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Trop intelligent pour être heureux ? - L’adulte surdoué

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Trop intelligent pour être heureux ?
  • Auteur : Jeanne Siaud-Facchin
  • Editeur : Odile Jacob
  • Année : 2011
  • Nombre de pages : 322
  • Prix : 21,90 €

Les «HYPIE» sont parmi nous. Comme le héros David Vincent dans la série américaine Les Envahissseurs, Madame Jeanne Siaud-Facchin, psychologue clinicienne, a eu du mal à faire reconnaître leur existence. Ses collègues, peu au fait, les assimilent un peu vite à ceux qu’on appelle les bi-polaires, les maniaco-dépressifs et autres personnalités dites border-line. Or, il faut admettre que ceux dont le type a été vulgarisé en 1974 par Rémy Chauvin dans son livre Les surdoués (ou créatifs) (Stock), n’entrent et ne sauraient entrer dans aucune catégorie pathologique. Dans le schéma de l’évolution de l’espèce, on pourrait même soutenir qu’ils représentent la norme, mais la norme de l’homme du futur. Ne confondons pas non plus le «hypie» avec le BB : le brillant bosseur, bien que celui-ci ne soit pas exclusif de l’autre. Qui sont donc ces HYPIE qu’on évalue à 2% de la population ? S’ils sont loin d’être des malades, leur atout constitue aussi un handicap. ‘‘Hypie’’ est une sorte d’acronyme signifiant hyper-intelligence et hyper-émotivité réunie dans une même personne. C’est un état, et si on parle de don, c’est simplement au sens de donnée. Il est un autre point absolument fondamental à retenir : la conjonction de coordination et. Chez un hypie, l’intelligence, pas plus que l’émotivité, n’est première. L’une n’est pas la cause de l’autre, l’une n’entraîne, ni n’engendre l’autre. Simplement, la clinique montre que l’une est TOUJOURS exactement corrélée à l’autre.

 A la réflexion, ce constat n’est nullement étonnant. L’observation clinique (l’IRM par exemple) le confirme : le processus de compréhension intellectuelle (au sens le plus large du terme, qui comprend les apprentissages, la mémorisation etc) et l’activation de tous les systèmes nerveux empruntent dans l’organisme le même parcours ; ils s’ébranlent de concert. On ne retient bien que ce qui vous a touché, et ce qui vous a marqué dans la chair a de bonnes chances d’être retenu. C’est une seule et même empreinte qui s’est inscrite le long de l’individu. La science confirme ici, une fois de plus, ce que les plus anciens principes pédagogiques pressentaient. La mécanique intellectuelle pure fait le polytechnicien, mais le hypie ne se contente pas de concevoir le moteur ; il est le moteur. Les neurones du hypie s’illuminent à tous instants en arborescence, non de façon linéaire. Les connexions neuronales s’irisent en bouquet et partent dans tous les sens. Quelque soit le domaine abordé, plusieurs plans de pensée s’imposent à l’entendement et aux sens du sujet. Le cerveau du hypie est comparable à une usine en marche pratiquant les trois huit : il ne se repose jamais. Celui-ci est plus à l’aise dans l’accomplissement d’une «tâche fermée» (mettre le couvert, appliquer une recette culinaire, faire le ménage par exemple) que dans une tâche ouverte. La première le repose, il suit alors un schéma préétabli. Mais, il s’accomplit dans la seconde dans laquelle ses neurones en arborescence pourront donner toute leur mesure démesurée. Le hypie n’est au premier abord pas reconnaissable : l’expérience lui a enseigné que c’est à lui de s’adapter. Seule une certaine naïveté, une capacité d’émerveillement ont pu lui faire croire dans les premières années de sa vie que tout un chacun, à tous moments, partageaient les mêmes pensées, les mêmes émotions que lui. Mais, il a dû vite déchanter. A tel point, que la mise en œuvre d’un processus d’hyper-adaptation à l’environnement à la fois le bride dans l’expression de ses pensées et de ses émotions et le préserve d’un sentiment de déception qu’il n’a eu que trop souvent l’occasion d’expérimenter dans sa relation avec autrui. Un perpétuel sentiment de décalage avec l’autre joint à un complexe d’infériorité qui lui fait croire, aussi paradoxal que cela puisse paraître, qu’il n’est jamais à la hauteur (de l’autre) exacerbe son esprit critique ainsi que le souhait et le regret de devoir se fondre dans le monde. Les mauvaises langues (qui, fatalement, en vérité ne le connaissent pas) diraient que c’est un « dérangé » qui n’aime pas déranger. Madame Siaud-Facchin énumère de manière assez exhaustive les caractéristiques propres au hypie. Relevez par exemple que « ça le gratte souvent », chose tout à fait évidente quand on connaît son hyper-innervation du derme. Mais, poursuivant son enquête, l’auteur découvrirait le parallélisme de réceptivité du hypie aux ondes lumineuses et aux ondes sonores (échelle commune des spectres). Une autre importante caractéristique du hypie, là encore parfaitement évidente si l’on suit la logique de son fonctionnement, est l’empathie : le hypie ne peut savoir sans ressentir, ni ressentir sans savoir. Multidirectionnelle, cette aptitude à se mettre à la place de l’autre, à vivre ce que l’autre vit, s’exerce aussi dans le temps. Le hypie se souvient de ce que vous avez pensé x années en arrière, et il se rappelle de ce qu’il a pensé lui aussi à ce moment là en ressentant ce que vous pensiez. Ce voyage dans le temps peut concerner l’Histoire au sens large : un hypie visitant un quartier ancien d’une ville aimera imaginer ce qu’un quidam sa baladant au même endroit un siècle auparavant lui-même imaginait de ce que pouvait bien penser un de ses ancêtres arpentant le même chemin. Le hypie conjugue en permanence aux temps du passé simple (ou composé), du présent, du futur (voire du conditionnel) ces mêmes espaces-temps passés, présents ou à venir.

