n’est pas lui qui la possède, mais que c’est elle qui l’embrasse et le possède », dans « la sécurité de la foi », qui « rend possible le témoignage et le dialogue avec tous ».

La lumière de la foi « éclaire aussi la matière », ouvrant « un chemin d’harmonie et de compréhension toujours plus large » : ainsi, aidant à comprendre « que la nature est toujours plus grande », et « invitant à l’émerveillement devant le mystère du créé », la foi « élargit les horizons de la raison pour mieux éclairer le monde qui s’ouvre à la recherche scientifique ». Et « le regard de la science tire ainsi profit de la foi : cela invite le chercheur à rester ouvert à la réalité, dans toute sa richesse inépuisable ».

Vérité et fidélité indissociables dans toute théologie authentique

Quant au rapport avec un Dieu fidèle, on observe ici que « vérité et fidélité vont de pair » et qu’« Israël a eu l’intuition que cette vérité de Dieu s’étendait au-delà de son histoire, pour embrasser toute l’histoire du monde, et depuis la création ».

Et « puisque la foi est une lumière, elle nous invite à nous incorporer en elle [...] pour mieux connaître ce que nous aimons ». Ainsi naît la théologie chrétienne : « Il est alors clair que la théologie est impossible sans la foi et qu’elle appartient au mouvement même de la foi, qui cherche l’intelligence la plus profonde de l’autorévélation de Dieu, qui atteint son sommet dans le Mystère du Christ ».

La théologie est « une participation à la connaissance que Dieu a de lui-même » : elle « n’est pas seulement une parole sur Dieu, mais elle est avant tout l’accueil et la recherche d’une intelligence plus profonde de la parole que Dieu nous adresse, cette parole que Dieu prononce sur lui-même, parce qu’il est un dialogue éternel de communion, et qu’il admet l’homme à l’intérieur de ce dialogue ».

L’encyclique en conclut ici que « l’humilité qui se laisse « toucher » par Dieu fait partie alors de la théologie, reconnaît ses limites devant le Mystère et est motivée à explorer, avec la discipline propre à la raison, les richesses insondables de ce Mystère ».

De plus, la théologie est « au service de la foi des chrétiens » et doit se mettre « humblement à garder et à approfondir la croyance de tous ». Et, vivant de la foi, elle ne doit pas considérer le Magistère du pape et des évêques en communion avec lui comme quelque chose d’extrinsèque, une limite à sa liberté, mais au contraire, comme un de ses moments internes, constitutifs », le Magistère assurant le contact avec « la source originaire », offrant donc « la certitude de puiser à la Parole du Christ dans son intégrité ».

Le réceptacle de la famille née d’un homme et d’une femme

Cette encyclique affirme la foi comme une « unité de vision en un seul corps et en un seul esprit », citant le pape Léon le Grand disant : « Si la foi n’est pas une, elle n’est pas la foi. » En même temps, à la suite du cardinal théologien John Henry Newman, elle assure que l’unité de la foi « est celle d’un organisme vivant ».

Celui-ci s’est développé autour de la famille, à partir de « l’union stable de l’homme et de la femme dans le mariage », né de leur amour, « signe et présence de l’amour de Dieu, de la reconnaissance et de l’acceptation de ce bien qu’est la différence sexuelle par laquelle les conjoints peuvent s’unir en une seule chair et sont capables d’engendrer une nouvelle vie, manifestation de la bonté du Créateur, de sa sagesse et de son dessein d’amour ».

Ici se trouve le réceptacle de la foi qui rejaillit dans la vie en société.

D. L.

 

Le texte intégral :
Lumen Fidei,