Tamil Nadu : victoire juridique en demi-teinte pour les chrétiens dans leur volonté de voir reconnu le droit à mener librement des activités religieuses
Article rédigé par Eglises d'Asie, le 13 octobre 2012 Chennai

A la fin du mois de septembre dernier, les chrétiens au Tamil Nadu ont remporté une victoire juridique, la Haute Cour de Madras (Chennai) reconnaissant que les assemblées de prière organisées dans des lieux privés n’avaient pas être soumises à un régime d’autorisation préalable délivrée par la police ou les autorités gouvernementales. La décision de justice constitue toutefois une victoire en demi-teinte dans la mesure où, quelques jours après que le jugement a été rendu, une assemblée pentecôtiste s’est néanmoins vue interdire par l’administration locale de tenir une assemblée de prière.

L’affaire qui est à l’origine du jugement de la Haute Cour de Madras a pour cadre le district de Kanyakumari, une région connue de tous les Indiens car elle constitue l’extrême pointe sud du continent indien, là où les eaux du golfe du Bengale se mêlent à celles de la mer d’Arabie. Dans un Tamil Nadu où les chrétiens forment une minorité de 6 % de la population, Kanyakumari présente la particularité d’abriter une forte proportion de chrétiens : 44 % de la population, des catholiques en majorité et un nombre importants de différentes dénominations protestantes.

Dans le district de Kanyakumari, une région plutôt prospère du Tamil Nadu, un pasteur pentecôtiste, le Rév. S. Suresh Rajan, membre des Assemblées de Dieu, menait depuis 2006 des assemblées de prière hebdomadaires à proximité du principal marché de la ville de Kanyakumari. Pour cela, il louait un local fait de matériaux légers, au toit recouvert de palmes végétales. La foule des fidèles devenant importante, il choisit de changer de lieu et, pour cela, fit l’acquisition d’un terrain à l’intérieur des terres, à deux kilomètres de là, dans le village de North Kundal, où il construisit une « salle communautaire ». C’est au moment où le pasteur décida de transférer le lieu des assemblées de prière du marché de Kanyakumari dans le nouveau bâtiment, à North Kundal, que le chef du district, personnage d’un rang élevé dans l’administration indienne, lui signifia l’interdiction de le faire.

Saisie par le Rév. Rajan, la Haute Cour de Madras, en la personne du juge S. Manikumar, a estimé que les activités de prière menées dans des lieux privés ne pouvaient être interrompues par la police ou être soumises à un régime d’autorisation préalable, pour autant que ces activités « ne portent pas atteintes à l’ordre public, ne constituent pas une pollution sonore, ne présentent pas un danger pour la santé ou la moralité publique ou encore ne violent pas les droits des résidents alentour ». Le juge a ajouté que, dans les limites fixées par la loi, les autorités publiques n’avaient pas le droit d’empêcher la prière des fidèles, quelle que soit leur appartenance religieuse, attendu qu’une telle action de la force publique constituerait une limitation de « la liberté de pratiquer et de professer sa religion », liberté garantie par la Constitution de l’Union indienne.

Dans les milieux chrétiens, la décision de justice a été bien accueillie. A l’agence Fides, le P. Dominic D’Abrio, porte-parole de la Conférence épiscopale de l’Inde (CBCI), a déclaré : « Cette décision est un bon signe pour les chrétiens et pour tous les croyants qui se voient confirmer leur droit fondamental à la liberté de culte et de religion. Je crois qu’elle pourra être un exemple et un encouragement, aidant les croyants en Inde à se sentir libres de cultiver leur vie spirituelle. Elle constitue également une victoire de l’Etat de droit, attendu que la liberté de culte est expressément protégée par la Constitution. En tant que chrétiens, nous continuerons à réaffirmer l’importance et la valeur fondamentale de la liberté religieuse, fondement de toutes les libertés. »

Sur place, les avis sont plus mitigés. En effet, après la décision rendue par la Haute Cour de justice, le chef du district de Kanyakumari a maintenu sa décision d’interdire les réunions de prière dans la salle communautaire de North Kundal, suivant en cela les recommandations du chef du village de North Kundal, qui a estimé que si le bâtiment du Rév. Rajan était une « salle communautaire », alors elle devait être ouverte à tous les villageois, et non aux seuls fidèles du pasteur pentecôtiste. A cela, le pasteur répond que s’il a demandé un permis de construire pour « une salle communautaire », c’est parce qu’il savait que la permission d’édifier une église lui aurait de toute façon été refusée. « Dans le district de Kanyakumari, il y a deux cents demandes de permis de construire pour des églises en attente dans les dossiers de l’administration », argumente-t-il, ajoutant qu’il poursuivra « [son] œuvre et fera appel au ministre de l’Intérieur du Tamil Nadu si nécessaire ».

Des observateurs locaux expliquent que les raisons qui poussent l’administration locale à refuser un certain nombre de permis de construire pour des églises chrétiennes sont liées à l’histoire récente. En 1982, rappellent-ils, de violentes émeutes ont opposées chrétiens et hindous et le calme ne fut ramené qu’après une intervention massive de la police, qui fit six morts dans le village de Mandaikadu. Le juge chargé d’enquêter estima qu’une des causes des violences était la trop grande proximité géographique entre temples hindous et églises chrétiennes. « Je suggère que dorénavant la construction d’un lieu de culte ne soit autorisée que si elle a lieu à plus d’un kilomètre du lieu où se trouve un autre lieu de culte », écrivait le juge Venugopal à l’époque. Il semble que l’avis du juge soit depuis suivi à la lettre dans le district de Kanyakumari, où les autorités redoutent une résurgence des tensions, et de façon beaucoup moins stricte dans les autres districts du Tamil Nadu.

Un prêtre catholique fait toutefois remarquer que, si les permissions pour les lieux de culte chrétiens sont difficiles à obtenir, il n’en va pas de même pour les temples hindous. Ainsi, dans le village de North Kundal, où se trouve de longue date une église de l’Eglise (protestante) du Sud de l’Inde (CSI), un temple hindou, le temple Sasta, a été édifié en 2009, la délivrance de son permis de construire ayant été apparemment aisée.

 

Source : Eglises d'Asie

Photo : Wikimedia Commons / PlaneMad