Ce que le pape François ne comprend pas

De récentes affaires ont tendu les relations entre la papauté et une partie des   catholiques français  : le motu proprio Traditionis custodes  du 16 juillet 2021  et ses suites, dont l’objectif avoué est de faire disparaitre  l’usage du latin dans l’Eglise, l’interdiction de six ordinations dans le diocèse de Toulon, interférence du pouvoir romain sans précédent, même aux pires époques de centralisme, l’ inspection de l’archevêque de Strasbourg ( sans consulter l’Etat alors que l’Alsace est en régime concordataire) . Ajoutons l’indifférence dans laquelle a été reçu en France le mouvement synodal voulu par le pape François : les réunions n’ont attiré que quelques vieilles personnes habituées des sacristies ; pas de jeunes : un échec.

Tout se passe comme si le pape jetait sur les églises d’Europe et singulièrement celle de France un regard décalé d’au moins trente ans.  Pour lui, des structures et des habitudes vieillies ont persisté malgré le concile Vatican II ; il est temps de réaliser le véritable aggiornamento souhaité en son temps par le pape Jean XXIII.  Le tempo auquel se réfère ainsi le pape est sans doute celui de l’Eglise d’Argentine, en retard, comme beaucoup d’Eglises d’Amérique latine,  sur le mouvement général de la catholicité.

Cette vision , si elle est bien celle de Rome, comme cela semble être le cas, est un contre-sens.

 

Le grand chambardement a déjà eu lieu

 

Le bouleversement   des habitudes que le pape François souhaite susciter dans l’Eglise de France a déjà eu lieu entre 1965 et 1975. Il s’est traduit par l’abandon de plus de 2000 prêtres, une chute rapide des ordinations, jusqu’à l’étiage inchangé depuis 1975 au niveau   de 100/150 nouveaux prêtres par an , ce qui n’est pas rien, par des bouleversements liturgiques hasardeux et l’éloignement de l’Eglise d’une partie croissante de la population . C’est à ce moment là que se sont multipliés les faits de pédomanie : il s’agit d’ un moment de l’histoire de l’Eglise et non d’une constante : le mot d’ordre, plus soixante-huitard que  conciliaire , était pour les prêtres et les laïcs de se « réaliser ».  

Ce traumatisme a été aggravé par la dureté avec laquelle les évêques de France ont   appliqué la réforme liturgique, confondant la permission avec l’ obligation de dire la messe en français,  qui s’est traduite par le schisme de Mgr Lefèbvre – qui avait pourtant voté presque toutes les motions du concile.

C’est pourquoi  l’élection de Jean Paul II fut si bien accueillie dans notre pays  : poursuivant et même amplifiant l’engagement du Saint-Siège dans la défense des droits de l’homme, le pape polonais mit fin à un certain nombre d’extravagances théologiques et liturgiques qui avaient marqué l’après-concile, restaurant en particulier la rigueur dogmatique traditionnelle de l’Eglise par un catéchisme devenu une référence . Son successeur Benoît XVI reconnut officiellement une diversité liturgique à même de faire cohabiter de manière bien plus pacifique qu’on ne l’a dit les rites latin et français .

L’expérience « progressiste » des années soixante et soixante-dix s’est également essoufflée parce que les individus et les familles qui ont fait ce choix ont généralement perdu la foi et n’ont suscité pratiquement aucune vocation   sacerdotale. 

On peut dire aujourd’hui qu’environ les deux tiers des séminaristes français sont issus de la mouvance traditionnaliste , même quand ils font le choix de séminaires diocésains pour éviter les problèmes de débouché, et le restant  d’une société laïcisée peu concernée par les questions internes à l’Eglise.

C’est dire que les orientations du pape François sont apparues comme singulièrement déphasées par rapport à    l’histoire réelle de l’Eglise de France.

Ces orientations ont redonné un semblant de vie aux   tendances « progressistes » qui subsistaient mais de manière totalement artificielle . Le fait qu’elles contrôlent l’essentiel de la presse catholique ou certaines instances bureaucratiques d’Église ( le secrétariat de la Conférence des évêques de France par exemple) fait croire qu’elles vivent encore. Mais cette vie n’est que d’apparence.  L’Eglise dite conciliaire ne suscite qu’indifférence chez les jeunes.

