Le 11 octobre 1962, il y a quarante ans s'ouvrait à Rome le concile Vatican II. D'emblée, Jean XXIII annonce la couleur : " Notre devoir n'est pas seulement de garder ce précieux trésor comme si nous n'avions souci que du passé, mais de nous consacrer, résolument et sans crainte, à l'œuvre que réclame notre époque, poursuivant ainsi le chemin que l'Église parcourt depuis vingt siècles.

" C'est la relation entre l'homme et le Christ qui sera au cœur de l'enseignement du Concile. La mission du baptisé laïc s'en trouvera sensiblement approfondie, notamment dans sa dimension politique.

Pour le chrétien, l'action dans le champ politique ne peut être logiquement pensée que comme un témoignage apostolique. Telle est sa vocation très fortement soulignée dans les textes du Concile Lumen gentium, Gaudium et Spes et singulièrement le décret Apostolicam actuositatem sur l'apostolat des laïcs. Le 30 décembre 1988, l'exhortation Christifideles laici reprit dans une synthèse d'une grande vigueur l'ensemble des perspectives conciliaires.

La politique y est considérée comme un champ d'action comme un autre, où les laïcs chrétiens participent par vocation propre à la mission de l'Église qui est " d'étendre le règne du Christ à toute la terre, pour la gloire de Dieu le Père " (AA, 3). Il semble donc qu'il n'y ait pas à première vue rien de problématique en soi dans cette vocation des laïcs, ce qui ne signifie pas pour autant qu'il soit facile. Pourquoi dès lors cette insistance particulière de Vatican II et des textes qui l'on suivi à définir la vocation des laïcs au sein de l'Église ?

Le magistère saisit comme quelque chose de nouveau à côté du mandat officiel confié à certains mouvements de laïcs, et des méthodes élaborées par les mouvements d'Action catholique. Les laïcs sont de manière pressante invités à agir individuellement ou collectivement selon une libre organisation et à exercer leur mission, avec leur conscience pour guide (AA,5). La hiérarchie reste toujours présente pour fournir une assistance spirituelle, une référence doctrinale et une appréciation de conformité à la mission de l'Église, mais l'existence de groupements libres est explicitement reconnue, pratiquement comme une nécessité apostolique (AA, 18).

Le champ politique dispose, il est vrai, d'une juste autonomie dans son ordre propre de rationalité. Saint Thomas l'avait très clairement identifiée au titre de l'ordre naturel. Mais cette autonomie n'est juste que dans la mesure où est reconnue la dépendance des créatures à l'égard des Créateurs. Les choses créées dépendent de Dieu, proclame le Concile, et l'homme ne peut en disposer sans référence à Dieu " (GS, 36).

Or c'est bien là qu'il y a aujourd'hui problème.

La rationalité de la société politique moderne tend non seulement à devenir païenne, mais encore à obéir à des logiques réductrices, notamment scientifiques et donc anthropologiquement fausses. Plus sournoisement, il s'agit de singer la foi elle-même. Le paganisme et ses différentes formes d'idolâtrie sont relativement faciles à identifier. Il en va de même pour le scientisme réducteur qui ne reconnaît de réalité humaine que physique. En revanche le plagiat de la foi prend le chrétien plus subtilement à rebours. Il en va ainsi quand le pouvoir politique prétend donner accès légalement , en dehors de la foi, aux perspectives dégagées par saint Paul : " Vous tous en effet, baptisés dans le Christ, vous avez revêtu le Christ : il n'y a ni Juif, ni Grec, il n'y a esclave ni homme libre, il n'y a ni homme ni femme ; car tous vous ne faites qu'un dans le Christ Jésus " (Gal. III 27,28). Faut-il des exemples. Les confusions législatives sur la nationalité, l'autorité dans la cité et sur la famille parlent d'elles-mêmes.

Si la politique a de tout temps été très naturellement un champs d'apostolat, elle devient de plus en plus un problème pour l'apostolat lui-même, un peu au même titre que le cardinal Daniélou avait pu dire que " l'oraison est un problème politique ", c'est-à-dire une pierre d'achoppement.

Que disaient les pères conciliaires ? " À une époque où se posent des questions nouvelles et où se répandent de très graves erreurs tendant à ruiner radicalement la religion, l'ordre moral et la société humaine elle-même, le Concile exhorte instamment les laïcs, chacun suivant ses talents et sa formation doctrinale, à prendre une part plus active selon l‘esprit de l'Eglise, dans l'approfondissement et la défense des principes chrétiens comme dans leur application adaptée aux problèmes de notre temps. [...] C'est le travail de toute l'Eglise de rendre les hommes capables de bien construire l'ordre temporel et de l'orienter vers Dieu par le Christ. Il revient aux pasteurs d'énoncer clairement les principes concernant la fin de la création et l'usage du monde et d'apporter une aide morale et spirituelle pour que les réalités temporelles soient renouvelées dans le Christ. Les laïcs doivent assumer comme leur tâche propre le renouvellement de l'ordre temporel. " (AA, 6-7).

Le magistère souligne donc sa confiance dans cet engagement des laïcs sans définir les méthodes pratiques de l'apostolat et les solutions à dégager, car c'est une mobilisation générale. C'est bien parce que la société humaine est en danger aujourd'hui que doit être mobilisé un apostolat nouveau dans une vie politique qui exige une bonne formation philosophique, singulièrement anthropologique, ainsi qu'une bonne formation de la foi chrétienne. " C'est en effet l'homme qu'il s'agit de sauver, écrit le Concile, la société humaine qu'il faut renouveler. C'est donc l'homme, l'homme considéré dans son unité et sa totalité, l'homme, corps et âme, cœur et conscience, pensée et volonté... " (GS, 3). Une très lourde responsabilité reconnue aux laïcs correspond à cette nécessité de l'apostolat actuel qui passe prioritairement par la réaffirmation au cœur même de la politique d'une anthropologie véridique n'amputant pas l'homme de la plénitude de ses dimensions, et ne falsifiant pas non plus le réalisme de cette anthropologie.

C'est bien aux laïcs eux-mêmes qu'il appartient de faire reconnaître par l'autorité politique la dimension plénière de la personne humaine. C'est leur vocation propre de laïcs placés par nature au cœur de la cité d'y exercer leur responsabilité par leur inspiration et leurs charismes propres, tant individuels que collectifs : " Que les catholiques compétents en matière de politique, affermis comme il convient dans la foi et la doctrine chrétienne, ne refusent pas la gestion des affaires publiques car ils peuvent par une bonne administration travailler au bien commun et en même temps préparer la route à l'Évangile " (AA, 14).

Cette mission dépasse bien sûr leur compétence purement naturelle, car l'anthropologie complète dont a besoin la société politique aujourd'hui est plus que jamais celle de l'homme parfait. La vocation de laïcs est bien celle de la préparation d'un avènement. " Le Verbe de Dieu, par qui tout a été fait, s'est lui-même fait chair, afin que, homme parfait, il sauve tous les hommes et récapitule toutes choses en lui. Le Seigneur est le terme de l'histoire humaine, le point vers lequel convergent les désirs de l'histoire et de la civilisation, le centre du genre humain, la joie de tous les cœurs et la plénitude de leurs aspirations. "

Bernard Seillier est sénateur-maire de Séverac-le-Château (Aveyron), administrateur de la Fondation de Service Politique.