Le Figaro a croqué avec cruauté le discours de politique générale de Jean-Pierre Raffarin : "Les mots étaient cette fois ceux d'un exécutant résigné. [...] Bien que le propos du Premier ministre n'ait pas dépassé la demi-heure, les bavardages ont progressivement pris le dessus.

Une séance qui ne fera pas date." Quoi que l'on pense des capacités de Jean-Pierre Raffarin à gouverner la France - et au cours des deux dernières années l'auteur de ces lignes s'est forgé à ce sujet une opinion mitigée - il convient de saluer le courage d'un homme qui accepte de porter un fardeau devenu singulièrement lourd.

Avec Jacques Chirac comme président de la République, disons-le tout net : J.-P. Raffarin n'est pas gâté. Ses marges de manœuvre sont étroites : entre la démagogie d'un Prince qui trouve confortable de promettre monts et merveilles à tous ceux qui tendent leur sébile, et le Pacte de stabilité européen qui nous impose de regagner le passage clouté budgétaire dont nous sommes sortis, le Premier ministre est comme entre le marteau et l'enclume. Pour comble de malchance, il a succédé à des démagogues de gauche qui ont assimilé à une "cagnotte" la réduction du déficit provoquée par la croissance dont ils ont bénéficié, si bien qu'il a abordé la période dépressive du cycle conjoncturel sans possibilité véritable de respecter les critères de Maastricht. Et la croissance ne repart, pour l'heure, que mollement.

Ne tirons donc pas sur l'ambulance. Essayons plutôt d'estimer les chances que la France a, dans le contexte actuel, d'effectuer quelques-unes des réformes qui sont nécessaires.

Et en premier lieu, celle de l’assurance maladie.

Le problème est délicat. Alors que les spécialistes savaient ce qu'il aurait fallu faire en matière de retraites - mais ils n'ont été écoutés par la droite qu'avant les élections présidentielles et législatives, les nouveaux maîtres de la République ont pensé après qu'elle n'avait pas besoin de savants - nul ne connaît les remèdes à mettre en oeuvre pour l'assurance maladie. On sait que d'importants gains de productivité sont réalisables au niveau hospitalier, mais il s'agit là de réalisations de terrain, qui ne se décrètent pas, qui ne dépendent pas du législateur ni de l'autorité réglementaire, même si quelques ajustements normatifs sont nécessaires.

On sait aussi que l'augmentation des dépenses liées à la santé et au bien-être physique répond à une demande dont la croissance n'est pas prête de s'arrêter ; cela signifie que le vrai problème n'est pas de contingenter les soins, mais de sortir leur financement du giron des prélèvements obligatoires. Le but à poursuivre est de pouvoir un jour se réjouir de l'augmentation du chiffre d'affaire du secteur de la santé comme on se réjouit de celui du cinéma ou de l'automobile. Seulement, avant d'engager des réformes dans ce sens, il faudrait avoir étudié le problème.

L'excellent Fragonard (président du Haut conseil pour l'avenir de l'assurance maladie, Ndlr), dont la brillante intelligence s'épanouit au milieu des labyrinthes et des usines à gaz, n'est évidemment pas l'homme d'une telle mission : l'habileté à jongler avec la complication est différente de l'intelligence systémique. La procédure des ordonnances n'aurait pas donné grand chose, tout simplement parce que le gouvernement n'a rien à mettre dans ces textes qui ressemble à une vraie réforme de l'assurance maladie allant dans le sens assurantiel. La procédure parlementaire classique ne donnera rien de plus, si ce n'est d'interminables discours succédant à des "concertations" avec les partenaires sociaux. Le diktat présidentiel eut été fort gênant si le gouvernement Raffarin II avait élaboré une stratégie que Raffarin III aurait eu à mettre en oeuvre, mais comme, à notre connaissance, une telle stratégie n'existe pas (sinon, pourquoi aurait-on changé de ministre de la Santé?), il n'y a pas d'inconvénient majeur à amuser la galerie en lui offrant une discussion parlementaire.

On parle beaucoup de politique-spectacle. À défaut que les Français bénéficient d’une politique de la "Sécu", François Bayrou a obtenu du Président qu’ils ne soient pas privés d’un spectacle syndical et parlementaire ; c'est cela l'exception culturelle française.

