Article rédigé par Henri Hude, le 02 avril 2013
Les Français ont l’intuition qu’un monde ancien est en train de s’écrouler. Les manifestations populaires de défense du mariage sont peut-être l’amorce d’un mouvement historique de contestation d’un système politico-économique libéral-libertaire, version dégradée du grand libéralisme issu de la philosophie des Lumières, qui n’existe plus aujourd’hui.
LE SYSTEME DOMINANT est en faillite démocratique, économique et spirituelle. La légitimité de son élite est en train de s’effondrer. Le mouvement historique qui commence aujourd’hui peut durer dix ou quinze ans. Il s’achèvera par le remplacement de ce système, et de son élite, par quelque chose de nouveau, qui n’est pas encore défini.
Le système qui s’effondre
La preuve que ce régime est en train de s’écrouler, c’est qu’il se radicalise. Les deux premières victimes sont 1/ la démocratie et la culture de liberté ; 2/ le bien commun économique de tous — ceci est essentiel et va être expliqué.
En même temps que le monde libéral-libertaire devient un chaos, il tente de se sauver par une manipulation des institutions démocratiques et de l’ordre juridique, qui prend de plus en plus l'aspect d’une dérive totalitaire.
Le principe fondamental de ce que nous pouvons commencer à appeler « l’ancien régime », c’est la liberté arbitraire et libertaire dans la gestion financière et économique du monde. Là est le cœur du problème. Là est l’enjeu du pouvoir. Là est la base de l’oligarchie.
La philosophie libertaire n’a d’autre objet que de justifier cet égoïsme de classe. Et les lois libertaires qui déstructurent le mariage et la famille, ainsi que la culture et l’éducation, ont pour objet principal de tenter de solidariser le peuple avec cette philosophie qui le ruine. A partir du moment où l’on peut décider arbitrairement n’importe quoi en matière familiale, et qu’on peut même fabriquer des orphelins pour son plaisir, comment n’aurait-on pas le droit, à bien plus forte raison, de faire n’importe quoi de son argent dans la seule vue de son intérêt égoïste à court terme et même de fabriquer des chômeurs si on peut en tirer profit ?
L’économie oligarchique libertaire
En matière économique, l’individualisme libéral-libertaire brise le cercle vertueux du capitalisme. Le capitalisme traditionnel, le seul qui ait une valeur, c’est celui des ingénieurs et des entrepreneurs. Il devrait n’avoir rien à voir avec le libéralisme économique libertaire et financier. Le capitalisme traditionnel, par la liberté d’entreprise, par les investissements à long terme dans l’éducation et la santé, les infrastructures, le capital des entreprises, la science et l’innovation, produit du développement économique et du progrès social dans le pays. La dernière fois qu’on a appliqué ce modèle en France, on a appelé cela les « Trente Glorieuses ».
Dans les pays d’Europe en crise, ce modèle a été abandonné depuis trente ans (Thatcher, Mitterrand, etc.). Tout le bien qu’on dit du modèle allemand, aujourd’hui, revient à observer que les Allemands ont moins abandonné le capitalisme que nous. Ils continuent à investir dans le but de développer leur économie et de donner du travail aux gens. Et, même s’ils ont dû adopter des réformes de l’économie en grande partie libertaires, leur masse de PME et de puissance économique intermédiaire leur permet de continuer à avoir une vraie politique capitaliste. En revanche, chez nous, le capitalisme entrepreneurial est écrasé par la coalition des grands groupes libéraux et d’une Administration qui a gardé des réflexes archaïquement socialistes. Cette Administration, impuissante à orienter les grands groupes vers le développement économique du pays, persécute le tissu capitaliste. De là la fin du développement et du progrès social. Le bien commun économique a été abandonné au profit des intérêts financiers à court terme d’une minorité infime.
