[ENQUETE SUR LES MEDIAS CHRETIENS] Dans le cadre de notre série d'été, libertepolitique.com rencontre les acteurs de la presse chrétienne et tente avec eux de comprendre le rôle qu'ils jouent dans l'actualité et le débat politique. Comment ces médias voient-ils leurs vocations à l'aube de l'année électorale de 2012 ? Cette semaine, Aymeric Pourbaix, directeur de la rédaction de Famille Chrétienne, répond à nos questions.

Quelle est la ligne éditoriale du magazine Famille Chrétienne ?

Nous ne sommes ni une revue d'idées, ni un journal d'actualité pure. Famille Chrétienne se situe dans un entre-deux qui nécessite des compétences dans tous les domaines. C'est un projet très exigeant !

Deux éléments d'égale importance définissent notre identité d'hebdomadaire catholique. D'une part la fidélité totale au pape et au magistère, et d'autre part le caractère familial de notre publication. Ces éléments ont présidé à la création de Famille Chrétienne : le pape Jean-Paul II arrivait alors à la tête de l'Eglise, et les fondateurs ont voulu faire de ces deux principes notre marque de fabrique et ce qui fait notre distinction.

Dans l'histoire de Famille Chrétienne, différentes périodes se sont ensuite succédées, durant lesquelles tantôt le caractère confessionnel du journal, tantôt le caractère familial prenait le dessus. La nouvelle formule sortie il y a maintenant sept mois s'inscrit dans cette recherche d'équilibre, avec un accent mis sur la nécessité de donner à nos lecteurs une nourriture spirituelle solide. Avec le souci de s'adresser à tous les membres de la famille, des grands-parents aux enfants.

A quelle famille s'adresse votre publication ?

La famille idéale n'existe pas. Il faut sortir du schéma où l'on imagine les parents BCBG conduisant la fameuse catho-mobile. Privilégier un tel lectorat revient en réalité à stigmatiser ces familles et à oublier les autres.

Nous nous plaçons plutôt du point de vue de ce que demande l'Eglise, qui a un message universel d'espérance et de haute exigence, qu'il nous faut relayer et apporter à toutes les familles, quelle qu'elles soient. Il faut avoir conscience qu'aucune d'entre elles n'est épargnée par le monde moderne. Toutes les familles sont confrontées à des difficultés et à des décisions exigeantes qui engagent leur projet de vie et leur identité. La contraception, par exemple, ou l'aide médicale à la procréation sont des sujets qui touchent aussi les familles catholiques...

Nous faisons donc nôtres les préoccupations et les enjeux familiaux, particulièrement les soucis des jeunes familles, même si nous ne pouvons pas être exhaustifs. Avec la nouvelle formule, nous avons décidé de mettre l'accent sur la transmission et l'éducation – humaine d'une part, et également dans la foi.

Sur le plan strictement politique, comment se décline cette ligne éditoriale ?

En la matière, nous n'avons pas un discours de spécialiste. Nous demeurons avant tout un magazine grand public. Cependant, il est évident que certains sujets politiques, comme par exemple les campagnes présidentielles, concernent tous les électeurs, y compris les lecteurs de Famille Chrétienne.

La politique touche aux enjeux profonds d'une société. Sur le fond, nous nous intéressons à ceux qui nous paraissent les plus importants, à l'échelle du pays et pour un chrétien. Pour cela, nous avons plusieurs principes directeurs :

  • Le magistère et particulièrement notre pape Benoit XVI , qui a notamment indiqué quels étaient les points non négociables pour un chrétien en politique. Ces points découlent directement d'une anthropologie chrétienne et montrent le bon sens et la cohérence de l'Eglise en matière politique.
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  • Nous ne pouvons pas non plus faire l'économie d'un regard politique, qui prend la mesure de l'urgence de l'heure. Notre société connaît aujourd'hui une crise de la dette et risque d'entrer dans une guerre des générations. Ces aspects ont évidemment un impact fort sur l'actualité et doivent être pris en compte dans un contexte électoral.
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  • Nous avons également la volonté de faire comprendre à notre lectorat qu'il existe d'autres enjeux que ceux qui monopolisent l'attention. Ce n'est pas pour autant qu'ils sont moins importants. Ainsi on parle beaucoup de la laïcité ou de l'Islam, mais on traite rarement de la place de l'Eglise dans un pays dont c'est la culture et les racines.
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  • Enfin, nous ne voulons pas cantonner le débat au niveau des idées mais également aller sur le terrain. Il faut montrer que le chrétien ne peut pas se désintéresser de la politique. Il n'est pas du monde, mais il est dans le monde ! Notre rôle est donc également de montrer et favoriser l'engagement des chrétiens au nom de leur foi dans tous les domaines de la vie publique ou politique.

 

A ce propos, quelle est la spécificité de l'engagement du chrétien dans la cité selon vous ?

