Lumière des astres éteints
Article rédigé par , le 20 juillet 2012 G. Haddad

Les éditeurs seraient-ils semblables à Rousseau, abandonnant leurs livres comme Jean-Jacques ses enfants pour mieux, après coup, en faire abstraitement la promotion ? On les laisse là, esseulés, sur les étals ; à eux de se débrouiller. Pourtant, tous les livres, tous leurs livres n’ont pas la même valeur. Vous, par exemple, aviez-vous reçu quelques lueurs en provenance de ces désastres de la Deuxième guerre mondiale ? Aviez-vous été averti de la persistance dans notre quotidien même des effets délétères de l’état d’abandon quasi total dans lequel on a laissé moisir les traumatisés des camps de concentration ou d’extermination allemands ? Ancien ingénieur à Grenoble comme dirait Coluche, bon connaisseur de Jacques Lacan, le psychanalyste Gérard Haddad nous livre ici une démonstration très vivante et concrète de la prégnance, au-delà même de tous ces cas individuels, de l’atmosphère mortifère, déshumanisante du Camp dans la psyché de nos contemporains. 

En prenant l’exemple de quelques dames affiliées à un titre ou à un autre à des déportés, il nous montre que l’héritage des parents n’a pu être pris en compte, ou, plutôt, puisque, par définition, il était interdit de le refuser, combien celui-ci a continué, mine de rien, à creuser ses galeries dans la noire et brillante psychologie de tous ceux qu’on avait après-guerre laissé glisser la bouche ouverte au fil de l’eau comme un poisson crevé dans une rivière polluée. Ne vous méprenez pas, l’auteur est bien plus explicite que nous nous autorisons en l’occurrence à l’être. Par opposition au pare-brise en verre brisé (qui vous éclate à la figure en cas de choc), Haddad remarque que la constitution des déportés et de leurs descendants est en verre feuilleté. Leur visage a besoin d’être recomposé, et c’est précisément ce que l’on commence seulement à comprendre. Israël, où notre psychanalyste a exercé, est longtemps demeuré en la matière dans le déni, ou l’aveuglement, comme s’il fallait continuer à se montrer dur vis-à-vis d’eux. Certains points majeurs sont effleurés, que l’auteur ne manquera pas de creuser plus la prochaine fois. Ainsi, le cas de Bruno Bettelheim, ancien déporté à Dachau et Buchenwald, dont la Forteresse vide montre qu’il a correctement perçu certains liens [dans un lapsus calami révélateur, nous avions d’abord écrit ‘‘lieu’’] entre la psyché de l’enfant autiste et celui de certains déportés mais dont le comportement théoriquement et pratiquement inadmissible envers ses jeunes patients demeure encore énigmatique. Ainsi, encore, le hongrois Georges Soros dont, en contradiction radicale avec son passé pendant la guerre, la calamiteuse entreprise definanciarisation de l’économie semble vouloir dire que même ceux qui devraient avoir tout compris (des origines des maux du monde) contribuent dans une incertaine mesure à la poursuite de la propagation des effets du mal. Et plus encore, alors que nous y songions les pages précédentes, Haddad en vient à citer Jean le Baptiste qui, grosso modo, nous disait que, face au mal, au scandale absolu, si personne ne venait à s’y résoudre, alors, oui, même les pierres pouvaient crier. Il y a donc, comme on dit et comme, constatons-nous, il n’a pas été dit, plein de bonnes choses profondes, vivantes et justes dans cet essai, fruit de la plus irréfutable des constatations. Invisible aux yeux de tous, sauf des médiums, des mystiques et des enfants, la lumière noire des Camps continue de traverser les espaces interstellaires (attendu que le macrocosme se reflète à un degré ou à un autre dans notre microcosme personnel). Un chapitre est à bon droit consacré au meilleur des psychologues viennois de l’après-guerre, au déporté survivant et très vivant Victor Frankl et à sa théorie/thérapie de sens de la vie. (Mais notre essayiste se montre en l’espèce inutilement critique en relevant la ‘‘pauvreté conceptuelle’’ de ses écrits : les concepts, cela constipe, et les déportés historiques comme les ‘‘déportés’’ contemporains n’ont pas besoin de concepts ; ils ont besoin de caresses). Pour nous guérir des camps nazis, on a créé les camps de vacances. Fallacieuses antithèses ! Haddad nous cite le cas de Gérard Blitz, juif belge, inventeur du Club Med. Là-bas, vous avez manqué de tout, eh bien, ici, dès à présent, vous ne manquerez plus de rien. Sea, sex and sun et buffet à volonté. All inclusive. Mais Haddad, et nous avec, avons bien pigé que prendre le contre-pied, ce n’est pas changer de pied. On croit se guérir d’un mal, mais on demeure dans la même problématique. Passant un cran au-dessus, Blitz a ensuite délaissé le matérialisme hédoniste des clubs de vacances pour importer en France le yoga et fonder sa fédération française. Spiritualisme soft que celui-là serait-on tenté de commenter. Mais si Hitler s’est attaqué aux Juifs et au judéo-christianisme, l’antidote est-il uniquement de nature physique ? Ne conviendrait-il pas d’en revenir à la métaphysique ? Et, des précités, de les réajuster pour en faire notre miel éternel ?

Hubert de Champris

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