Nos Questions posées par la publication française du Catéchisme abrégé (Décryptage, 18 novembre) ont suscité des réactions exceptionnellement nombreuses. La plupart ont conforté notre recherche d'une plus grande transparence dans le service de l'Église.

CEC-abrégé

Le réseau des lecteurs de la lettre Décryptage a montré ici toute sa richesse : des précisions nous sont parvenues, parfois des réponses documentées aux questions laissées en suspens.

Nous avons aussi enregistré des objections, pour l'essentiel autour de deux thèmes : les contrats conclus et l'équilibre financier des éditeurs religieux. Quelques messages émanaient de l'entourage proche de ces éditeurs et nous ont apporté un éclairage interne qui, tout en illustrant les inquiétudes sur l'avenir économique du secteur, a largement confirmé notre analyse.

À tous nous adressons nos remerciements. Nous sommes d'autant plus redevables à nos lecteurs de nous avoir aidé à établir nos conclusions, que les éditeurs du Catéchisme abrégé ne sont pas restés sans réagir, et ont précisé leur position.

Le 21 novembre, le père Nicolas-Jean Sed, directeur général du Cerf, annonçait au nom du Consortium le lancement de deux séries de procédures judiciaires : l'une pour diffamation, l'autre pour contrefaçon et violation du contrat d'exclusivité à l'encontre des diffuseurs de l'"édition béninoise". Les informations données ce jour-là lors d'une conférence de presse — à laquelle nous n'avons été invités que le matin même — méritent d'être analysées en détail.

TROIS CONFIRMATIONS ESSENTIELLES

1/ L'équilibre économique général de l'édition du Compendium

Conduit à donner des chiffres précis, le directeur du Cerf a confirmé l'équilibre du modèle que nous avions exposé, en dépit de quelques nuances : ainsi, à 1,55 euro par exemplaire, les coûts d'impression et de tirage sont un peu chers, et supérieurs à notre estimation (qui était de 1,28 euro) ; de même pour les coûts de distribution et de commercialisation à 38 % du prix de vente HT au lieu de 35 %. Mais rien qui modifie en substance notre calcul ni n'en change les conclusions, d'autant plus qu'il a lui-même chiffré la marge de l'éditeur à 4,60 euros par exemplaire... C'est dire l'importance d'un enjeu dont le total avoisine le million d'euros.

2/ Les droits d'auteur

Considérant qu'il n'y avait pas lieu d'en récuser le principe au bénéfice du Saint-Siège, nous avions intégré les droits d'auteur dans notre calcul, en faisant l'hypothèse d'un taux de 10 %. Leur existence et leur taux ont été formellement confirmés. Ces droits sont versés à l'Administration du Patrimoine du Siège apostolique (APSA). Mais d'autres informations ont été données, soit lors de la conférence de presse, soit en provenance d'autres sources, de sorte que la déclaration du Cerf pose deux problèmes.

Tout d'abord le Cerf y ajoute des droits de traduction à hauteur de 0,10 euro par exemplaire (soit 0,60 %) ainsi qu'un prélèvement de même montant qualifié de "service ecclésiastique". Or la traduction de l'Abrégé a été intégralement faite à Rome qui a fourni le texte officiel en français (cf. le site de la Congrégation pour le clergé) : que représente donc le premier ajout ? Quant au second, sa nature et sa cause ne répondent à rien de connu et posent davantage de questions qu'elles n'éclairent le sujet.

Notre perplexité est d'autant plus grande qu'en réalité les droits d'auteur versés au Saint-Siège ne s'élèvent pas à 10 %. De source sûre et preuve en mains, nous savons aujourd'hui que ces droits ont été modulés pour tenir compte des capacités contributives des différents pays, de la façon suivante : 10 % pour les pays d'Amérique du Nord, 7 % pour les pays européens et 1 % pour les pays africains (niveau symbolique conforme aux pratiques internationales).

Entre les 7 % versés au Vatican par les éditeurs français et les 10 % déclarés par eux, l'écart est notable et doit désormais être expliqué. Nous avons également appris que la publication de certains documents officiels du Magistère fait l'objet de "contrats de direction" conclus avec la Conférence épiscopale, assortis d'un droit compris entre 1 et 3 %. C'est la fourchette habituelle de rémunération des apporteurs d'affaires dans l'édition. Bien qu'un tel mécanisme puisse parfois suggérer des comportements critiquables, on admet volontiers qu'en certaines hypothèses la CEF soit fondée à y recourir pour la mise en relation des éditeurs avec le Vatican. Mais, tout en confirmant expressément le principe de ces contrats, le directeur général du Cerf a néanmoins démenti leur mise en œuvre au sujet du Catéchisme abrégé.

