De prime abord, je serais plus tôt de ceux qui pensent que le voile, islamique ou pas, est une bonne manière de faire un pied de nez à la société actuelle.

J'aurais plutôt de la sympathie pour des filles qui ont le cran de s'affirmer face à l'establishment. Et je me sentirais en sympathie avec des gens qui ont des convictions fortes, ce qui est décidément insupportable à notre Occident post-moderne qui a tout affaibli et qui ne tolère le religieux que comme opinion privée à ne surtout pas manifester en public.

Je serais même porté à penser que ceux qui s'insurgent aujourd'hui au nom de la dignité de la femme ont oublié de s'insurger quand la publicité, la mode, le spectacle exhibent à longueur de journée le corps féminin, le prostituent, le banalisent, au profit du désir de l'homme : s'il faut choisir entre la femme voilée et la femme dévoilée, je choisirais comme saint Paul (1 Corinthiens 11,10) le voile, comme signe non de soumission (qui a inventé cette stupide traduction ?), mais comme marque de liberté intérieure (exousia dans le texte grec).

Pourtant, à y regarder de plus près, le problème n'est pas si simple. Par un curieux revirement, des laïcistes bien connus (ceux de la LCR, par exemple) militent aujourd'hui pour la tolérance du voile islamique. Leur raisonnement est simple : respectons la liberté jusqu'au bout, n'excluons personne, si certains ou certaines, au nom de leurs convictions, veulent s'habiller de telle ou telle manière, la société n'a pas à y intervenir. On considère donc que certains comportements (vestimentaires en l'occurrence) font corps avec l'appartenance religieuse et comme on ne reconnaît pas à la société le droit d'intervenir en ce domaine, on tolère, mieux on officialise, des pratiques en discordance avec les mœurs de notre pays, voire avec sa législation (cf. l'acceptation tacite de la polygamie, pourquoi pas de l'excision ?).

Le libéralisme à cette extrémité ne s'accommode finalement pas si mal des religions, perçues comme particularités culturelles, amusantes ou émouvantes, mais dans le fond insignifiantes. L'universel respect cache l'universel désintérêt. Mais aussi un laisser-faire qui risque d'avoir des conséquences. Le laïcisme de Clemenceau avait un soubassement éthique : pour lui, il y avait des valeurs à faire respecter. Le libéralisme actuel n'en a cure. C'est pourquoi il est plus dangereux : il risque de livrer sans défense des femmes, des hommes ou des enfants à l'arbitraire d'un pseudo-religieux qui peut se révéler destructeur. Pour quelques femmes qui ont choisi le voile par conviction, combien seront contraintes demain de le porter sous la pression d'un milieu étouffant ?

Laissons donc à la loi française le soin de se prononcer et, s'il le faut, de sévir. Mais nous, catholiques, ne nous trompons pas de cible. Au risque de choquer, je dirais que ce n'est pas l'islamisme que nous avons à craindre. Celui-ci porte en lui-même ses propres contradictions, en France et ailleurs, il entretient un rapport faux avec la société de consommation : sous des dehors de rigueur morale, il nourrit une secrète convoitise pour un mode de vie auquel bien peu échappent lorsqu'ils le peuvent, ses maîtres ne sont pas des chefs spirituels, mais, à de très rares exceptions près, des juristes et des politiques, incapables de fonder la possibilité d'un authentique renoncement fondé sur l'amour de Dieu. Cela veut dire qu'à terme, la société de consommation et sa forme idéologique, la libéralisme relativiste, finiront par grignoter et absorber l'islamisme, à moins que leurs propres jours ne soient comptés, ce qui peut aussi arriver. C'est ce qui explique la tolérance dont l'Islam est l'objet en France, en ajoutant que son succès permet de contester toujours plus la position officielle de l'Église catholique comme religion de la majorité des Français.

De toute façon, ce n'est pas l'islam qui menace le christianisme, c'est notre propre faiblesse spirituelle. Si nous étions capables de fonder une véritable alternative à la société de consommation, celle-ci serait irrésistible et finirait sans doute par rallier les meilleurs de nos frères musulmans.

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