Les vœux ! Une nouvelle année commence et pourtant rien n'a changé. Parfois, l'on se dit que la coutume de s'adresser des vœux ressemble à une coquille vide. Des mots sans contenu fusent dans tous les sens et semblent ne prendre d'importance que lorsqu'ils sont oubliés.

Faut-il pour autant renoncer à cette coutume ? Non pas, tant les conventions, malgré les apparences, restent importantes. Cela, pour deux raisons : elles sont l'occasion de dire un mot gentil aux gens que l'on aime (ou à ceux que l'on n'aime que de loin) et, des mots gentils, on n'en dit jamais assez. Surtout, elles nous remettent en présence de nos propres dispositions, de nos valeurs et peut-être de nos choix de vie. Que souhaite-t-on aux gens, outre des considérations de bulletin de santé ? le bonheur ? lequel ? l'accomplissement des souhaits ? quels souhaits et au nom de quelle providence ? Les vœux apparemment légers apparaissent lourds de bien des désirs et peut-être de bonnes résolutions. Ils finissent par en dire davantage sur nous-mêmes et notre façon d'aimer que sur les destinataires de ces quelques mots.

Toutes ces raisons nous invitent à placer le jour des vœux sous le patronage de celle que l'Église fête en ce premier jour de l'année : sainte Marie, mère de Dieu. Coïncidence, à considérer que le calendrier profane et le calendrier chrétien ne font que se rencontrer. Aujourd'hui, ce n'est pas le début de l'année liturgique mais la glorification de la maternité de Marie. Si cela avait un sens, c'est d'abord à elle que devraient aller nos vœux ! En revanche, ce qui a du sens est de lui demander, à elle, bien des choses. L'évangile de ce 1er janvier est comme le modèle de notre propre attitude.

Marie méditait ces choses en son cœur

Marie médite ces choses en son cœur, tout ce dont elle est gratifiée, à la fois spectatrice et actrice, mais sans les maîtriser aucunement. Si devenir mère est déjà un bouleversement, devenir mère de Dieu l'est davantage, à commencer par le regard que Marie a dû porter sur son enfant : celui-ci est mon fils et il est aussi Dieu en personne. Difficile d'oser se le dire, quand on voit son Dieu vagir. Marie, dans les jours de sa maternité, a appris combien il y a ce qui dépend de nous et ce qui ne dépend pas de nous.

Ce qui ne dépend pas d'elle est le mystère de l'Incarnation, ce plan de Dieu décidé par lui seul. Ce qui dépend d'elle est d'accepter d'y participer, de dire oui à tout et d'être là. Elle n'y est pour rien mais rien ne s'est fait sans elle. Les jours de la crèche, Marie ne gère pas un grand spectacle, elle ne s'active pas inutilement. Elle est là, simplement là, présente à tout, méditant dans son cœur.

Ainsi de nous : plutôt que de nous souhaiter ces choses extérieures qui ne dépendent pas de nous, comme la santé ou le bonheur des richesses, mieux vaut désirer les uns pour les autres d'être là quand Dieu fait de notre âme une crèche. La vie du chrétien ne consiste pas d'abord à s'étourdir d'activités, mais à être là, comme est là le contemplatif. Notre action est une réception. Si nous courons en tous sens hors de notre crèche, nous oublions de contempler l'Enfant, nous oublions l'essentiel. À quoi bon une crèche dont tous les santons sont absents, sans doute partis valser à Vienne, en ce moment même ?

Les bergers arrivent et repartent

Pour nous qui ne sommes ni Marie ni même Joseph, il faut aller à l'Enfant. Celui-ci ne fait pas que naître, il invite tout de même à se bouger pour le rejoindre. La contemplation est tout sauf l'immobilité. Elle est une action, prise sur d'autres activités.

Considérons que nous sommes des bergers : si nous courons vers la crèche, nous laissons le troupeau, son pacage, la tonte, la garde des moutons. Nous prenons sur notre temps et sur nos urgences. Oui, mais c'est cela la prière : prendre du temps sur tout pour prendre du temps pour Dieu.

Dira-t-on que l'on prie au milieu des activités et que l'on n'a pas besoin de les laisser tomber pour prier ? On peut le dire, mais est-on dans la vérité ? La prière ne devient continuelle que lorsqu'elle a appris à devenir régulière. Pour aimer quelqu'un en permanence, il faut d'abord lui prouver qu'on l'aime par moments. Sinon, il n'en saura jamais rien.

Les vœux que nous pouvons nous adresser sont des vœux de bergers : que nous puissions apprendre à prendre du temps pour Dieu. Que jamais une journée ne se passe sans avoir pris du temps pour Dieu, un temps pris sur le reste. Ce temps passé, ce temps donné, est la condition de notre départ : " Les bergers s'en retournèrent, glorifiant et louant Dieu pour tout ce qu'ils avaient entendu et vu. " On ne donne que ce qu'on a.

"Ayant vu, ils firent connaître ce qui leur avait été dit de cet enfant"

Voici que ces bergers deviennent apôtres. Ils ont contemplé la manifestation de Dieu et la manifestent à leur tour. Ils ont vu l'Enfant, lumière de Dieu, et partent illuminer, en quelque sorte, en son nom. L'Enfant, qui est le Verbe, Parole de Dieu, ne sait pas encore parler. Les bergers vont parler de lui à sa place. Ainsi en va-t-il de la Providence en notre monde. Le Christ est là, il veut parler à tous mais semble ne pas parler.

Nous avons vocation de porte-parole, de porter sa Parole. Les vœux que nous pouvons nous adresser sont ceux d'une parole annoncée : que nous puissions devenir davantage apôtres.

En la solennité de Marie, mère de Dieu, le pensum – ou la joie – des vœux semble transfiguré. Ce que nous nous disons prend sa force du spectacle de la crèche.

Le point focal d'une crèche, ce ne sont pas les pauvres bergers qui sont venus, ni les mages chatoyants qui vont venir, ni Joseph ni même Marie, mais Jésus. C'est lui qui attire tout et envoie tout dire de lui, parce qu'il est la source de l'Amour.

Les vœux tirés de la contemplation de la crèche invitent, à cause de lui, et avec lui, à aimer mieux ceux que nous aimons.

En la solennité de sainte Marie, mère de Dieu, à propos de Luc 2, 16-21

*Le fr. Thierry-Dominique Humbrecht o.p. est dominicain du couvent de Bordeaux.

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