Alors, où se trouve la différence ? Plus que le montant (toutefois non négligeable : 100.000 euros sur la totalité du tirage), c'est la notion même qui soulève une question de transparence et de bonne "gouvernance" : si ces "contrats de direction" sont justifiés par la réalité des choses et s'ils ont bien été conclus avec la CEF, pourquoi les occulter ? Sinon, avec quelle autre institution et pourquoi ?

3/ L'édition béninoise n'est pas une édition pirate

Ce qui en a été dit tout au long de cette affaire contrevient à la réalité. La Conférence des évêques du Bénin avait le même droit que la Conférence des évêques de France à faire éditer le Compendium, avec le même texte et dans la même langue, revêtu du même caractère officiel que l'édition française. Que l'éditeur béninois à qui elle s'est adressée en ait sous-traité la réalisation en France, et à des prestataires techniques étrangers au monde de l'édition religieuse (les marques qui figurent sur l'ouvrage en font foi), devrait plutôt nous réjouir quant à la capacité de cette profession à réaliser un produit tout à fait présentable à petit prix ; prix qui ne s'explique pas seulement par la différence du taux des droits d'auteur, loin s'en faut, et ce, malgré un tirage beaucoup plus réduit puisque proportionné au marché cible qui inclut le Cameroun (30.000 exemplaires selon l'imprimeur lui-même).

La présentation qui a été faite de cette édition par les éditeurs catholiques "officiels" et les médias qui l'ont relayée, utilisant les termes d'"édition-pirate" et de "contrefaçon" n'est pas exacte ; elle est en outre désobligeante par ce qu'elle suggère. On a ainsi prêté à l'éditeur béninois une marge bénéficiaire qui n'a pas de sens : pour un prix public de 7 euros, sa marge a été chiffrée à 5,20 euros par exemplaire. Mais ce calcul ne tient compte en réalité que des coûts d'impression et de tirage ; sur les mêmes bases, la marge des éditeurs français est de 15,50 euros.

VRAIS ET FAUX PROBLEMES

L'argument juridique tiré du contrat d'exclusivité est hors-sujet

Le contenu du contrat d'exclusivité se situe au niveau des moyens et non du fond : le véritable problème, c'est celui du choix économique et financier posé par les éditeurs français.

À dire vrai, rien de tout cela ne se serait produit sans la différence considérable des prix de vente entre l'édition française officielle et l'édition béninoise qui a créé un appel d'air irrésistible : il est regrettable que les éditeurs français n'aient pas ouvert les yeux sur cette réalité qui n'eût pas vu le jour s'ils avaient fabriqué une édition populaire à bas prix, comme l'ont fait leurs homologues européens. Or la faisabilité en a été amplement démontrée.

Pour autant, il n'est pas inutile de se pencher un instant sur l'aspect juridique.

D'abord pour relativiser la "distorsion de concurrence" invoquée : l'édition béninoise a été diffusée à toute petite échelle en France (quelques milliers d'exemplaires au plus), à comparer aux 200.000 de l'édition officielle. Ensuite, le principal canal de cette diffusion fut l'Internet et les commandes ont été livrées directement par l' importateur belge : ces faits soulèvent une question tenant à la portée des contrats d'exclusivité conclus sur des bases nationales. Dans un monde où les frontières sont largement ouvertes, et notamment au sein de l'Union européenne, il était inévitable que fût un jour posée la question de leur pérennité, et sans doute de leur validité au regard du droit européen de la concurrence. Les éditeurs religieux français ont-ils eu conscience qu'en saisissant les tribunaux, ils faisaient encourir un risque à toute la profession ?

Au demeurant, la médiation de la Conférence épiscopale ou du Saint-Siège comme cela s'est fait dans d'autres affaires comparables eût été préférable, pour ne pas dire canoniquement recommandée, a fortiori sur un litige portant sur la publication d'un texte du Magistère et qui aboutit à opposer indirectement deux conférences épiscopales par éditeurs et distributeurs interposés. S'en être affranchi constitue, en toute objectivité, une rupture de la communion d'autant plus regrettable que deux des trois éditeurs concernés sont la propriété de communautés religieuses (1).

L'équilibre financier des éditeurs religieux constitue-t-il une véritable objection ?

Un internaute, collaborateur d'un des trois éditeurs du consortium, résume bien la problématique : "Si on souligne les bénéfices faits avec l'édition du Catéchisme abrégé, on ne parle jamais des pertes accumulées par les mêmes éditeurs pour maintenir une édition religieuse. Pour l'un des trois éditeurs cités, le livre religieux représente chaque année 1,7 million d'euros de pertes financées par les bénéfices dans les activités profanes." Dans son principe, l'objection paraît recevable. Toute entreprise en effet vend des produits plus ou moins rentables, et maintient à son catalogue les moins profitables s'ils s'avèrent nécessaires à la complétude de sa gamme et au service de sa clientèle. Cependant, pour être retenue, elle devrait remplir trois conditions qui sont loin de l'être ici.

