Super-héros (2/3) : les crises et leurs héros
Article rédigé par Antoine Besson, le 18 mai 2012 Super-héros

En France, 2012 est une année éminement politique qui voit se succéder la présidentielle et les législatives. Mais sur la planète Marvel, 2012 est également une année clef. Avec pas moins de quatre films de super-héros prévus en salles, 2012 sera la consécration du passage des strips au grand-écran pour tous les super-héros de la célèbre firme. Un rendez-vous que certains attendent avec impatience. Comment interpréter cet engouement mondial pour les super-héros américains ? Quel rapport entretient-on avec ce genre hyper politisé ? Que révèle-t-il de l’Amérique d’hier et d’aujourd’hui ? Les super-héros sont connus pour cultiver le mystère… Levons le voile sur l’identité secrète d’une tendance culturelle moderne.

Les super-héros ont conquis le monde passant de simples figures héroïques tutélaires pour magazines populaires au statut de genre multi-supports historique [1]. Car si les super-héros se sont finalement imposés au grand public, notamment grâce au cinéma, ils n’ont pas pour autant renié leurs origines. Tous les films récents bénéficient par exemple d’une double grille de lecture. Celle du grand public – qui varie peu d’un genre à l’autre – et celle des aficionados pour lesquels chaque film est un trésor de références cachées (comme par exemple la scène finale, post-générique, du film Avengers). Le genre cultive ainsi un effet nostalgique tout à fait dans l’air du temps.

Devenus genre à par entière, les super-héros se prêtent donc davantage à la critique. Il est possible aujourd’hui de les analyser pour mieux comprendre ce que leur succès révèle sur notre société et notre culture moderne.

Des super-héros très américains !

En tout premier lieu, il n’échappera à personne que les super-héros sont emblématiques de la domination de la culture mainstream par les Etats-Unis. C’est souvent ce caractère proaméricain qui a induit le rejet (notamment en France) du genre, le relèguant au ban de la culture, dans une niche. Il faut cependant aujourd’hui, au vu du succès planétaire des super-héros américains, dépasser cet a priori pour comprendre à la fois la richesse du genre et sa complexité.

Voilà 74 ans que les Etats-Unis vivent avec leurs super-héros. On a vu que les lecteurs plébiscitaient particulièrement ces figurent tutélaires lors des périodes de crises. Cela a été le cas à leur création durant la Seconde guerre Mondiale, puis durant la « guerre froide » alors que le monde était menacé d’un conflit nucléaire. On peut également observer que l’essor formidable du genre dans le septième art correspond à une autre crise de la société américaine : celle conséquente au 11 septembre 2001. Trois crises, trois traumatismes populaires, trois périodes durant lesquelles les lecteurs (puis les spectateurs) ont plébiscité le genre des super-héros aux Etats-Unis. Qui sont ces super-héros que l’imagination populaire appelle au secours des crises réelles ?

L’unité du genre : l’univers des super-héros

Nous parlons ici d’un genre mais il aura fallu longtemps avant de parler du « genre des super-héros ». Les spécialistes comme Jean-Marc Lainé (coauteur de Nos années Strange 1970/1996 aux éditions Flammarion) reconnaissent même que l’appellation est impropre : « On parle du genre des super-héros à défaut d’avoir trouvé un terme adéquat. Cela s’impose de soi ». Pourtant, les héros sont multiples, et s’il existe des canons évidents pour permettre au lecteur de discerner s’il est en présence d’un super-héros ou non (costume, identité secrète, pouvoir, volonté de défendre des valeurs positives), il arrive que certains super-héros ne remplissent pas toutes ces conditions. Ils sont pourtant considérés comme des super-héros non pas tant pour ce qu’ils sont mais parce qu’ils évoluent dans l’univers des super-héros. Un univers qui porte souvent le nom de l’éditeur qui édite ces histoire. On parle ainsi d’« univers Marvel » ou bien de l’« univers DC comics ». 

Les canons du genre « super-héros » sont donc liés au support sur lequel le genre s’est développé plutôt que sur les fictions ou leurs personnages. « Les bandes dessinées de super-héros ont succédé aux pulps, publications populaires elles-mêmes inspirées des Dime novels (romans à trois sous) qui ne sont ni plus ni moins que l’évolution logique d’une certaine littérature du XIXe siècle dite populaire, explique Jean-Marc Lainé. Il est donc naturel que les fictions de super-héros empruntent aux autres genres. » Ce qui explique qu’il ait été si difficile de les classer dans une catégorie existante et la nécessité qui s’est imposée d’elle-même par la suite de créer un genre à part entière.

