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Les Abeilles de Delphes

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Les Abeilles de Delphes
  • Auteur : P. Boutang
  • Editeur :
  • Nombre de pages : 0
  • Prix : 0,00 €

On vient de rééditer les Abeilles de Delphes. Les années ont passé mais ce recueil d'articles semble né ce matin, d'une substance, d'un ton tout neufs. Sans doute ces études gardent l'empreinte de l'époque (1950, la guerre froide, l'épuration, la génétique de Lyssenko contre Mendel) qui les authentifie.

Boutang traitait de T.S. Eliot, de Faulkner, de C. Santayana aussi bien que de Giono ou de Jouhandeau. Il donnait envie de lire ces livres ; c'est la première qualité d'un critique. À une intelligence foudroyante, une culture immense, il joint dans ces pages une sensibilité d'une rare délicatesse. Chaque fois il révèle le point central de l'œuvre : Bloy " pèlerin du Saint Tombeau ", Rousseau et son " onanisme du cœur ", Perrault et " le merveilleux raisonnable ", Montaigne " franciscain égaré ". Chaque fois, il donne la clé. Il y a le cas de Pascal, du " funeste Pascal " : le titre de l'article est dans la pure ligne maurrassienne. Boutang, depuis longtemps revenu de cette vue infirme, travaillait, ces dernières années, à un Pascal tout différent, qu'hélas nous ne connaîtrons pas. Même ici, il n'est pas inexact quand il le voit " limier de la foi, efflanquée, haletante bête, qui n'a pas souci de connaître ce qu'il poursuit, ni d'être juste pour le gibier ". Mais voyez l'attention qu'il porte au grand théologien protestant Karl Barth, aux premiers écrits de Simone Weil, à Bloy, au Maurras religieux, en chemin vers la lumière. En vérité, le Christ est partout présent. La précision exquise de la sensibilité se voit encore mieux quand il s'agit des poètes : Maurras, poète de l'être comme Supervielle ou Eliot parce que leur poésie dit le vrai. C'est du poète que dépend " la solidité des choses et du monde ". Poésie encore avec l'Enfant d'Agrigente du R. P. Festugière qui sait parler de " la piété naturelle, ni chrétienne ni païenne exclusivement ".Rapprocher, unirIl allie les exigences d'une pensée cohérente — et même d'une orthodoxie, ces articles ont paru d'abord dans Aspects de la France — et le souci d'accueillir toute œuvre vivante, voyez les noms qu'on vient de citer. Il enchantait les jeunes gens qu'il attirait vers cette respectable maison. Notez qu'il rend hommage aux siens, et d'abord à Maurras lui-même, qui occupe près d'un cinquième du volume. Mais aussi à Gabriel Marcel, en qui Boutang vit toujours l'un de ses maîtres, et dont il analyse deux pièces, l'une sur la Résistance, l'autre sur le judaïsme et la France, sujets traités par leur auteur avec une liberté qui ferait tiquer, aujourd'hui, tous les contrôleurs de l'opinion correcte.Il y a aussi, bien sûr, Philippe Ariès, camelot d'avant-guerre, et le jeune Nimier qui a droit à une excellente analyse du Grand d'Espagne. Sans doute, Boutang est naturellement curieux, ouvert à toutes les surprises, mais il est vrai aussi qu'il cherche des alliés. Il sait l'affaiblissement de son camp. Comparant la jeune A. F. de 1913 et le présent, son constat est lucide : " La société française existait encore, tout n'était pas consommé. Aujourd'hui ces garçons sentent et savent que c'est la dernière chance, que toutes les classes ont été si effroyablement épuisées, mises hors d'état de remplir une mission, qu'un éclat héroïque, un sacrifice instantané ne pourrait plus rien sauver que l'honneur. " Et aujourd'hui, que dirions-nous ? Il faut donc à toute force rapprocher, unir. Il y a Malraux qui vient de découvrir que l'homme " en devenant moins français peut devenir (par exemple) plus russe " et conclut : " Pour le meilleur et pour le pire nous sommes liés à la patrie. " Il faut lire toute cette méditation conduite du Temps du mépris aux Noyers de l'Altenburg (alors presque ignorés) et au Goya ou le rêveur semble repris par la tentation du nihilisme. Je sais bien que Malraux est jugé de haut, ces temps-ci, mais la mode n'est respectable ni quand elle sévit, ni quand elle est passée. Autre allié possible : Saint-Exupéry. L'essai sur le Petit Prince met au mieux en valeur ce conte un peu fade, en insistant sur l'amitié, et la nécessité des rites, comme dit le renard. Thème repris dans la Citadelle où Boutang verrait volontiers le manuel légendaire et sage d'un pasteur du peuple. Il y note une critique prophétique de