Parmi les raisons qui expliquent le vote sanction à l’encontre du gouvernement du 21 avril dernier, réitéré par les électeurs le 28, on ne saurait négliger la rancune des 300 000 chômeurs brusquement privés de l’allocation spécifique de solidarité, parmi lesquels beaucoup avaient voté à droite aux dernières élections législatives.

Sans doute notre système social, qui privilégie l’assistanat, est-il le lieu de nombreux abus, mais ce n’est pas avec des mesures brutales comme celle-là qu’on le rendra plus efficace. D’autant qu’il était peu opportun de la prendre au moment où la courbe du chômage repartait à la hausse.

Pour une économie budgétaire mineure, le gouvernement s’est attiré l’hostilité non seulement des intéressés, mais de leur famille, de leur entourage et de tous ceux que cette mesure a choqués.

Sur d’autres sujets, le gouvernement Raffarin a également paru faire une politique " de classe " comme disaient les marxistes, moins au détriment des salariés à statut dont les privilèges sont bien connus, que des laissés pour compte. La réduction de l’impôt sur le revenu, justifiable – et même indispensable - si on avait réussi en même temps à réduire les dépenses publiques, ne pouvait que susciter un sérieux malaise allant de pair avec une hausse de la taxe sur les carburants et de la plupart des impôts locaux, lesquels, à la différence de l’impôt sur le revenu, pèsent d’abord sur les revenus modestes. L’exonération fiscale des fonds de pension, au bénéfice desquels ne peuvent prétendre ceux dont la capacité d’épargne est réduite, va dans le même sens. Supprimer les bonifications dont bénéficiaient au moment de la retraite les femmes fonctionnaires ayant élevé des enfants est apparu aussi injuste qu’absurde : comment ne pas penser que ce gouvernement préférait que les Français, pour préparer l’avenir, fassent des épargnes plutôt que des enfants (alors que notre épargne est surabondante et que nos naissances sont insuffisantes) ?

Un marxiste trouvera normal qu’un gouvernement de droite, dit " libéral ", se comporte de cette manière. Mais tout cela n’est que bénéfices à la marge pour les uns et brimades inutiles pour les autres.

Les vraies réformes libérales nécessaires à notre pays : réduction des effectifs de la fonction publique, fin des privilèges de certaines catégories de salariés protégés, réforme de l’Éducation nationale, n’ont, elles, aucunement été entreprises. Et ce qui fut tenu pour la " mère de toutes les réformes ", la décentralisation, ne peut au contraire qu’entraîner une nouvelle hausse des impôts. Il y a deux France, dit à juste titre Jacques Marseille, celle qui travaille et entreprend – et vote plutôt à droite -, celle qui vit à l’abri de son statut – et vote plutôt à gauche -, auxquelles s’ajoute une troisième, celle des exclus : on a visiblement trouvé moins risqué de s’attaquer à cette dernière qu’à la deuxième, quitte à ramener ainsi les " pauvres " dans le giron de la gauche.

Quant à la seule réforme utile dont on puisse créditer ce gouvernement, celle des retraites, non seulement elle n’a jamais été bien expliquée (bonjour les spécialistes de la communication de proximité !) mais le Premier ministre a cru bon, dans les mois qui l’ont précédée, de se montrer assez souvent avec le Medef pour qu’on croie qu’il obéissait à ses injonctions et non point à la contrainte démographique.

En définitive, on a fait semblant d’être libéral, on ne l’a pas été.

Tout se passe comme si notre droite, dramatiquement vide d’idées, ne savait même plus ce qu’elle est, n’ayant d’autre identité que celle que lui confère la gauche : un gouvernement des riches – de riches peureux et velléitaires. Ce n’est pas par égoïsme de classe au premier degré que le gouvernement a multiplié les petites brimades envers les plus défavorisés, c’est parce qu’ il a cru naïvement que c’est comme cela que devait se comporter un gouvernement de droite ! La droite a ainsi docilement revêtu le costume que la gauche avait taillé pour elle.

Le résultat fut que les chômeurs et les petits salariés non protégés ont changé leur fusil d’épaule : eux qui ne votaient plus depuis belle lurette pour une gauche qui les avait trompés, (tantôt s’abstenant, tantôt allant aux extrêmes, en particulier vers le Front national), se sont remis cette fois à voter à gauche. Un nouveau lustre a ainsi été donné à la thématique usée de la lutte des classes. Une nouvelle coalition de ceux qui profitent le plus des blocages de la société française – les salariés à statut – et de ceux qui en pâtissent le plus – les travailleurs précaires – s’est constituée contre une droite d’une rare étroitesse d’esprit !

Contrairement à ce qu’on croit en France, le vrai libéralisme a un objectif éminemment social : créer des emplois, élever le niveau de vie. Mme Thatcher eut même l’audace de vendre à bas prix les logements sociaux à leurs occupants, ce dont ils lui furent reconnaissants. Mais notre droite, prisonnière sans le savoir du discours de gauche, a confondu le libéralisme avec une politique sournoisement avantageuse pour les riches et dure aux pauvres - et globalement peu courageuse envers les vrais privilégiés. Et c’est ainsi que désormais le libéralisme est vu par l’opinion.

Les dégâts sont considérables. Alors que rien de sérieux n’a encore été entrepris pour lever les blocages de la société française, des mots comme réforme ou libéralisation, qui qualifient pourtant une politique nécessaire, sont devenus inaudibles, voire, pour une partie de l’électorat populaire, objets de rejet.

Dans notre pays saturé d’élections de toutes sortes, exceptionnellement trois années sans élections sont devant nous : nous les commençons avec un gouvernement confronté à des chantiers considérables, en premier lieu le rééquilibrage de l’assurance maladie, et déjà privé de toute légitimité. Sombre perspective.

Roland Hureaux vient de faire paraître Les Nouveaux Féodaux. Le contresens de la décentralisation, Gallimard 2004 (en vente sur www.libertepolitique.com).

Photo (c) AFSP-Luc Pâris.

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