L’affaire McKinsey, un silex dans la chaussure de Macron

Source [La Sélection Hebdo] : Le hashtag #McKinseyGate fleurit sur les réseaux sociaux et la contagion gagne les médias. L’imbrication dans les rouages de l’État de cabinets de conseil privés, dont le plus emblématique est le n°1 mondial, le géant américain McKinsey, surnommé « la Firme », inquiète le camp d’Emmanuel Macron.

 

L’affaire s’emballe alors que le candidat-président, quoique toujours favori, est en perte de vitesse dans les sondages, et que son unique meeting de campagne, à Paris La Défense, le 2 avril, n’a pas insufflé à ses troupes le regain d’enthousiasme escompté.

 

Longtemps secret de polichinelle, le rôle de sociétés privées dans l’administration française tourne au scandale d’État. Le feu qui couvait a été ranimé le 17 février par la parution d’un livre-enquête de journalistes de L’Obs, Caroline Michel-Aguirre et Matthieu Aron, intitulé « Les Infiltrés. Comment les cabinets de conseil ont pris le contrôle de l’État ». Un mois plus tard, le 16 mars, le Sénat publiait les conclusions de sa commission d’enquête (créée le 2 novembre 2021) sur « l’influence croissante des cabinets de conseil privés sur les politiques publiques ». Ce rapport (en lien ci-dessous) confirme que notre administration, pourtant pléthorique, a recours systématiquement à des cabinets de conseil privés, pour la plupart anglo-saxons, ce qui ajoute au sentiment de gabegie la crainte que des données « sensibles » traversent l’Atlantique.

 

Il y a d’abord cette somme vertigineuse d’un milliard d’euros versés à des cabinets privés qui s’imprime dans les esprits. Elle fixe le narratif sur les liens anciens d’Emmanuel Macron et de En Marche ! avec McKinsey, récit pimenté par des accusations de copinage, de renvoi d’ascenseur (une vingtaine de membres de McKinsey (dont Karim Tadjeddine, responsable du secteur public chez McKinsey France) ayant œuvré « gratuitement » à sa campagne de 2017, tandis que d’anciens membres occupent aujourd’hui des postes-clés de la macronie. Sans oublier l’optimisation fiscale : McKinsey, dont le siège social est établi dans le « paradis fiscal » de l’État du Delaware, n’a pas payé en France d’impôts sur les sociétés depuis au moins dix ans, contrairement aux déclarations de son directeur associé devant la commission d’enquête sénatoriale, ce qui a conduit le Sénat à saisir la justice pour « faux témoignage ».

 

L’enquête des sénateurs juge « tentaculaire » l’emprise de ces cabinets conseils sur l’exécutif. « La décision prise durant la crise sanitaire de signer vingt-six contrats avec des cabinets de conseil privés pour participer au premier plan à la lutte contre la pandémie de la Covid-19 a mis en évidence une dérive qui peut légitimement interroger sur la maîtrise par le pouvoir politique de choix souvent primordiaux », explique l’exposé des motifs de l’enquête. Voilà qui alimente le soupçon sur la stratégie sanitaire, notamment la quasi-obligation vaccinale : n’aurait-elle pas été concoctée par le cabinet McKinsey ? Celui-ci s’est taillé la part du lion (12,33 millions d’euros) des dépenses de l’État pendant la crise sanitaire, alors qu’il était lui-même intéressé aux résultats financiers du géant pharmaceutique Pfizer avec lequel il collabore de longue date. Enfin, toute cette affaire rend impérieuse une mise à plat de la gestion d’un État qui dispose de la plus grande armée de fonctionnaires au monde, pour un rapport qualité/prix constamment dégradé. Comment, par exemple, ne pas s’interroger sur l’état de santé du « mammouth » de l’Éducation nationale, quand on apprend par le rapport sénatorial qu’une mission sur l’avenir du métier d’enseignant (assortie d’ un colloque avorté pour cause de Covid) a été payée 496 800 euros à McKinsey ?

 

Devant les accusations de l’opposition, le chef de l’État a laissé percer son irritation le 27 mars, sur France 3 : « S’il y a des preuves de manipulation, que ça aille au pénal », a-t-il lâché à l’intention de l’opposition de droite et de gauche qui croise ses tirs. Mais cette contre-attaque nerveuse rappelle fâcheusement le provocant « qu’ils viennent me chercher ! » de l’affaire Benalla. Le 30 mars, des ministres sont allés « au charbon » : Bruno Le Maire, le matin sur Europe 1, puis, en fin des journée, Amélie de Montchalin, ministre de la Transformation et de la Fonction publique, et Olivier Dussopt, ministre de l’Action et des Comptes publics, dans une conférence de presse commune. Dénonçant des « récupérations politiques et même des manipulations grossières », ces ministres ont affirmé que le gouvernement n’avait « rien à cacher ». « Lorsque la situation est exceptionnelle, l’État ne lésine pas devant les moyens pour protéger les Français », a plaidé Amélie de Montchalin, tout en assurant que « la décision revient toujours à l’État ». Cette séquence périlleuse a culminé avec l’échec du rassemblement du président-candidat à La Défense. À l’approche du premier tour, le camp macronien est sur la défensive.

 

Philippe Oswald