Famille

Famille, j’écris ton nom, mais Raffarin, lui, ne l’a pas prononcé. Intéressante omission. Il y a fort à parier que, sur ce chapitre, le discours de politique générale indique très exactement ce qui va se passer au cours des prochains mois.

Décentralisation

Là aussi, pas un mot. Après que l’examen du projet de loi par l’Assemblée ait été retardé de quelques jours, ce silence laisse-t-il présager des remises en cause ? Onze milliards d’euros à transférer à des régions qui viennent de virer à gauche toute, et à des départements dont plus d’un est passé du bleu au rose, ce n’est pas négligeable, et c’est douloureux pour un homme de droite. Cette douleur a-t-elle conduit le Premier ministre à lire dans la nuit l’excellent pamphlet de Roland Hureaux, les Nouveaux Féodaux ?

À quelque chose malheur serait bon. Car il est temps de dire que le roi est nu : depuis les lois Deferre, la mise en place de nouveaux échelons politiques s’est traduite par une explosion du nombre des employés des collectivités locales (de 530.000 en 1977 à 1.740.000 aujourd’hui), devenus fonctionnaires, sans que le nombre des agents de l’État ait diminué en contrepartie. La corruption a fortement progressé, la politisation généralisée empoisonne le climat, et les Français se lassent d’avoir à voter en moyenne quasiment tous les ans. Et tout cela majore les prélèvements obligatoires (ou le déficit budgétaire, puisque nos gouvernement n’ont pas le courage de prélever la totalité de ce qu’ils dépensent) d’environ 4 points de PIB. Il est dommage que Raffarin n’ait pas dit cela dans son discours de politique générale : au moins les députés n’auraient pas bavardé et baillé aux corneilles.

Emploi

Nous allons avoir une loi. Chacun sait que c’est à coup de lois que l’on crée des emplois. Sauf les économistes libéraux, qui cherchent plutôt à évaluer le nombre de postes que permet de créer la suppression d’une page de JO. Mais au fait, l’homme qui veut marier Avantis comme on marie les filles en Inde ou en Arabie Saoudite est-il un libéral ?

Intermittents du spectacle et chercheurs

Vous aurez des sous ! Il n’y en a pas en caisse, mais on vous en trouvera, il suffit visiblement pour cela de faire ce que le président de la République a dit de faire : baisser les impôts ! Blague à part, ce n’est pas tellement d’argent dont ces professions ont besoin, mais de missions clairement définies, et d’une organisation cohérente de leur travail.

Un exemple : des milliers de chercheurs en sciences humaines et sociales sont dans la situation des ex-cadres dirigeants mis au placard, à la différence que le leur est moins doré. Personne ne compte sur eux, personne n’a réellement besoin d’eux, et c’est pour cela qu’ils ont du vague à l’âme. Qu’on leur donne des directeurs de labos entreprenants, des objectifs utiles à la société, que l’on récompense ceux qui bossent et que l’on écarte ceux qui n’ont pas l’intelligence requise : alors, à budget égal, nous aurons une recherche qui servira à faire progresser la France et l’humanité.

EDF-GDF

Confirmation de ce que nous savions déjà, la clé du changement de statut se trouve dans nos poches, que les euros gonflent exagérément : nous payerons les retraites de ces messieurs (et de quelques dames), moyennant quoi ces établissements publics devenus sociétés anonymes pourront affronter la concurrence internationale sans avoir à changer le statut archaïque de leur personnel.

Le poisson pourrit par la tête

N’accablons pas le Premier ministre. Il a souvent été comparé à un directeur de cabinet du président de la République, et ce n’est pas totalement faux. Il applique des consignes. Si réellement ses mots " étaient cette fois ceux d’un exécutant résigné ", cela me fait l’effet de ce que l’on appelait, dans un ciel gris, une " culotte de gendarme " : l’espoir d’un rayon de soleil qui viendrait percer les nuages. Quand le grand vizir cesse de croire au bien fondé des directives abracadabrantesques que lui donne le sultan, on peut se prendre à rêver que même les godillots, un jour, se mettront à penser avec autre chose que leurs pieds. La lecture de Décryptage pourrait les y aider.

Jacques Bichot est économiste, professeur des Universités. Il vient de publier Sauver les retraites. La pauvre loi du 21 août 2003, L'Harmattan, déc. 2003.

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