1/ La première concerne la transparence des comptes. Des trois éditeurs du consortium, seul Bayard met son rapport annuel en ligne sur son site. Fleurus-Mame ne communique que des informations sommaires sur son chiffre d'affaires. Et les éditions du Cerf sont muettes. La loi ne l'y oblige pas. Mais comment tenir pour légitime la revendication d'une péréquation entre ouvrages rentables et non-rentables aux yeux d'un public délibérément tenu dans l'ignorance de ce qu'on lui demande de subventionner indirectement ? Dans le monde économique où nous vivons, aucun client n'accepte plus d'être ainsi traité, sachant trop bien sur quelle pente cette mauvaise pratique entraîne les entreprises : la péréquation des produits ne fonctionne jamais bien sans une solide comptabilité analytique et de sérieux garde-fous qui retiennent de vendre durablement à perte. En outre, dans le contexte de cette affaire, chacun est en droit d'attendre davantage que le minimum légal de la part de maisons qui se présentent comme des institutions.

2/ La deuxième condition concerne le périmètre d'une éventuelle péréquation. Les éditeurs du consortium détiennent de solides rentes de situation : pour le Cerf, 80 à 90 % du marché français de la Bible ; le Cerf et Mame se partagent la quasi totalité du marché des missels, avec notamment l'édition annuelle du Missel des dimanches que détient le premier, les rituels officiels ainsi que les missels Journel et Magnificat chez le second ; Bayard publie Prions en Église ; même chose en ce qui concerne les catéchismes, avec Pierres Vivantes édité par le Cerf et le catéchisme de Lyon par Mame.

Personne ne doute de la profitabilité de ces marchés dont les produits, grâce à une durée de vie très longue, sont amortis depuis fort longtemps et bénéficient d'une clientèle récurrente et quasi-captive. Entrent-ils dans le calcul ? Manifestement non, car la réalité financière invoquée serait différente. En revanche, d'autres éditeurs, souvent jeunes et dynamiques, qu'ils soient liés à des communautés nouvelles ou non, investissent le domaine religieux et y gagnent de l'argent, apportant la preuve qu'il est aujourd'hui possible de faire vivre une édition religieuse, plus précisément catholique, avec compétence et transparence. Preuve qui renvoie les premiers à leurs structures d'exploitation.

3/ La troisième condition concerne spécifiquement la diffusion du Compendium : la volonté de l'Église, rappelée fortement par les papes, Jean-Paul II d'abord puis Benoît XVI, était de le mettre à la disposition du public le plus large. On songe notamment aux personnes dotées d'un faible pouvoir d'achat comme les lycéens, les étudiants et les collectivités qui voulaient s'approvisionner en grande quantité pour le distribuer à leurs membres. C'est ce qu'ont fait tous les éditeurs religieux, notamment européens et américains, avec un livre à moins de 10 euros, et à moins de 7 euros en Allemagne, ... sauf les Français.

S'abriter derrière la similitude du prix des romans de la rentrée littéraire n'est pas sérieux, ni quant au produit ni quant à son public. En réalité, le prix unique de 18 euros est indéfendable.

La fausse bonne idée du "service public"

Pour justifier sa politique éditoriale, le directeur du Cerf évoque une "obligation de service public" qui lui serait faite de publier nombre de "documents d'Église" coûteux et invendables. Cet argument a été largement repris. Il est invoqué par le service de la communication de la Conférence épiscopale qui a esquissé la même problématique.

Pour situer la portée de ce propos, il n'est pas inutile de consulter le site Internet du Cerf. Il comporte une rubrique "Documents des Églises" (sic) subdivisée en deux catégories : les documents qui s'adressent à un "public large", et ceux qui s'adressent à un "public spécialisé". La première comporte 60 titres (essentiellement les grandes encycliques récentes et les principaux documents du Magistère, mais aussi le Compendium que l'on se serait plutôt attendu à trouver sous la rubrique "catéchèse"), titres dont la plupart ont connu le succès et ont été profitables ; la seconde en comporte 88, d'origines et de contenus très divers, souvent techniques, couvrant à peu près tous les domaines de la pastorale, et dont l'audience demeure sans doute confidentielle dans de nombreux cas. En tout état de cause, voilà qui circonscrit la question à sa juste dimension, finalement assez réduite au regard des 6.000 titres figurant au catalogue de cette maison.