l'épuration. Alliés encore, contre le romantisme et la perversion du langage, le Babel de Caillois, qui oublia assez vite ce livre trop tranchant. Marcel Aymé se révéla plus solide, dont est loué ici le Confort intellectuel, jeu de massacre où la vraie cible n'est pas Baudelaire, ni Lepage, mais les Anaïs Coiffard des trois sexes, qui n'ont d'ailleurs cessé depuis de progresser en ignorance, en bêtise et en présomption. N'oublions pas un solide éloge d'Uranus. Et il y a Faulkner, celui des Invaincus et de l'Intrus : " Quand l'Amérique ne nous aurait donné que lui et Poe, ce serait beaucoup plus déjà que le plan Marshall. " Car, qui a bien lu Faulkner " ne pourra jamais être communiste, ni démocrate, ni se déshonorer ". Faulkner croyait bien l'être, démocrate — mais pas à la façon yankee, ce qui répond au vœu de son critique.Les drames de l'EuropeL'écho des querelles du temps retentit évidemment partout. Boutang reconnaît la grandeur de Bernanos, mais condamne l'anarchiste, qui s'est retrouvé aux côtés de ceux dont il haïssait les idées et les buts. Rééditez-donc la Grande Peur des bien-pensants, dit-il (cela ne se faisait pas, cela se fait toujours peu) car pour lui, le grand service de Bernanos, " c'est la révélation de Drumont ". Ce qu'ils y trouvent tous deux, les deux B ? " La critique terriblement lucide d'un système social qui ne peut aboutir qu'à la dictature de l'argent. " L'étude sur Eschyle, notre contemporain montre la nécessité, dans les cas extrêmes, d'une vraie légitimité, enracinée et liée à la loi divine ; elle manquait, elle manque à la France. Boutang évoque une conférence faite à Bayonne (en 49 ou 50 ?) où il se heurte à l'esprit de guerre civile si vif alors, si bien entretenu depuis. Un vieil homme fou de douleur, les Allemands ont tué son fils, en rend responsable Vichy et finit par dire : " Je préfère les Allemands à Pétain. " Il est urgent d'apaiser ces haines, dit Boutang. Deux droits s'opposaient, " le droit de l'aveugle fureur de la "résistance" qui criait vengeance et le droit de 1'État français, le droit de Vichy à faire durer la patrie ". Il est injuste de reconnaître l'un de ces droits en méprisant l'autre. Il est revenu bien des fois sur ce thème, dans les années qui ont suivi (par exemple avec un grand article sur Maurras et l'unité : " Les États, exprimant l'unité des nations, sont les seuls vrais sujets de l'histoire. ") Malgré son gaullisme tardif, il n'a jamais renié cette nécessité de Vichy, ce qui ne veut pas dire en approuver tous les actes. Mais de quel régime a-t-on pu dire qu'on en approuvait tous les actes ? On tient les points essentiels d'une réflexion que Boutang approfondira jusqu'à sa mort : 1/ Le christianisme est notre monde, plus encore que notre civilisation. 2/ Le fait national. 3/ Le saint langage qu'on peut laisser souiller et ruiner. 4/ La nécessité des rites, non seulement pour les aménités de la vie, mais pour l'ordre même de la société (voir à ce sujet son roman le Potier). 5/ La légitimité ne va pas sans durée. Autre drame : la question allemande et l'Europe. Ce livre y consacre trois articles. Boutang est resté jusqu'au bout hostile à l'Allemagne et la redoutant. Mais c'est une querelle qui n'a plus guère de sens, quand on voit la démographie de l'un et l'autre pays. Ma surprise est de le voir ici l'emporter à juste raison sur les rêveries de Jünger dans la Paix. Il est vrai, et c'est normal, que le grand écrivain des Falaises de marbre et du Mur du temps y réserve les chances d'un avenir de son pays. Mais où Jünger se trompe, c'est quand il voit le titanisme technique proche d'une métamorphose où renaîtrait la civilisation (erreur dont il est bien revenu, voir ses derniers ouvrages). Et son État mondial, inévitable, dit-il, verra les peuples conserver leur langue, leur race, leurs mœurs. Il ne prévoyait pas le rouleau compresseur américain.Ces Abeilles de Delphes nous ont pas mal promené, comme on voit. C'était sur de bonnes pistes, presque toujours, et dans la langue la plus exacte, la plus limpide. Ce livre est un chef d'œuvre, je le dis en toute sûreté. Un deuxième tome (inédit en librairie) est promis. Espérons qu'il viendra vite. Avec les Commentaires sur la Délie, la Fontaine politique et Karin Pozzi, nous aurons le monument de la critique pour le demi-siècle qui vient de s'achever, on devrait dire : de se défaire. GEORGES LAFFLYArticle paru dans "Liberté Politique" N°12


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