A l’inverse , les jeunes sont nombreux pour suivre la liturgie latine là où elle a été maintenue ou restaurée . Dans une commission du Vatican, un cardinal éberlué par ce fait a supposé que ces jeunes étaient atteints d’une maladie mentale !

 

Un retour en arrière idéologique

 

Ce qui reste de « progressistes », plus dans le sommet de l’Eglise que sur le terrain,  sentent bien que la situation leur échappe.  Comme tous les idéologues confrontés à une contestation, de la même manière que dans la vie civile, ils se crispent pour préserver leur dogme – celui d’une évolution linéaire de l’Eglise dans le sens du « progrès » , et sont tentés de l’imposer   à toute force par l’autoritarisme.  Au vu de dernières décisions, le Vatican se prête assez clairement à ce jeu. Singulier paradoxe en effet d’une institution qui prône partout la décentralisation et la démocratisation ( dite synodalité) en même temps qu’elle se fait   plus autoritaire et interventionniste que jamais.

Cet autoritarisme est désastreux : il amène une méfiance a priori pour les prêtres ou les communautés religieuses les plus remplis d’ardeur missionnaire, lesquels , sans être des intégristes, tournent rarement le dos à la tradition. Il s’ensuit des persécutions mesquines de style bureaucratique.   Comme animée d’une pulsion suicidaire, l’Eglise de France suspend ou relègue au placard,  pousse parfois aux extrémités,  ses meilleurs éléments, dissout des communautés dynamiques.   

Un jeu complètement artificiel . On cherche en effet en vain les percées intellectuelles qu’aurait permises le prétendu progressisme ; il se résume à quatre ou cinq questions touchantes toutes , de manière obsessionnelle,  à la sexualité,  les mêmes depuis soixante ans :  le mariage des prêtres,  l’ordination des femmes, la réhabilitation de l’homosexualité, les divorcés remariés. Comment s’étonner que la jeune génération à la recherche d’un absolu qui tranche avec la confusion du temps, trouve lassantes ces ritournelles soixante-huitardes dépassées ?

 

Tradition et avenir

 

Je n’y ai longtemps pas cru, pourtant les faits récents montrent que le retour à la foi , s’il a lieu , se fera probablement sous l’inspiration traditionnaliste  (  ce qui ne veut pas dire schismatique) . Les tentatives d’étouffer cette tendance ne sont que des combats d’arrière-garde.  

Le modernisme des années soixante et soixante-dix a été aussi stérile en matière liturgique que théologique. L’autorisation du culte en français par le Concile a donné naissance à une masse de cantiques médiocres, généralement triomphalistes. Paradoxe en effet : alors que ce sont généralement les ultra-conciliaires   qui dénoncent le triomphalisme d’autrefois ,  c’est dans le nouveau cadre que se sont multipliées des liturgies voulues « festives », donnant l’impression que la communauté se célèbre elle-même ( un reproche qu’on pouvait déjà faire aux cantates de Bach ! ).  Une autocélébration ennuyeuse : voilà où mène le sacrifice de la sacralité à la dimension « communautaire ».  Rien à voir avec l’immense monument du grégorien , tourné vers la seule transcendance , totalement empreint de l’humilité monastique, un héritage aussi précieux que les cathédrales romanes et gothiques[1].    

La conviction que l’usage du rite ancien,  pas seulement par les lefèvristes, est une relique du passé qui s’effacera au moyen de quelques coups de crosse, fait penser à celles des assemblés de la Révolution française, dont la majorité de membres , imprégnée de la philosophie de lumières,  pensait que la religion catholique était une survivance dont quelques lois viendraient vite à bout.  Parmi ces lois, la Constitution civile du clergé qui leur parut anodine mais qui violait les droits historiques de l’Eglise de France. Ils durent déchanter : la question religieuse entraina la guerre civile , puis , après maintes tribulations, la réhabilitation du catholicisme sous la forme du Concordat de 1801 et, on l’oublie,  le retour d’une partie de la population à une foi plus ardente qu’avant, d’où émana au XIXe siècle une floraison sans précédent de saints français.

 

Roland HUREAUX

 

1 Nous n’établissons pas pour autant de relation entre l’attrition du latin et l’étrange incendie de Notre-Dame.