Au moment même où le gouvernement français présente son projet de budget, la commission de Bruxelles vient de créer la surprise en accordant un délai de grâce aux pays ayant un déficit budgétaire.

Au départ, la règle était simple : non seulement les déficits étaient limités à 3 % du PIB depuis le traité de Maastricht, mais surtout les quinze avaient pris l'engagement de retourner à l'équilibre budgétaire au plus tard en 2004. La majorité des pays européens a fait ce qu'il fallait pour rentrer dans ce schéma et les budgets y sont équilibrés dès aujourd'hui, voire excédentaires. Mais certains pays ont eu plus de difficultés à rentrer " dans les clous ". C'est le cas du Portugal, dont le déficit a même dépassé les 3 %, de l'Italie, de l'Allemagne et enfin de la France. Dans ce dernier cas, le dérapage est sensible puisque le déficit du budget, qui devait atteindre 1,4 % du PIB, puis 1,8 %, est finalement de 2,6 % en 2002 et il devrait être le même en 2003 selon le projet de budget qui va être discuté au Parlement. C'est dire si nous sommes près de la zone limite et il suffirait d'un petit dérapage pour dépasser la barre fatidique des 3 %.

En tous cas, il était clair que la France aurait du mal à revenir à l'équilibre dès 2004, de même que l'Allemagne et ces pays avaient fait adopter l'idée, lors du sommet de Barcelone, de lier ce retour à l'équilibre à l'importance de la croissance. La France par exemple ne devait revenir à l'équilibre budgétaire que si la croissance dépassait 3 % ; comme ce sera loin d'être le cas, très probablement, nous étions déliés de notre promesse ; mais nous devions " faire de notre mieux " pour nous en rapprocher.

La Commission de Bruxelles vient de mettre ses propositions en harmonie avec la réalité des pays déficitaires en accordant un délai de grâce de deux ans, jusqu'en 2006. Mais c'est bien entendu reculer pour mieux sauter. C'est d'autant plus vrai qu'en cédant sur le délai, Bruxelles tient fermement le cap et même durcit l'application de la mesure : la règle des 3 % est strictement réaffirmée et un avertissement sera adressé au Portugal (façon de lancer un avertissement aux autres) ; de plus, des engagements précis doivent être pris pour réduire le déficit structurel de 0,5 % par an au moins et surtout pour ne pas employer le budget de manière " pro-cyclique " (en clair pour faire une politique de relance). Bruxelles met donc un peu plus de réalisme dans ses propositions, mais tient bon sur les finalités.

Cette décision appelle plusieurs observations. Tout d'abord, il est clair que la France — et les autres — étaient déjà privée de la possibilité de jouer sur la politique monétaire en raison de la monnaie unique : tout se décide à la BCE. Désormais, il en va de même pour la politique budgétaire et en cédant sur le calendrier, Bruxelles rappelle que les décisions se prennent désormais à son niveau. La France n'a pratiquement plus de marge de manœuvre pour sa politique budgétaire, elle aussi déterminée à Bruxelles.

Ensuite, Bruxelles semble condamner l'emploi du budget comme arme de relance de la demande : c'est, une nouvelle fois, la condamnation des politiques keynésiennes de relance par la consommation et les dépenses publiques. Or certaines déclarations du gouvernement Raffarin laissaient entendre que cela pourrait être une tentation dans le budget 2003. La France est ici aussi rappelée à l'ordre et ne pourra plus utiliser l'arme keynésienne de la relance budgétaire. Il est vrai que celle-ci avait fait preuve de son inefficacité partout dans le monde.

Enfin, tout cela n'enlève rien au fait, comme cela a déjà été souligné plusieurs fois ici même, que le retour à l'équilibre et la réduction de l'endettement public, tout à fait excessif, sont de toutes façons des priorités qui s'imposent, quelle que soit l'opinion de Bruxelles, et qu'on ne pourra pas y échapper. Or il est impératif aussi de réduire les prélèvements obligatoires, qui constituent aujourd'hui le principal obstacle à la croissance et à l'emploi. Si l'on veut diminuer les impôts et diminuer les déficits, il n'y a qu'une solution, incontournable, c'est de réduire les dépenses publiques (la même question se pose d'ailleurs pour les comptes sociaux, on le voit bien avec le déficit de l'assurance maladie).

Or c'est le domaine dans lequel le gouvernement a été le plus timide. C'est ainsi par exemple que le nombre de fonctionnaires ne diminuera en 2003 que de 0,05 %, alors que les marges de manœuvres existaient avec les nombreux départs en retraite. Autrement dit, délai de Bruxelles ou pas, la priorité absolue de la politique budgétaire française doit être de réduire le poids de l'État et plus précisément de diminuer les dépenses publiques. Cela nécessitera dans les années à venir beaucoup de courage politique et un budget autrement plus ambitieux que celui de 2003, qui, pour l'essentiel, ne fait que traduire la tyrannie du statu quo.

Jean-Yves Naudet est professeur à l'université d'Aix-en-Provence, président de l'Association française des économistes catholiques.