Article rédigé par Jacques Trémolet de Villers, le 02 mars 2012
Le bilan du quinquennat sur la justice n’est pas bon
Il faut dire que les propositions du candidat Sarkozy, en 2007, n’étaient pas bonnes non plus. Mais, dans ce domaine, il est à égalité, si l’on peut dire, avec les autres candidats, car aucun ne donne le sentiment d’avoir mesuré ce dont avait besoin, en France, aujourd’hui l’institution que la Constitution de la Vème république appelle « l’autorité judiciaire ».
La question est révélatrice de la dérive des pratiques politiques, à l’égard de la Constitution. Cette dernière, monarchique et républicaine, faisait dépendre la qualité de la Justice de l’attention particulière du chef de l’Etat.
En France, historiquement, la justice a deux caractères :
- elle est déléguée par le Prince, qui est le grand juge. C’est par la qualité de leurs officiers de justice que les capétiens ont édifié leur légitimité à régner. L’image de Saint-Louis rendant la justice, à Vincennes, sous le chêne, est un symbole qui n’a rien perdu de son actualité parce qu’il correspond au besoin permanent du justiciable : accéder directement et simplement au sommet de la Justice et savoir que c’est le Roi lui-même (la plus haute autorité possible) qui lui rend sa justice ;
- ensuite, chose des Parlements très conscients de la dignité et de l’autorité de leur charge « vous êtes les dieux de la terre » disait le chancelier d’Aguesseau aux magistrats du Parlement de Paris, la justice a conduit les hommes de loi à défier le pouvoir politique, voire à prétendre le mettre en tutelle.
La Constitution de la Vème République visait à rendre à la justice une place prééminente dans l’ordre des institutions mais sans empiéter sur les prérogatives du pouvoir politique. Ainsi c’est le président de la république qui est gardien de l’indépendance de la justice et c’est lui qui, en théorie, préside le conseil supérieur de la magistrature, comme c’est lui qui nomme directement aux hauts emplois.
Dans la pratique, les ministres ont été « transparents » et se sont succédés à un rythme trop rapide pour faire vraiment une politique (Rachida Dati, Michèle Alliot-Marie, Michel Mercier). Les préoccupations étaient ailleurs, c’est à l’Elysée que s’est décidée la politique judiciaire (Nicolas Sarkozy et Patrick Ouart).
Cette politique n’en était pas une. Elle a tendu à :
- Faire des économies
- Répondre aux urgences par des projets de lois,
- Gérer au mieux, ou au moins mal, les affaires « politico-financières » procédant, pour cela, à des nominations plus que discutables.
Le résultat est
- Un état de délabrement accu de l’institution,
- Un éloignement de la justice et du justiciable,
- Une montée de la volonté de puissance des juges
- Une inefficacité de l’institution.
Les réformes nécessaires sont
- Une attention directe du Chef de l’Etat à l’exercice de ses fonctions,
- Une revalorisation du budget
- Une réforme du système de la sanction pénale.
La politique du quinquennat écoulé
Ce fut d’abord l’Ordonnance sur la réduction du nombre des juridictions.
Légiférer par ordonnance en matière de justice n’est pas une nouveauté, c’est la tradition française depuis St Louis, et peut-être avant. Mais, comme l’ordonnance de 1958, péchait par une vue idéaliste (au sens philosophique du mot) et jacobine, celle de 2007 péchait, à l’inverse, par matérialisme (au sens philosophique du mot) et mesquinerie. On a tranché, au vu de statistiques, pour supprimer ce qui semblait n’avoir plus grande activité pour regrouper lesdites activités. Restructuration banale, comme en font souvent les administrateurs diocésains et les « aménageurs » du territoire.
L’ordonnance de 1958 en supprimant les juges de paix avait contribué fortement et involontairement à la désertification des campagnes. Depuis, on a rétabli ce « juge de paix » sous le nom de « juge de proximité », mais le mal social était fait. L’ordonnance de 2007 accroît encore cette centralisation urbaine, au détriment même des petites villes, ce qui est, judiciairement une très grave erreur.
Il faut que les juges soient proches du justiciable, même si cela a un coût. Ce coût est vite remboursé par l’économie sociale qui en découle. Car, le juge proche c’est aussi la paix sociale plus accessible :
- les « scandales » de « la garde à vue » (un journaliste en garde à vue !!) des erreurs de l’instruction (aff. Outreau), des récidivistes en liberté, et, plus généralement, de l’accroissement de l’insécurité, ont conduit à des réformes quasi permanentes du Code de Procédure pénale, et du Code pénal, qui ont affaibli l’institution sans porter remède à son vice fondamental qui est :
- la lenteur,
- et donc, l’inefficacité, et que seule une augmentation considérable du personnel judiciaire, magistrats, greffiers, personnels catégorie C, pourra atténuer (ne pas oublier que notre budget de la justice est le 17ème en Europe, la moitié du budget du Royaume-Uni, moins de la moitié du budget de la République fédérale allemande).
On a compliqué considérablement les tâches de la police avec l’assistance de l’avocat à la première heure de la garde à vue et jusqu’à la 24ème heure, et accru ainsi la défiance entre la justice, d’un coté, et la police de l’autre, alors qu’une politique pénale juste, et efficace veut l’union entre les deux.