La conséquence en est tout simplement la mort économique des peuples. De là, face à cet égoïsme véritablement monstrueux, et à la complicité de la classe politique dans son ensemble, une révolte populaire. Celle-ci est en train de devenir une révolution, à mesure que le peuple désespéré, privé de son système démocratique, et que les libertaires croyaient avoir réduit à d’impuissantes jacqueries, n’est plus seul. Il se voit peu à peu rejoint et encadré par des élites, en partie capitalistes et en partie non libertaires, qui sont la classe dirigeante de demain.
Le « piège démocratique »
En matière politique, la classe dirigeante libertaire ne peut plus se permettre de laisser fonctionner une démocratie effective digne. C’est évident, puisqu’elle refuse toute évolution à des peuples libres, qui veulent des changements massifs dans la structure de leur élite et dans la gouvernance économique.
Les libertaires sont donc forcés de manipuler la démocratie, de subvertir l’ordre juridique, et d’affaiblir le peuple en le divisant.
Pour sauver son système en faillite, l’oligarchie libérale-libertaire se retrouve forcée d’annuler le fonctionnement de la démocratie par ce que nous appelons un « piège démocratique ». En quoi consiste-t-il ?
Deux partis oligarchiques libéraux-libertaires, l’un un peu plus libéral, l’autre un peu plus libertaire, vont donner l’illusion d’une alternance démocratique, tout en trahissant l’un après l’autre la volonté générale. Tous ceux qui rejettent cette alternance trompeuse sont ainsi renvoyés vers des partis extrémistes largement préfabriqués, qui font eux-mêmes parties du système. C’est ainsi que rien ne peut changer et que l’intégralité du pouvoir soi-disant démocratique se retrouve concentrée entre les mains d’une infime minorité non représentative et profondément illégitime. Le tout sous la domination du Léviathan médiatique.
En disant cela, nous ne nous sommes pas seuls contre tous, mais avec l’immense majorité contre l’oligarchie. Il y a en effet une foule immense de citoyens dignes et de gens de bonne volonté dans tous ces partis. Ils vont comprendre petit à petit que leur action est vaine, qu’ils jouent en réalité le jeu de l’oligarchie libertaire. Le piège cessera de fonctionner quand ils se retrouveront ensemble dans le grand mouvement historique en train de naître. Celui-ci transcende complètement les sophistications partisanes de « l’ancien régime ».
Cette oligarchie libertaire, déjà démocratiquement illégitime au niveau national, transfère pour plus de sécurité le maximum de pouvoir à des niveaux si élevés qu’aucun peuple n’y a accès et que les lobbies et les cartels sont les seuls à pouvoir s’y exercer effectivement. Elle a ainsi livré à ses bureaucraties et à ses cartels l’émission de la monnaie, les taux d’intérêt, la politique de change, la politique concurrentielle, la politique douanière, la politique agricole, les normes dans tous les domaines, ainsi que l’imposition des politiques de régression économique des peuples, qu’on appelle "austérité". Ces politiques n’ont certainement pas pour but de rétablir la rentabilité des économies, pour permettre le retour de la croissance, mais elles visent à perpétuer les abus oligarchiques en faisant payer par la force aux peuples les pertes de ce système.
Au piège démocratique, elle ajoute le « piège juridique ». Tout pouvoir démocratique est a priori mis sous la tutelle d’un Droit et de Traités qui garantissent à l’oligarchie la perpétuité de sa domination. Non seulement le pouvoir démocratique est vidé de sa substance et manipulé, mais quand bien même il prendrait les bonnes décisions, celles-ci seraient annulées par l’action d’institutions internationales.
Heureusement tout cela est réversible : l’Union soviétique s’est effondrée le jour où la république de Russie a déclaré que ses lois étaient souveraines par rapport à celles de l’Union soviétique. Ainsi en sera-t-il de cette domination oligarchique, qui est le dévoiement complet de toute espèce de projet européen.
