Jean Dieuzaide – La photographie d’abord
Article rédigé par , le 10 août 2012 Jean Dieuzaide – La photographie d’abord

Puisse cet ouvrage ne pas seulement inspirer la nostalgie, mais, aussi, une certaine gêne, pour ne pas dire une certaine honte à nos autoproclamés photographes. Il y avait jadis les peintres du dimanche qui, lorsqu’ils vous demandaient, frémissant d’impatience, ce que  vous pensiez honnêtement de leurs oeuvres, s’entendaient répondre ‘‘ah, écoute mon Vieux, tu as dit «honnêtement» n’est-ce pas… alors… ’’ Nous n’en sommes même plus là : en matière de photographie, l’aisance, l’autosatisfaction, l’absence de toute retenue sont générales. A l’ouverture des JO, les athlètes épanouies qui défilent, photographient bras en l’air des spectateurs qui les photographient. Tout le monde se flashe et se reflashe, du lit à la sacristie, de la cave au grenier, sous la chapelle Sixtine comme sous la plage de Palavas. Leurs petits numériques et autres smartphones sont à l’art photographique ce que la cuisine rapide est à la gastronomie. Mais, apparemment, cela ne gène personne. Sauf les vrais photographes qui, tels Assurancetourix n’ont plus qu’à fulminer, serrant les poings : «les barbares, ils ne comprennent (plus) rien à notre art ! »

La biographie du toulousain Jean Dieuzaide nous offre l’occasion de replonger dans les époques de la Libération et de ces IVème et Vème Républiques avec tous leurs clichés (surtout en noir et blanc) en quoi réside et demeure pour l’historien, l’étudiant et le contemplatif (ce devrait être tout un) la quintessence des acteurs du temps et des évènements. Le photographe, c’est d’abord celui qui a le talent, l’instinct de l’instant (et la nature de la pellicule en ce temps là ne permettait pas de mitrailler à tout va comme des toqués !). Mais, à l’exemple d’un peintre, il peut, il doit souvent, s’il veut parvenir à ses fins, c’est-à-dire capter l’image qu’il a déjà imaginée, préméditer son forfait, se faufiler, tracer dans sa tête son chemin pour se placer, là, au bon endroit puis surgir, tel un diablotin, pour fixer telle situation, tel visage… celui de de Gaulle, par exemple, à la libération de Toulouse, ce qui deviendra le premier portrait officiel et municipal du Général. La débrouillardise était aussi professionnelle. Le Scouarnec donne à voir le culot avec lequel Dieuzaide vendit ses premiers clichés à la presse américaine, à Life, aux médias français, Radar, Paris Match. Dieuzaide, c’est le Doisneau latin, affecté d’un tropisme certain pour l’Espagne et la tauromachie, les guides Arthaud du bassin méditerranéen, un esprit toujours jeune capable de se passionner selon ce que commande l’actualité. La photographie n’est qu’en partie un art géminien. Gémeau, Jean Dienzaide l’était, mais avec une composante taurienne, qui apporte la faculté d’ordonner dans l’espace, de se faire l’architecte d’une photo qui rime parfois avec tableau. Regardez ses albums consacrés à l’art roman et donnez-vous un avant-goût de son art en feuilletant les rares photographies de cette bio. Il n’en demeure pas moins que ce livre ouvre tout droit à une nouvelle querelle des Anciens et des Modernes. Jean Dieuzaide militait en 1977 pour le maintien de la fabrication du papier baryté… Toujours une histoire de conservateurs et de conservation… on allait écrire : de conversations ! Mais, oui, c’est bien cela : la photo de l’avenir continuera-t-elle à nous parler autant que celle dont un Jean Dienzaide fut le si authentique artiste et artisan. Au-delà de la technique et du numérique, c’est toute la question du nombre, de la quantité et de la démocratie qui nous est posée.           

Hubert de Champris

http://www.amazon.fr/Jean-Dieuzaide-photographe-corps-âme/dp/B006TYX79C/ref=sr_1_fkmr0_2?s=books&ie=UTF8&qid=1344606809&sr=1-2-fkmr0/libertepoliti-21 Editions contrejour 2012 272 18,00 Non 18,00 €