Peut-on relier le hypie à un type caractérologique appartenant à une classification classique ? On pense ici à celle de René Le Senne, certes passée de mode, mais, pourtant, fort opérante. A première vue, imagine-ton difficilement un hypie flegmatique ou amorphe. Lui correspondraient plutôt le type nerveux, sanguin ou passionné. Quoique en bien des cas, il est vérifié que la fonction crée l’organe, on a du mal à ne pas concevoir au moins chez lui une légère hyperthyroïdie. Statistiquement, on devrait donc retrouver une répartition très inégale du hypie dans les différents types caractérologiques. Mais, le tempérament de base est a priori neutre et ne prédit rien en ce qui concerne ce que nous appellerons de façon très approximative l’envergure intellectualo-émotionnelle. En outre, si le ‘‘hypie’’ est distinct du BB (le brillant bosseur), il ne détermine pas a priori un lien avec savoir-faire, talent ou génie. Federer possède une intelligence du jeu, le jeu du tennis : c’est un savoir-faire attaché à une activité particulière. Marcello Mastroianni était un excellent acteur qui avait la réputation d’être par ailleurs très bête : il avait seulement l’intelligence du jeu d’acteur. L’intelligence du surdoué, elle, est par définition toujours générale. L’observation clinique conduit à faire des hypothèses, mais celles-ci vont dans tous les sens. Par exemple, le type hypie conscient (de lui-même) ne présentera pas de lui la même apparence que le hypie non diagnostiqué. Le BB est parfois pris pour un hypo-hypie.  Mais, à l’examen, Dominique Strauss-Kahn ne détient quasiment aucune des caractéristiques qui, additionnées chez une même personne, permettent d’émettre l’hypothèse ‘‘hypie’’. Goethe semble pouvoir se rattacher dans une certaine mesure au type. Négatif pour Emmanuel Kant, mais positif pour Leibniz.  Fortes présomptions en ce qui regarde Winston Churchill ; même pronostic concernant Paul Valéry et Jean Cocteau. Pour vous donner une idée, rien qu’une idée (mais il y a mille autres facettes propres au type et qui n’apparaissent pas dans leurs rôles publics) du bonhomme exemplaire, prenez Fabrice Luchini et Benoît Poelvoorde. Ils nous font comprendre que les hypie(s) développent sans le savoir ce constat cher à Baudelaire : «Le génie, c’est l’enfance retrouvée à volonté». Une enfance qui n’est pas toujours dissipée, qui peut au contraire être très sage. Emettons une hypothèse concernant la catégorie du génie. Outre les traits du hypie, il semblerait qu’un quotidien familial tendu dans l’enfance constitue un terrain propice à son éclosion ainsi qu’un congrès consacré à cette question avait cru le découvrir à partir du cas du cinéaste anglais Stanley Kubrick.

Enlevé, le livre de Jeanne Siaud-Facchin n’en est pas moins triste et mélancolique en certains passages (ainsi p. 67). Le cerveau du surdoué est une usine en marche, avons-nous relevé. Aussi, notre psychologue ne nous cache pas que le patron de l’usine (une usine qu’il ne dirige pas toujours), et dont il est aussi l’ouvrier polyvalent, peut être tenté certains jours de mettre la clef sous la porte. Pour enfin se reposer, quand la pensée, sans débouchés, est devenue trop extrême.                             

 

Hubert de Champris


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