En France les organisations favorables à une culture de vie sont rarement soutenues par la hiérarchie de l'Église. Aux États-Unis, au contraire, l'action des associations pro life est coordonnée depuis trente ans dans un vaste plan pastoral adopté par la Conférence épiscopale.

Les résultats sont là.

Les péripéties qui ont entouré aux États-Unis, ces derniers mois, le renouvellement des membres de la Cour suprême américaine témoigne de la puissance acquise par la droite religieuse. Ce fut d'abord la nomination du nouveau président de la Cour suprême, J. Roberts Junior, puis le retrait sous la pression de la droite de Mme Harriet Miers, la candidate pressentie par le président Bush, au profit du juge Samuel A. Alito jr, 55 ans, dont le Sénat vient de confirmer cette semaine la nomination à vie. Cette victoire est assurément un tournant. Mais ces ultimes rebondissements permettent de mesurer la divergence de chemin des deux côtés de l'Atlantique depuis trente ans.

* En 1973, à Washington, la Cour suprême rend l'arrêt Roe Vs. Wave: les États-Unis légalisent l'avortement.

* En 1975, le Parlement français vote la loi Veil-Pelletier. Mais alors qu'en France les autorités religieuses adoptent un profil bas, outre-Atlantique la hiérarchie catholique et les responsables des Églises protestantes décident de mobiliser l'opinion pour inverser le cours des événements.

La conférence épiscopale des États-Unis se dote d'un "plan pastoral pour les actions en faveur de la vie". Dans ce plan révisé en 2001, on peut lire: "Les décisions concernant l'avortement prise par la Cour suprême doivent être inversées (reversed)". Pragmatiques, les catholiques américains n'en sont pas restés au niveau des déclarations de principe. Un véritable dispositif officiel a été mis en place. Dans un très grand nombre de paroisse, un comité pro-vie a été créé en lien avec le comité pro-vie diocésain. Ils ont pour objectif d'informer et de former au respect de la vie de la conception à la sénescence, mais aussi de protéger et de soutenir spirituellement, psychologiquement et matériellement, les jeunes femmes enceintes tentées par l'avortement. Une association "Prêtres pour la vie" est créée. Fortement encouragée par les évêques, elle compte aujourd'hui quarante-deux salariés.

Cet engagement de la hiérarchie américaine et des Églises évangélistes a permis de gagner aux États-Unis la bataille culturelle du respect de la vie. En dépit de quelques excès et des dérapages de certains militants trop musclés, l'opinion publique a changé d'attitude. Une majorité soutient aujourd'hui une politique en faveur du respect de la vie. Mme Roe qui avait été à l'initiative de l'arrêt de la Cour de justice, milite elle-même en faveur de l'abolition de l'avortement ! Une élue de la chambre des représentants déclarait récemment : "Lorsque l'arrêt Roe Wave est passé, j'ai pensé que la décision de libéraliser l'avortement était pour toujours gravée dans le marbre. Force est de constater que les choses ont bien changé depuis." Trois conditions ont permis de susciter ce courant puissant en faveur du respect de la vie :

1/ L'engagement résolu de quelques évêques. L'Église américaine, souffre, elle aussi, de graves difficultés. Une partie du clergé est dans un état lamentable. Onze mille cinq cents enfants américains ont été selon les dernières statistiques victimes d'abus sexuels de la part de prêtres catholiques... L'initiative pro life est venue, en fait, de quelques évêques entraînés par le cardinal O'Connor et d'une minorité de prêtres et de laïcs résolus. Ce sont eux qui ont donné l'impulsion initiale et le plan pastoral qu'ils ont fait adopter par la conférence épiscopale a porté ses fruits.

2/ Une approche globale, positive et pluridisciplinaire du problème. Le plan pastoral de l'Église des États-Unis n'est pas tant un plan de lutte contre l'avortement qu'un vaste programme de promotion du respect de la vie. Les opérations rescues très médiatisées ont été l'arbre qui cache la forêt. L'essentiel du plan à consisté à informer l'opinion, soutenir les femmes en détresses, venir en aide aux jeunes mères, favoriser une mentalité favorable à l'accueil de l'enfant. Le changement d'attitude de l'opinion américaine est la conséquence d'un travail de fond.