Peut-être les promoteurs de cette idée avaient-ils aussi en vue, comme cela a parfois été dit, les excellentes collections telles que celles des Pères de l'Église ou des grands maîtres spirituels (Sources chrétiennes). Pourquoi ? Parce qu'ils ne les publieraient pas d'eux-mêmes si leur réputation n'était en jeu ? Les professionnels du secteur savent que ces ouvrages sont pour la plupart anciens et amortis de longue date, et qu'une fois l'édition établie, les techniques modernes de tirage permettent d'en assurer le service à des conditions économiques acceptables. Ils sont d'ailleurs vendus à un prix qui est en rapport avec leurs caractéristiques. Si telle était réellement leur pensée, ce serait moins la notion d'un éventuel "service public" que celle de la conformité à une vocation qui serait en cause.

Au demeurant, cette piste conduit à une impasse. Si ce service public devait exister réellement, il suffit d'en dérouler la logique implicite et les implications :

1/ d'abord, celui de son champ qui devrait être élargi à la fois pour des raisons de fond évidentes et pour être déployé de façon économiquement viable : ne faudrait-il pas logiquement y inclure les Bibles, rituels, missels et ouvrages de catéchèse, c'est-à-dire tous les supports indispensables au culte et à la pastorale ?

2/ ensuite, celui de son mode d'exercice : la Conférence des évêques de France devrait en être l'exploitant et devenir titulaire des droits et des contrats, notamment de ceux conclus avec le Vatican, et en contrepartie rendre compte de sa gestion, non seulement aux évêques eux-mêmes, mais aussi au public catholique conformément aux principes qui régissent cette notion. Sous quelle forme ? Voie semée d'embûches !

3/ enfin, si la CEF ne souhaitait pas devenir elle-même éditeur (alors que les conférences épiscopales d'Amérique du Nord ont pris ce parti), il lui faudrait sous-traiter la réalisation des ouvrages à ceux dont c'est le métier, selon des règles équitables et transparentes.

Ce qui nous ramène à la case départ. Les promoteurs de cette fausse bonne idée sont-ils prêts à en admettre les corollaires ? On est en droit d'exprimer un doute au vu de leurs fonctionnements et de leurs déclarations.

SORTIR DE L'AMBIGUITE

Une chose est désormais certaine : il convient de sortir d'une situation incertaine qui résulte de ces "monopoles", de droit ou de fait, concédés ou accaparés par quelques éditeurs qui abusent des situations acquises et, il faut le constater, de relations imprécises avec les services de la Conférence épiscopale.

Ces usages rendent très vulnérables tous les protagonistes, il faut que chacun en devienne conscient ! C'est pourquoi la question de leur légitimité et de leur terminaison doit nécessairement être reposée. Les évêques de France ne peuvent plus s'offrir le luxe de litiges à répétition qui éclaboussent tout le monde à chaque publication d'un ouvrage majeur, ni par conséquent échapper à la définition d'une politique éditoriale claire, précise et transparente, dans un cadre où la déontologie professionnelle soit de règle.

L'urgence en est accrue par la volonté déjà exprimée par le Saint-Siège de mettre un terme aux ambiguïtés. Il a demandé en particulier d'harmoniser les règles d'attribution des droits de publication des textes du Magistère et de les protéger contre la malveillance, ne serait-ce que pour éviter que ne se reproduise le détournement scandaleux auquel Act-Up s'était livré en publiant une version diffamante de l'encyclique Evangelium Vitæ.

Voilà pourquoi nous avons proposé que l'édition des grands documents du Magistère fasse désormais l'objet d'appels d'offres, lancés officiellement par la Conférence des évêques de France agissant pour le compte du Saint-Siège et jouant ainsi son rôle naturel d'intermédiaire, que ces appels d'offres comportent un cahier des charges précis dont elle aura approuvé le contenu, qu'ils soient ouverts à tous les éditeurs qui s'engagent à servir loyalement l'Église et attribués de façon transparente, enfin que leur mise en œuvre se fasse sous son contrôle effectif. Ce qui vient de se passer nous conforte dans cette recommandation.

L'occasion va s'en présenter à brève échéance avec la parution annoncée de la première encyclique de Benoît XVI : va-t-elle donner lieu aux mêmes empoignades et dans la même confusion ? Ce que nous en savons le laisse craindre. Puissions-nous nous tromper !

 

 

Voir aussi :
Le premier volet de notre enquête : "Questions posées par la publication française du catéchisme abrégé" (Décryptage, 18 novembre)

Note
(1) Les Editions du Cerf sont la propriété des dominicains de la Province de France et dirigées par un religieux qui appartient à cet ordre ; le groupe Bayard est contrôlé par les assomptionnistes.