En septembre dernier, s'est tenue à Saint-Domingue une rencontre organisée par le Conseil pontifical pour la famille et le Conseil épiscopal latino-américain (CELAM), sur " La situation et les perspectives de la famille et de la vie en Amérique ".

Alors que les législations s'ouvrent de plus en plus à la multiplicité des " modèles " familiaux, la déclaration finale, datée du 12 octobre, s'inscrit dans la tendance actuelle du Magistère de l'Église à rappeler le caractère naturel de la famille (1). Il importe de bien comprendre la raison d'être de cette tendance, qui fonde même le " droit à l'objection de conscience ", notamment " face à l'avalanche de projets de lois relatifs aux divers types d'unions de fait ".

Que la famille soit une communauté naturelle, c'est-à-dire nécessaire à la vie d'une société, n'est pas une découverte(2). En affirmant qu'une " société et une culture saines se reflètent dans la santé de la famille, dont elles se nourrissent ", et qu'inversement " une société et une culture malades donnent une famille faible et détériorée ", le CELAM reprend un enseignement on ne peut plus traditionnel : la place qu'une société ou une culture accordent à la famille est un bon test pour déterminer dans quelle mesure cette société ou cette culture sont au service de l'homme et de sa vocation.

Ce qui est en revanche plus neuf c'est la conclusion, en ce qu'elle exprime une préoccupation de l'Église : " L'avenir de l'humanité est impossible sans la reconnaissance et le respect des valeurs de l'institution naturelle de la famille. " " L'avenir de l'humanité ", voilà ce qui préoccupe le CELAM et qui justifie son intervention. Ce motif invite à réfuter une erreur couramment entendue et à dissiper une équivoque.

1/ L'erreur consiste à dire que les interventions de plus en plus fréquentes du Magistère sur la famille, la vie conjugale ou la bioéthique, sont le fruit d'une mentalité conservatrice et le signe d'un repli identitaire de l'Église. Si tel était le cas, le CELAM, tout comme Jean-Paul II, n'en appelleraient pas à l'avenir de l'humanité mais au respect de la valeur que les chrétiens attribuent au mariage et à la famille. Bref, le Magistère défend ici l'homme et non seulement le chrétien.

2/ Ceci amène à considérer l'équivoque qui peut être entretenue sur le motif de la déclaration. On pourrait penser, et l'on entend souvent que, le concile Vatican II ayant ouvert l'Église au monde et à ses préoccupations, l'Église aurait transformé la conception qu'elle se fait de sa mission : il s'agirait désormais pour elle moins d'évangéliser que de dialoguer, moins d'être apostolique que d'être une sorte d'assistante sociale de l'humanité.

Partant de là, on ne comprend plus pour quelle raison le Magistère n'accompagne pas avec souplesse les évolutions morales ou sociales actuelles : pourquoi s'attacher tant à la famille ? Pourquoi être si rigoureux en matière sexuelle et bioéthique ? Plus généralement, pourquoi continuer à privilégier des structures ou des comportements minoritaires, alors que le rôle " d'assistante sociale de l'humanité " consiste justement à ne pas s'immiscer dans les choix de vie, mais seulement à aider à bien les vivre ? En somme, dès lors qu'elle se lance dans un discours social, par souci de " l'avenir de l'humanité ", l'Église devrait se rendre compte qu'elle n'est plus dans son domaine premier, la foi au Christ, et par conséquent aligner son action sur celle des autres organismes internationaux.

Or cette appréciation du rôle de l'Église est en contradiction totale avec la manière dont l'Église comprend sa mission. Il suffit pour s'en convaincre de relire la constitution Gaudium et Spes du concile Vatican II (3). Lorsque le CELAM s'inquiète de la situation de la famille en Amérique et, en conséquence, de l'état des sociétés américaines, il ne dresse pas un constat sociologique mais un constat spirituel : les problèmes sociaux contemporains sont certes en premier lieu des problèmes politiques, mais ils ne peuvent trouver de solution convenable sans une claire vision de la nature humaine et de sa vocation surnaturelle. Rappeler le caractère naturel de la famille et son importance pour la survie de la société, n'est pour l'Église rien faire d'autre qu'évangéliser : témoigner du Christ, c'est indissociablement révéler à l'homme son identité et aux sociétés leur rôle, c'est indissociablement rappeler les principes fondamentaux sur lesquels la politique doit s'appuyer si elle veut servir la justice.

" L'avenir de l'humanité ", c'est le Christ (4), et il est de la mission de l'Église d'enseigner à tous, et pas seulement aux chrétiens, par quels chemins cet avenir passe. C'est pour cette raison qu'il est de la plus haute importance que les chrétiens ne se désintéressent pas de la politique ou du droit, et qu'ils s'y investissent non seulement par goût pour ces domaines mais pour accomplir ce à quoi ils ont été appelés lorsqu'ils ont été baptisés dans le Christ.

Pour les chrétiens, et singulièrement pour les fidèles laïcs, faire en sorte que la famille soit promue comme une réalité indispensable à la vie sociale n'est pas affaire d'opinion ou d'idéal politique, mais c'est une exigence de charité, vertu théologale de l'amour de Dieu et du prochain. C'est pourquoi, la déclaration demande aux responsables politiques " avec insistance, de trouver les solutions créatives en faveur de la famille et de la vie, qui trouvent place si possible dans une législation positive et organique ".

Le fr. Emmanuel Perrier op, est dominicain au couvent Saint-Thomas-d'Aquin de Toulouse.

(1) Voir http://www.libertepolitique.com/det_decryptage.php?id=133&theme=article&id_rubrique=13 ; et sur la valeur naturelle du mariage : http://www.libertepolitique.com/det_decryptage.php?id=1354&theme=article&id_rubrique=14

(2) Cf. Constitution Gaudium et Spes de Vatican II, notamment n° 47 et suivants.

(3) Notamment n° 42 et suivants.

(4) Gaudium et Spes, notamment n° 32.