3/ Une organisation structurée et la volonté sans faille d'être unie. À la différence de la France où les milieux pro-vie ont souvent été divisés, les Américains ont toujours su, dans les moments importants, laisser leurs différences aux vestiaires. Protestants et catholiques se sont ainsi retrouvés au coude à coude pour faire avancer la cause de la culture de vie. Le fonctionnement de la collégialité à la française, et nos divisions gauloises ont empêché que ces conditions soient remplies.

Il n'y a pas si longtemps, un évêque français confiait qu'un jour l'Église de France aurait à faire repentance pour son attitude face au drame de l'avortement. La parution récente d'une brochure très éclairante sur les enjeux de la culture de vie, estampillée par la Conférence épiscopale française (Simples questions sur la vie, Lyon, Ed. Satisfecit, 6,65 €) montre que les choses sont peut-être en train de changer.

Quelques dates

1920 : "Loi réprimant la provocation à l'avortement et à la propagande anticonceptionnelle." La loi stipule que l'avortement est un crime passible de six mois à trois ans de prison, la contraception est également interdite.

1942 : Aggravation de la loi qui devient un crime contre l'Etat et la race. Des sages femmes et des infirmières sont condamnées aux travaux forcés. Ces lois sont abrogées à la Libération.

1956 : Marie-Andrée Lagroua-Weil fonde avec Evelyne Sullerot l'association La Maternité heureuse, avec l'idée que la contraception est un moyen de lutter contre l'avortement. L'association deviendra le Mouvement Français pour le planning familial, en 1960.

1967 (28 décembre) : Lucien Neuwirth fait voter une loi qui abroge les passages de la loi de 1920 pénalisant la contraception.

1968 : Publication de l'encyclique Humanæ vitæ de Paul VI. Le Nouvel Observateur publie le manifeste des 343 femmes qui déclarent avoir avorté.

1973 : La Cour suprême américaine rend l'arrêt Roe Vs. Wave: les États-Unis font de l'avortement un droit constitutionnel.

1975 : La loi du 17/01/1975 dite Loi Simone Veil relative à l'interruption volontaire de grossesse (IVG) est votée à l'essai pour cinq ans.

1979 : La loi Veil est reconduite (Loi Pelletier).

1982 : La loi du 31/12/1982 relative au remboursement de l'IVG non thérapeutique et aux modalités de financement de cette mesure est votée.

1993 (30 janvier) : La loi Neiertz crée le délit d'entrave à l'interruption volontaire de grossesse (elle vise les commandos anti-IVG).

2001 : Modifications de la loi Veil-Pelletier par Martine Aubry : allongement du délai légal de l'interruption volontaire de grossesse de dix à douze semaines de grossesse. La nouvelle loi permet également aux femmes mineures non émancipées de faire une demande d'interruption volontaire de grossesse sans le consentement de l'un de ses parents ou de l'un des titulaires de l'autorité parentale. Il est également inséré au Code de l'éducation un article prévoyant une information et une éducation à la sexualité (art.22).

2003 : 30 ans après la reconnaissance du droit à l'avortement par la Cour suprême, le sénat américain adopte à une très large majorité (64 votes contre 34) une loi restreignant pour la première fois le droit à l'avortement, en interdisant l'avortement tardif.

2006, 31 janvier : Dans son discours sur l'état de l'Union, le président George Bush se félicite de la baisse du nombre d'avortements. Ce chiffre n'a jamais été aussi bas depuis trois décennies. En 2005, dans le Tennessee, le nombre d'avortements a chuté de 7%, en Géorgie de 5 %, dans le Michigan de 11%. Dans les États du Tennessee, du Minnesota, de Washington, du Wisconsin, le nombre d'avortements est inférieur à ceux enregistrés il y a trente ans.

Le même jour, confirmation par le Sénat de la nomination à vie du juge Samuel Alito à la présidence de la Cour suprême, et, ainsi, de la majorité pro life de ses membres.

*Thierry Boutet est administrateur de la Fondation de service politique.

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