L’introduction des jurés dans le tribunal correctionnel est un gadget qui n’aboutit à rien, sauf à ralentir les procédures et à aggraver leurs coûts ;
- Les « peines planchers », les diminution des possibles mises en liberté des « récidivistes » sont des nécessités, mais sans véritable effet sur le fond du problème, qui est l’échec du « tout pénitentiaire ».
- Les « interventions » du pouvoir dans les affaires « politico-financières », par le jeu des nominations de magistrat ont donné une mauvaise image qui contribue à la désaffection du justiciable à l’égard de la « justice de son pays ». le scandale des rapports (!) entre le Procureur de Nanterre, Philippe Courroye, et la Présidente de la 15ème chambre correctionnelle du même tribunal, Isabelle Prévost-Despresz, n’est pas digne d’une justice bien gouvernée.
Au lieu de procéder aux nominations comme cela est prévu, par la Constitution, en se faisant assister du Conseil supérieur de la magistrature que, normalement il doit présider, le président de la république est passé outre à l’avis défavorable de ce Conseil supérieur, pour nommer un « homme à lui ». Les effets néfastes sont lourds de conséquences.
Dans l’état actuel, les magistrats (et le monde judiciaire dans son ensemble) sont dans un état de très grand mécontentement, sans aucune foi dans l’avenir (et donc sans autre préoccupation, au-delà de leurs fonctions quotidiennes, que de « gérer leur avancement ». Heureusement, le poids de leurs affaires quotidiennes suffit à les absorber, à les fatiguer et à leur donner, ave la satisfaction du devoir accompli, le désintérêt pour ce qu’il faudrait faire.
Malgré des effets verbaux, le justiciable est éloigné de sa justice dans la mesure où il ne la voit pas. Il y a une fonction de présence des édifices judiciaires, du rôle des juges, … totalement oublier depuis des décennies et rien, pour l’instant, ne vient combler cette distance.
Qui applique les décisions de justice ? ce que nous faisons a-t-il un sens ? Ces questions qui renvoient le juge à une interrogation fondamentale ont aujourd’hui presque sans réponse.
Réformes nécessaires
La justice est une fonction régalienne. Le Président de demain pourrait appliquer simplement la constitution, sans déléguer ses fonctions, mais en considérant qu’elles font partie intégrante du rôle que lui assigne cette Constitution. Ce serait déjà immense.
Concrètement, il faudrait choisir,
- Ou, il a un vrai garde des sceaux, qui est son conseiller privilégié, son ministre, pour la justice, et il le garde, le même, pendant le quinquennat, alors on peut espérer faire quelque chose.
- Ou, il considère que le ministre est un ectoplasme et alors il assume, officiellement, en prise directe, ses fonctions. Le système de gouvernement actuel de la justice est un non-système qui signifie seulement un immense désintérêt, pour ne pas dire plus, à l’égard de l’institution.
En résumé, il suffirait que le Président assume les fonctions prévues par la Constitution,
- Garantir l’indépendance de l’autorité judiciaire,
- Présider le Conseil supérieur de la magistrature
- Nommer aux grandes fonctions,
- Accomplir cette tâche en accord total avec un ministre qui le guide, le conseille, prépare sa tâche, pendant cinq ans.
- Au moins, doubler le budget … passer de 0.19% de PIB à 0.38% (qui est le taux de l’Allemagne). Deux fois plus de magistrats, de greffiers, de personnels … C’est la division par deux des délais de justice … et c’est aussi, pour le monde judiciaire, passer de la misère à l’aisance … d’où un élan, un enthousiasme, une confiance qui peuvent décupler l’efficacité.
- Repenser totalement la politique de la sanction. Nous vivons sur une utopie du « tout-prison ». La prison devait être la sanction, à la fois, punitive et éducative…. Cette théorie, développée surtout pour lutter contre la peine de mort, et les peines corporelles, a obtenu son effet : ces peines ont été supprimées. Mais elle manifeste aujourd’hui ses limites : la prison ne résout rien, et, de manière générale, la prison corrompt.
Heureusement, les hommes et les œuvres en contact avec le monde des délinquants ont poursuivi leurs réflexions. Des solutions alternatives sont proposées, qui vont, de l’idée du recours exceptionnel et contrôlé, mais possible, dans les cas limités à la peine de mort, jusqu’à l’organisation, plus systématique, des travaux d’intérêt général, et au rétablissement de certaines peines corporelles … Surtout la notion de « justice réparatrice » commence à s’imposer.
Le moment est venu, pour l’Etat d’ouvrir un grand chantier de réflexion sur la réforme, non de la procédure pénale, mais du Code pénal, et de la nature des peines. Le « tout-prison » a fait son temps et ne l’a pas réussi. Il n’y a aucun système parfait, nous le savons. Mais, il est nécessaire d’adapter, sans cesse, le système pénitentiaire aux circonstances d’aujourd’hui. Les compétences pour réfléchir et proposer sont nombreuses. Encore faut-il qu’elles soient invitées à le faire et que leurs réflexions ne restent pas lettre morte.
En définitive, c’est une volonté politique qui est ici nécessaire pour doter la France d’un système pénal digne de sa réputation de nation éprise de justice et de dignité.
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