Aujourd’hui cependant, il est devenu protéiforme. On retrouve le super-héros sur bande dessinée (en album et non plus seulement en magazine) mais également à la télévision (en séries animées) ou encore au cinéma. Il ne reste donc pour définir les canons du genre que l’univers dont l’unité est – encore - garantie par le nombre restreint d’éditeurs.

Les super-héros : héros modernes et évolués

Jamais le genre des super-héros ne se porte aussi bien que lorsque le monde est en crise. Cela tient avant tout peut-être à la nature héroïque de ses personnages. Le genre est en effet construit autour des figures centrales qu’il met en scène comme l’indique son nom : les super-héros. Dans ces fictions, les héros le sont autant d’un point de vue romanesque que mythologique. Ce sont des personnages de caractère auxquels arrivent de multiples péripéties et qui sont, en prime, affublés de super-pouvoirs comme les demi-dieux d’autrefois.

Dans une société qui a perdu le sens du sacré, ces personnages représentent une manne pour l’imagination. Le genre bénéficie d’une forte puissance allégorique. Depuis ses débuts, il brode sur une réalité sociale et politique qui est celle de son lectorat. Sur la première couverture de sa série, Captain America mettait un coup de poing à Hitler. Aujourd’hui, il se bat contre des terroristes en milieu urbain. Cette faculté d’adaptation du genre est aussi à l’origine de son succès. Il s’explique en partie parce que les histoires de super-héros se sont développées à travers des séries de type feuilletons. Les super-héros se sont ainsi adaptés aux différentes évolutions majeures et ont pu apporter une réponse imaginaire en phase avec la réalité. Ils ne sont pas figés dans le temps. Ils évoluent – voire sont réinventés à travers des reboot (un redémarrage qui fait table rase des épisodes précédents) – perpétuellement. « Le genre des super-héros est un genre très marqueté. Il s’est développé sur un support typiquement américain et beaucoup de séries à succès ont vu plusieurs aventures dictées par les idées des services marketing qui testaient ce qui marchait ou pas sur le public », explique Jean-Marc Lainé.

Cette faculté d’évolution permet aux super-héros d’être toujours résolument modernes et adaptés à l’époque dans laquelle ils sont produits. Et comme ce sont des héros, leurs aventures ne parlent que de salut ! Un discours qui plaît particulièrement (même si le salut est ici imaginaire) en temps de crise. Ces héros, de plus en plus plébiscités, réintroduisent la dimension du salut dans une société qui en a cruellement besoin.

Le super-héros : messie moderne ?

Mais plus encore, le super-héros incarne la rencontre inévitable du naturel et du surnaturel. Souvent le héros possède une faculté extraordinaire : un super-pouvoir surnaturel (mais qu’il obtient presque toujours par un moyen naturel comme la science) qui lui permet d’être héroïque, de sauver les gens et de se mettre au service du bien et de la justice dans un monde naturel qui pourrait être le nôtre.

Ces histoires sont des fables modernes presque spirituelles : une mythologie des temps nouveaux. Tout du moins, ces fictions sont-elles construites sur les mêmes ressorts psychologiques que les anciennes mythologies. Ce qui ferait du super-héros le dieu des temps modernes.

Ici, il faut rappeller que notre analyse porte sur un courant culturel. Notre intention n’est pas de dénoncer ou faire naître une nouvelle religion des super-héros. Nous observons cependant que tout comme la littérature apocalyptique s’inspire de la peur religieuse de la fin du monde et s’appuie sur les mêmes ressorts psychologiques, le genre des super-héros, qui porte sur le salut, profite de l’attraction naturelle de l’homme pour ce qui le sauve pour promouvoir un genre de fictions.

Tous les hommes cherchent le salut en période de crise et cela profite autant à la pratique religieuse qu’au domaine de l’imagination et des fictions. Reste maintenant à comprendre comment les super-héros nous sauvent ?

 

[1] Pour un historique du genre, voir Super-héros (1/3) : histoire d'un genre.