La démocratie est détruite également via la destruction du capitalisme entrepreneurial, dont il a déjà été question plus haut. Ce dernier est en effet l’une des assises les plus indispensables de la démocratie : sans la prospérité, sans les classes moyennes et l’élite économique intermédiaire, on oscille toujours entre la dictature socialiste de l’État et l’oligarchie libérale. Ce sont là les deux maux qui sont en train de tuer l’économie française. Elle meurt d’étouffement, sous le poids des taxes, des normes et de l’Administration, d’un État et d’un système de solidarité sociale qui sont aujourd’hui obèses, inefficaces et archaïques. Elle meurt aussi d’hémorragie par la gestion financière des grands groupes, uniquement orientée vers la rentabilité financière à court terme, et qui regardent bien au-delà des régions et des travailleurs français pour trouver des sources de profit.
La démesure idéologique
Dans l’ordre culturel, l’oligarchie libérale-libertaire n’offre d’autre sens et d’autre but que l’exercice d’une liberté arbitraire dans le néant, par l’amnésie et la transgression. Elle prétend faire de cette vacuité le seul contenu de la culture du peuple. Elle prétend la lui rendre obligatoire et ne pas tolérer qu’il puisse penser, parler, éduquer ou vivre selon d’autre règle que celle de son nihilisme d’État. Au nom de ce nihilisme, elle prétend détruire la famille, endoctriner la jeunesse, fabriquer des orphelins, monopoliser et industrialiser la reproduction, comme si rien n’existait en dehors de sa volonté arbitraire, mégalomane et totalitaire.
Une minorité de minorité de transgressifs nihilistes se radicalise et prétend imposer une orthodoxie libertaire. Elle espère secrètement que le peuple se trouvera déstructuré et désarmé à jamais devant le libertarisme de la finance, à partir du moment où ils auront pu lui inoculer le libertarisme du plaisir et de l’opinion arbitraire.
L’oligarchie se jette ainsi dans des absurdités dignes de celle des terroristes de 1793. Le parlement vote des anthropologies absurdes et prévoit de persécuter ceux qui n’y croient pas, c’est-à-dire à peu près tout le monde sauf une secte d’idéologues, et ce au nom de la non-discrimination.
Par la démesure de son nihilisme, par sa dérive totalitaire, par le ridicule, l’odieux et l’absurdité de ses ukases doctrinaux, le libertarisme révolte la partie de l’élite qui n’est pas libertaire – toute celle dont c’est le métier de faire quelque chose de sérieux, ou de savoir sérieusement quelque chose, toute celle dont ce n’est pas le métier que de se faire plaisir en racontant n’importe quoi dans des meetings politiques ou de vendre des images à la télévision. Les libertaires révoltent et indignent tous ceux qui ne se sont pas laissé arracher par son nihilisme tout sentiment, intuition et mémoire de ce que sont science et vérité, art et beauté, dignité, liberté et devoir civique, moralité, diversité des religions. Et tous s’écrient d’une seule voix : le nihilisme totalitaire ne passera pas.
Premier pas dans la constitution d’un nouveau régime
Telle est sa démesure fatale, à l’origine du mouvement qui va causer sa perte. Par ses excès choquants, l’oligarchie rompt avec l’élite non libertaire, de même qu’elle a depuis longtemps rompu avec le peuple. À terme, c’est l’alliance entre le peuple et les élites, tant entrepreneuriales, que non libertaires, qui remplacera l’ancien régime. Ce à quoi nous assistons aujourd’hui, c’est le passage de l’élite non libertaire dans l’opposition résolue à l’ancien régime. Elle s’y retrouve avec les classes populaires et elle y attend l’élite capitaliste entrepreneuriale. On voit déjà se structurer l’univers politique du nouveau régime.
Ce texte a été écrit en étroite coopération avec Thomas Hude, 29 ans, ancien élève de l'ENS-Ulm (mathématiques) et d'HEC. Il exprime ainsi la vision commune à deux générations à travers la diversité de leurs formations et de leurs expériences.
Pour en savoir plus : http://www.henrihude.fr/