Le chrétien ne doit pas désespérer ! Face au monde tel qu'il est, c'est-à-dire blessé par le péché originel, il ne faut ni être naïf, ni succomber à la tentation d'attendre dans notre coin que le monde soit conforme à l'Evangile pour nous y engager. La cité chrétienne n'existe pas et n'existera sans doute jamais sur cette terre ! Il faut donc des chrétiens pour s'engager en politique et mener le combat, et ce dans tous les partis. C'est un combat qui est d'abord spirituel, mais le chrétien doit aussi pouvoir dénoncer les positions inacceptables, discuter, argumenter et donner des repères essentiels à notre monde, tirés de la doctrine sociale ou morale de l'Eglise. Pour cela, il faut se former.

On s'imagine souvent que l'Eglise est contre, mais c'est faux ! Elle a une très haute opinion de l'homme et cela implique aussi une très haute exigence à son égard. Il faut voir tout ce que les civilisations d'origine chrétienne ont créé de beau en matière artistique ou sur les questions sociales. L'Eglise ne vise que le bien de l'homme. Elle ne veut rien pour elle-même car elle n'a rien à défendre, si ce n'est le Christ. Ainsi, elle est entièrement libre et elle use de cette liberté pour annoncer son message à temps et à contretemps. Si elle ne le faisait pas, elle trahirait ce message d'espérance et de vérité qui est à son fondement. Le chrétien n'a pas le droit de se taire ! Il doit témoigner en particulier qu'il n'y a qu'une vérité dans notre société faite de consensus et de relativisme.

Les chrétiens doivent être partout. C'est une mission difficile qui peut parfois s'apparenter à un martyre. Paul VI disait que la politique était la forme la plus haute de charité parce qu'elle concerne l'ensemble d'un pays et le bien commun.

Comment cette haute idée de l'engagement s'applique dans les pages de Famille Chrétienne ?

Nous ne faisons pas passer des consignes de vote à nos électeurs, mais nous ne pouvons pas nous permettre d'avoir un contenu banal, comme les autres. Nous devons être différents ! Cette différence réside en grande partie dans notre référence chrétienne pour aborder les sujets, à destination de tous dans les familles.

Vous disiez tout à l'heure que la cité chrétienne n'existait pas. Que peuvent alors espérer les chrétiens qui s'engagent ?

Le chrétien peut toujours influencer une petite décision, à sa portée, qui fera peut-être un jour basculer vers une décision plus importante. C'est ainsi qu'on participe à construire une société conforme à l'Evangile. L'essentiel est avant tout d'améliorer la situation donnée. Je suis toujours admiratif des jeunes chrétiens qui s'engagent en politique. C'est une preuve incroyable d'abnégation et de sacrifice car notre marge de manœuvre est faible en la matière, bien qu'elle soit essentielle. Elle se situe surtout au niveau du moindre mal, mais le mieux est toujours possible.

Par ailleurs, si la vie politique peut paraître désespérante, il ne faut pas oublier que nous avons les hommes politiques que nous méritons. La France a eu de nombreux intellectuels chrétiens comme Bernanos ou Péguy, qui ont eu une réflexion culturelle en amont de la politique. Aujourd'hui, ils se font beaucoup plus rares. En plus de l'engagement pratique, les chrétiens ne doivent pas déserter le domaine des idées. Nous avons besoin d'intellectuels catholiques et s'ils n'existent pas ou peu, il faut que nous nous donnions les moyens de les former.

Enfin, il me semble que nous ne valorisons pas suffisamment la sainteté en politique. On pense bien sûr immédiatement à Thomas More, saint patron des hommes politiques, mais on pourrait également citer, plus récemment, Shahbaz Bhatti, ministre des minorités religieuses du Pakistan assassiné le 2 mars dernier, qui écrivait dans son testament spirituel  Je veux servir Jésus en tant qu'homme du peuple .

Que vous inspire aujourd'hui l'actualité des élections présidentielles 2012 ?

Il me semble qu'il y a là une opportunité extraordinaire car le jeu politique est extrêmement ouvert. Aucun candidat ne semble dominer. Dans ce contexte, les catholiques peuvent, s'ils le souhaitent, peser sur le choix de société qui découlera de ces élections. Mais ils ne le pourront que s'ils sont unis entre eux.

Aujourd'hui, si les chrétiens veulent être entendus dans le débat public, il faut qu'ils commencent par abandonner leurs querelles de chapelles pour faire front commun. Cela concerne tout à la fois l'Eglise, les associations, et les médias. Nous sommes dépositaires d'un trésor au service du bien de l'homme. Nous devons donc avoir une parole commune forte pour qu'elle soit féconde. Cette conjugaison d'énergie est vitale, car la division est le meilleur outil de l'adversaire. Nous avons donc besoin d'unité ! Sommes-nous capable aujourd'hui de nous entendre sur l'essentiel ?

 

Propos recueillis par A.B.

 

 

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